XVIII- d'un discours qui ne serait pas 
  du semblant
          
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20 janvier 1971
Si je cherchais ces feuilles, ce n’est pas pour 
  m’assurer, mais me rassurer, de ce que j’ai énoncé 
  la dernière fois, dont je n’ai pas le texte à cette heure-ci, 
  je viens de m’en plaindre. Il me revient des propos, je n’ai aucune 
  peine à me donner pour ça, du type de celui-ci, il se trouve que 
  certains se sont demandé en quelques points de mon discours de la dernière 
  fois comme ils s’expriment, où je veux en venir. D’autres 
  propos me sont revenus d’ailleurs qu’on entend mal au fond de la 
  salle. Je vais m’efforcer — je ne le savais absolument pas la dernière 
  fois, je croyais qu’on avait une aussi bonne acoustique que dans l’amphithéâtre 
  précédent — si on veut bien me faire signe au moment où 
  malgré moi ma voix baissera, j’essaierai de faire de mon mieux.
  Donc, on a pu en certains tournants, se demander la dernière fois où 
  je veux en venir. A la vérité, cette sorte de question me paraît 
  assez prématurée pour être significative, c’est-à-dire 
  que ce sont loin d’être des personnes négligeables, ce sont 
  des personnes fort averties dont ce propos m’a été rapporté, 
  quelquefois tranquillement par eux-mêmes. Il serait peut-être, étant 
  donné justement ce que j’ai avancé la dernière fois, 
  plus impliqué de se demander d’où je pars, ou même, 
  d’où je veux vous faire partir. Déjà ça, ça 
  a deux sens, ça veut peut-être dire: aller quelque part, puis ça 
  peut aussi vouloir dire:
  décaniller, d’où vous êtes. Ce d’où je 
  veux en venir est en tout cas fort exemplaire de ce que j’avance concernant 
  le désir de l’autre: che vuoi? Qu’est-ce qu’y veut? 
  Evidemment quand on peut le dire tout de suite, on est beaucoup plus dans son 
  assiette. C’est une occasion de remarquer le facteur d’inertie que 
  constitue ce che vuoi au moins quand on peut y répondre. C’est 
  bien
  
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  pour ça que, dans l’analyse, on s’efforce de laisser cette 
  question en suspens.
  Néanmoins j’ai bien précisé la dernière fois 
  que je ne suis pas ici dans la position de l’analyste. De sorte qu’en 
  somme, à cette question je me crois obligé de répondre, 
  je dois dire ce disant, ce pourquoi j’ai parlé. J’ai parlé 
  du semblant et j’ai dit quelque chose qui ne court pas les rues; tout 
  d’abord, j’ai insisté, j’ai appuyé sur ceci 
  que le semblant qui se donne pour ce qu’il est, est la fonction primaire 
  de la vérité. Il y a un certain Je parle qui fait ça, et 
  le rappeler n’est pas superflu pour, à cette vérité, 
  qui fait tellement de difficultés logiques, donner sa juste situation. 
  C’est d’autant plus important à rappeler que, s’il 
  y a dans Freud, pour désigner comme ça un certain ton, s’il 
  y a dans Freud quelque chose qui soit révolutionnaire, j’ai déjà 
  mis en garde contre l’usage abusif de ce mot, mais il est certain que, 
  s’il y a eu un moment où Freud était révolutionnaire, 
  c’est dans la mesure où il mettait au premier plan une fonction 
  qui est aussi celle, c’est le seul élément qu’il ait 
  de commun d’ailleurs, qui est aussi cet élément qu’a 
  apporté Marx, c’est à savoir de considérer un certain 
  nombre de faits comme des symptômes. La dimension du symptôme, c’est 
  que ça parle, ça parle même à ceux qui ne savent 
  pas entendre; ça ne dit pas tout, même à ceux qui le savent. 
  Cette promotion du symptôme, c’est là le tournant que nous 
  vivons dans un certain registre qui, disons, s’est poursuivi, ronronnant 
  pendant des siècles, autour du thème de la connaissance. Faut 
  tout de même pas dire que, du point de vue de la connaissance, nous soyons 
  complètement dépourvus, et on sent bien ce qu’il y a de 
  désuet dans la théorie de la connaissance quand il s’agit 
  d’expliquer l’ordre de procès que constituent les formulations 
  de la science. La science physique donne des modèles, actuellement. Que 
  nous soyons, parallèlement à cette évolution de la science, 
  dans une position qu’on peut qualifier d’être sur la voie 
  de quelque vérité, voilà ce qui montre une certaine hétérogénéité 
  de statut entre deux. registres, à ceci près que, dans mon enseignement 
  et seulement là, on s’efforce d’en montrer la cohérence, 
  qui ne va pas de soi, ou qui ne va de soi que pour ceux qui, dans cette pratique 
  de l’analyse, en rajoutent quant au semblant. C’est ce que j’essaierai 
  d’articuler aujourd’hui.
  J’ai dit une deuxième chose, le semblant n’est pas seulement 
  repérable, essentiel, pour désigner la fonction primaire de la 
  vérité, il est impossible sans cette référence de 
  qualifier ce qu’il en est du discours. Ce qui définit le discours, 
  ce tout au moins par quoi l’année dernière j’ai essayé 
  de donner un poids à ce terme, en en définissant quatre que je 
  n’ai pu la dernière fois que rappeler, en rappeler je crois, mais 
  hâtivement, les titres, à quoi certains bien sûr ont trouvé 
  que là on
  
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  perdait pied. Que faire? je ne vais pas refaire, même à titre rapide, 
  l’énoncé de ce dont il s’agit, quoique bien sûr 
  j’aurai à y revenir et à montrer ce qui y est, j’ai 
  indiqué qu’on s’y reporte dans les réponses dites 
  Radiophonie du dernier Scilicet, ce qu’il en est, en quoi consiste cette 
  fonction du discours telle que je l’ai énoncée l’année 
  dernière. Il se supporte de quatre places privilégiées 
  parmi lesquelles une d’entre elles précisément restait innommée, 
  et justement celle qui, de chacun de ces discours donne le titre, par la fonction 
  de son occupant. C’est quand le signifiant maître est à une 
  certaine place que je parle du discours du maître; quand un certain savoir 
  l’occupe aussi, je parle de l’université; quand le sujet 
  dans sa division, fondatrice de l’inconscient, y est en place, que je 
  parle du discours de l’hystérique, et enfin quand le plus-de-jouir 
  l’occupe, que je parle du discours de l’analyste. Cette place, en 
  quelque sorte sensible, celle d’en haut et à gauche, pour ceux 
  qui ont été là et qui s’en souviennent encore, cette 
  place qui .est ici occupée dans le discours du maître parie Signifiant 
  en tant que maître, S1, cette place non désignée encore, 
  je la désigne de son nom, du nom qu’elle mérite, c’est 
  très précisément la place du semblant. C’est dire, 
  après ce que j’ai énoncé la dernière fois, 
  à quel point le signifiant, si je puis dire, y est à sa place. 
  D’où le succès du discours du maître, ce succès 
  tout de même, qui mérite bien qu’on y fasse attention un 
  instant, car enfin, qui peut croire qu’aucun maître ait jamais régné 
  par la force? Surtout au départ, parce qu’enfin, comme nous le 
  rappelle Hegel dans cet admirable escamotage, un homme en vaut un autre., Et 
  si le discours du maître fait [le lit], la structure, le point fort autour 
  de quoi s’ordonnent plusieurs civilisations, c’est que le ressort 
  est tout de même bien d’un autre ordre que la violence.
  Ce n’est pas dire que nous soyons sûrs d’aucune façon 
  que, dans ces faits dont il faut dire que nous ne pouvons les articuler qu’avec 
  la plus extrême précaution, que dès que nous les épinglons 
  d’un terme quelconque, primitif, prélogique, archaïque, et 
  quoi que ce soit de quelque ordre que ce soit, archaïque, archè, 
  ça serait le commencement, pourquoi? Et pourquoi ça serait pas 
  aussi un déchet, ces sociétés primitives ? Mais rien ne 
  le tranche. Ce qui est certain, c’est qu’elles nous montrent qu‘il 
  n’est pas obligé que les choses s’établissent en fonction 
  du discours du maître; premièrement, la configuration mytho-rituelle, 
  qui est la meilleure façon de les épingler, n’implique pas 
  forcément l’articulation du discours du maître. Néanmoins, 
  il faut le dire, c’est une certaine forme d’alibi que de nous intéresser 
  tellement à ce qui n’est pas le discours du maître, dans 
  la plupart des cas une façon de noyer le poisson; pendant qu’on 
  s’occupe de ça, on ne s’occupe pas d’autre chose. Et 
  pourtant, le discours du maître est d’une
  
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  articulation essentielle, et la façon dont je l’ai dite devrait 
  être quelque chose à quoi certains, je ne dis pas vous tous, certains 
  devraient s’employer à rompre leur esprit. Parce que ce dont il 
  s’agit, et cela aussi je l’ai bien accentué la dernière 
  fois, ce dont il s’agit, tout ce qui peut arriver de nouveau et qu’on 
  appelle, je le dis depuis toujours, en insistant sur le tempérament qu’il 
  convient d’y mettre, de ce qu’on appelle révolutionnaire, 
  ne peut consister qu’en un changement, qu’en un déplacement 
  du discours, à savoir sur chacune de ces places, je voudrais en quelque 
  sorte, pour faire image, – mais à quelle sorte de crétinisation 
  l’image peut-elle conduire! –, représenter par si on peut 
  dire quatre godets, qui auraient chacun leur nom, la façon dont dans 
  ces godets glissent un certain nombre de termes, nommément ce que j’ai 
  distingué de S1, S2, en tant .qu’au point où nous en sommes 
  S2 constitue un certain corps de savoir, le petit a, en tant qu’il est 
  directement conséquence du discours du maître, le $ qui dans le 
  discours du maître, occupe cette place qui est une place dont nous allons 
  parler aujourd’hui, que j’ai déjà nommée, elle, 
  qui est la place de la vérité.
  La vérité n’est pas le contraire du semblant, la vérité 
  si je puis dire est cette dimension, ou cette demansion, d.e.m.a.n.s.i.o.n, 
  si vous me permettez de faire un nouveau mot, pour désigner ces godets, 
  cette demansion qui est strictement corrélative de celle du semblant. 
  Cette demansion, je vous l’ai dit qui, cette dernière, celle du 
  semblant, la supporte. Alors, quelque chose s’indique tout de même 
  d’où veut en venir ce semblant. Il est clair que la question est 
  peut-être un peu à côté, qui est celle, alors là, 
  qui m’est revenue par des voies tout à fait indirectes, deux jeunes 
  têtes que je salue si elles sont encore là aujourd’hui, qu’elles 
  soient pas offensées qu’on les ait entendues au passage, qui se 
  demandaient, en hochant gravement de leur bonnet, paraît-il: « Est-ce 
  que c’est un idéaliste pernicieux ? » Est-ce que je suis 
  un idéaliste pernicieux ? Ça me paraît être tout à 
  fait à côté de la question! Parce que j’ai commencé 
  — et avec quel accent, je dirai que, je disais le contraire de ce que 
  j’avais à dire exactement — par mettre l’accent sur 
  ceci que le discours, c’est l’artefact. Ce que j’amorce avec 
  ça, c’est exactement le contraire, parce que le semblant, c’est, 
  c’est le contraire de l’artefact. Comme je l’ai fait remarquer, 
  dans la nature le semblant, ça foisonne. La question, dès qu’il 
  ne s’agit plus de la connaissance, dès qu’on ne croit pas 
  que c’est par la voie de la perception, dont nous extrairions je ne sais 
  quelle quintessence, que nous connaissons quelque chose, mais au moyen d’un 
  appareil qui est le discours, il n’est plus question de l’idée.
  La première fois d’ailleurs que l’idée a fait son 
  apparition, elle était un peu mieux située qu’après 
  les exploits de l’évêque Berkeley. C’est de Platon 
  qu’il
  
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  s’agissait, et qui se demandait où était le réel 
  de ce qui était nommé un cheval. Son idée de l’idée, 
  c’était l’importance de cette dénomination. Dans cette 
  chose multiple et transitoire, d’ailleurs parfaitement obscure à 
  son époque plus qu’à la nôtre, est-ce que toute la 
  réalité d’un cheval n’est pas dans cette idée 
  en tant que ça veut dire le signifiant, un cheval. Faut pas croire que, 
  parce qu’Aristote met l’accent de la réalité sur l’individu, 
  il est beaucoup plus avancé. L’individu, ça veut exactement 
  dire ce qu’on ne peut pas dire. Et jusqu’à un certain point, 
  si Aristote n’était pas le merveilleux logicien qu’il est, 
  qui a fait là le pas unique, le pas décisif, grâce à 
  quoi nous avons un repère concernant ce que c’est qu’une 
  suite articulée de signifiants, on pourrait dire que, dans sa façon 
  de pointer ce qu’est l’ousia, autrement dit le réel, il se 
  comporte comme un mystique, le propre de l’ousia, c’est lui-même 
  qui le dit, c’est qu’elle ne peut d’aucune façon être 
  attribuée, elle n’est pas dicible. Ce qui n’est pas dicible, 
  c’est précisément ce qui est mystique. Seulement il semble, 
  il n’abonde pas de ce côté-là, mais il laisse la place 
  au mystique. C’est évident que la solution de la question de l’idée 
  ne pouvait pas venir à Platon. C’est du côté de la 
  fonction et de la variable que tout ça trouve sa solution.
  S’il est clair que, s’il y a quelque chose que je suis, c’est 
  que je ne suis pas nominaliste, je veux dire que je ne pars pas de ceci que 
  le nom, c’est quelque chose qui se plaque comme ça, sur du réel. 
  Et il faut choisir; si on est nominaliste, il faut complètement renoncer 
  au matérialisme dialectique, de sorte qu’en somme la tradition 
  nominaliste, qui est à proprement parler le seul danger d’idéalisme 
  qui peut se produire ici dans un discours tel que le mien, est très évidemment 
  écartée. Il ne s’agit pas d’être réaliste 
  au sens où on l’était au Moyen-âge, le réalisme 
  des universaux, mais il s’agit de désigner, de pointer ceci que 
  notre discours, notre discours scientifique, ne trouve le réel qu’à 
  ce qu’il dépend de la fonction du semblant.
  Les effets de l’articulation, j’entends algébrique, du semblant 
  et comme tel il ne s’agit que de lettres, voilà le seul appareil 
  au moyen de quoi nous désignons ce qui est réel; ce qui est réel, 
  c’est ce qui fait trou dans ce semblant. Dans ce semblant articulé 
  qu’est le discours scientifique, le discours scientifique progresse sans 
  plus même se préoccuper s’il est ou non semblant. Il s’agit 
  seulement que son réseau, que son filet, que son lattice, comme on dit, 
  fasse apparaître les bons trous à la bonne place. Il n’a 
  de référence que l’impossible auquel aboutissent ses déductions; 
  cet impossible, c’est le réel. L’appareil du discours en 
  tant que c’est lui, dans sa rigueur, qui rencontre les limites de sa consistance, 
  voilà avec quoi nous visons, dans la physique, quelque chose qui est 
  le réel.
  
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  Ce qui nous importe dans ce qui nous concerne, à savoir le champ de la 
  vérité – et pourquoi est-ce le champ de la vérité, 
  seulement ainsi qualifiable, qui nous concerne, je vais essayer de l’articuler 
  aujourd’hui — pour ce qui nous concerne, nous avons affaire à 
  quelque chose qui se rend compte qu’il diffère de cette position 
  dans la physique, du réel, ce quelque chose qui résiste, qui n’est 
  pas perméable à tout sens, qui est conséquence de notre 
  discours, cela s’appelle le fantasme. Et ce qui est à éprouver, 
  ce sont ses limites, c’est sa structure, la fonction, le rapport dans 
  un discours d’un des termes, du petit a, le plus-de-jouir, à l’s 
  du sujet, soit précisément le point qui, dans le discours du maître, 
  est rompu. Voilà ce que nous avons à éprouver dans sa fonction, 
  quand dans la position tout opposée, celle où le petit a occupe 
  cette place c’est le sujet qui est en face, cette place où il est 
  interrogé, c’est là que le fantasme doit prendre son statut, 
  son statut qui est défini par la part même d’impossibilité 
  qu’il y a dans l’interrogation analytique.
  Pour éclairer ce qu’il en est d’où je veux en venir, 
  j’irai à ce que je veux aujourd’hui marquer, de ce qu’il 
  en est de la théorie analytique. A ce titre, je ne reviens pas, je saute 
  par-dessus une fonction qui s’exprime d’une certaine façon 
  de parler que j’ai ici m’adressant à vous. Je ne puis faire 
  néanmoins que d’attirer votre attention sur ceci que, si la dernière 
  fois, je vous ai interpellés du terme qui a pu paraître impertinent, 
  à combien juste titre, à beaucoup, de plus de jouir pressé, 
  devrais-je parler alors de quelque espèce de [...], de [...] pressé? 
  Ça a pourtant un sens, un sens qui est celui de ce que préserve 
  mon discours, qui en aucun cas n’a le caractère de ‘ce que 
  Freud a désigné comme le discours du leader. C’est bien 
  au niveau du’~discours, dans les débuts des années 20, que 
  Freud a articulé dans Maßenpsychologie und Ichanalyse quelque chose 
  qui singulièrement s’est trouvé être au principe du 
  phénomène nazi. Reportez-vous au schéma qu’il donne 
  dans cet article, à la fin du chapitre Identification; vous y verrez 
  presque là en clair indiquées les relations du grand I et du petit 
  a. Vraiment, le schéma semble fait pour qu’y soient portés 
  les signes lacaniens.
  Ce qui, dans un discours, s’adresse à l’Autre comme un Tu, 
  fait surgir l’identification à quelque chose qu’on peut appeler 
  l’idole humaine. Si j’ai parlé la dernière fois du 
  sang rouge comme étant le sang le plus vain à propulser contre 
  le semblant, c’est bien parce que vous l’avez vu, on ne saurait 
  s’avancer pour renverser l’idole, sans tout aussitôt après, 
  prendre sa place, comme on sait que c’est ce qui s’est passé 
  pour un certain type de martyrs! C’est bien dans la mesure où quelque 
  chose dans tout discours qui fait appel au Tu provoque à une identification 
  camouflée, secrète, qui n’est que celle à cet objet 
  énigmatique qui peut
  
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  être rien du tout, le tout petit plus de jouir d’Hitler, qui n’allait 
  peut-être pas plus loin que sa moustache, voilà ce qui a suffi 
  à cristalliser des gens qui... qui n’avaient rien de mystique! 
  qui étaient tout ce qu’il y a de plus engagés dans le procès 
  du discours du capitaliste, avec ce que ça comporte de mise en question 
  du plus de jouir sous sa forme de plus-value. Il s’agissait de savoir 
  si, à un certain niveau, on en aurait encore son petit bout, et c’est 
  bien ça qui a suffi à provoquer cet effet d’identification. 
  Il est amusant simplement que ça ait pris la forme d’une idéalisation 
  de la race, à savoir de la chose qui, dans l’occasion, était 
  la moins intéressée. Mais on peut trouver d’où procède 
  ce caractère de fiction, on peut le trouver. Ce qu’il faut dire 
  simplement, c’est qu’il n’y a aucun besoin de cette idéologie 
  pour qu’un racisme se constitue, qu’il y suffit d’un plus 
  de jouir qui se reconnaisse comme tel et que quiconque s’intéresse 
  un peu à ce qui peut advenir fera bien de se dire que toutes les formes 
  de racisme, en tant qu’un plus de jouir suffit très bien à 
  le supporter, voilà ce qui maintenant est à l’ordre du jour, 
  voilà ce qui pour les années à venir nous pend au nez.
  Vous allez mieux saisir pourquoi, quand je vous dirai ce que la théorie, 
  l’exercice authentique de la théorie analytique, nous permet de 
  formuler quant à ce qu’il en est du plus de jouir. On s’imagine, 
  on s’imagine qu’on dit quelque chose quand on dit que ce que Freud 
  a apporté, c’est la sous-jacence de la sexualité dans tout 
  ce qu’il en est du discours. On dit ça quand on a été 
  un tout petit peu touché par ce que j’énonce de l’importance 
  du discours pour définir l’inconscient, et puis qu’on ne 
  prend pas garde que je n’ai pas encore, moi, abordé ce qu’il 
  en es~ de ce terme sexualité, rapport sexuel. Il est étrange certes 
  – il n’est pas étrange que d’un seul point de vue, 
  le point de vue de la charlatanerie qui préside à toute action 
  thérapeutique dans notre société — il est étrange 
  qu’on ne se soit pas aperçu du monde qu’il y a entre ce terme, 
  sexualité, partout où il commence, où il commence seulement, 
  à prendre une substance biologique, et je vous ferai remarquer que, s’il 
  y a quelque part qu’on peut commencer de s’apercevoir du sens que 
  ça a, c’est plutôt du côté des bactéries, 
  du monde qu’il y a entre cela et ce dont il s’agit concernant ce 
  que Freud énonce des relations que l’inconscient révèle. 
  Quels que soient les trébuchements auxquels lui-même a pu succomber 
  dans cet ordre, ce que Freud révèle du fonctionnement de l’inconscient 
  n’a rien de biologique. Ça n’a le droit de s’appeler 
  sexualité que par ce qu’on appelle rapport sexuel; c’est 
  complètement légitime, d’ailleurs, jusqu’au moment 
  où on se sert de sexualité pour désigner autre chose, à 
  savoir ce qu’on étudie en biologie, à savoir le chromosome 
  et sa combinaison XY ou XX, où XX, XY, ça n’a absolument 
  rien à faire avec ce dont il s’agit qui a un nom
  
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  parfaitement énonçable, et qui s’appelle les rapports de 
  l’homme et de la femme. Il convient de partir de ces deux termes avec 
  leur sens plein, avec ce que ça comporte de relation. Parce qu’il 
  est très étrange quand on voit les petits essais timides que les 
  gens font pour penser à l’intérieur des cadres d’un 
  certain appareil qui est celui de l’institution psychanalytique, ils s’aperçoivent 
  que tout n’est pas réglé par les ébats qu’on 
  nous donne comme conflictuels, et ils voudraient bien autre chose, du non-conflictuel, 
  ça repose. Et alors là, ils s’aperçoivent par exemple 
  de ceci, c’est que, on n’attend pas du tout la phase phallique pour 
  distinguer une petite fille d’un petit garçon, ils sont pas du 
  tout pareils. Ils s’émerveillent! Et alors — je vous le signale 
  parce que d’ici que je vous retrouve, ça sera seulement au mois 
  de février le deuxième mercredi de février vous aurez peut-être 
  le temps de lire quelque chose, pour une fois que je conseille un livre, ça 
  fera monter le tirage, qui s’appelle Sex und Gender, and Gender, c’est 
  en anglais, pardon! C’est d’un nommé Stoller, c’est 
  très intéressant à lire, d’abord parce que ça 
  donne sur un sujet important, celui des transsexualistes, un certain nombre 
  de cas très bien observés avec leurs corrélats familiaux. 
  Vous savez peut-être que le transsexualisme, ça consiste très 
  précisément en un désir très énergique de 
  passer par tous les moyens à l’autre sexe, fût-ce à 
  se faire opérer, quand on est du côté mâle. Voilà! 
  ce transsexualisme, avec les coordonnées, les observations qui sont là, 
  vous y apprendrez certainement beaucoup de choses, car ce sont des observations 
  tout à fait utilisables. Vous y apprendrez également ceci, le 
  complet... le caractère complètement inopérant de l’appareil 
  dialectique avec lequel l’auteur de ce livre traite ces questions, et 
  qui fait que surgissent tout à fait directement les plus grandes difficultés 
  qu’il rencontre pour expliquer ses cas. Une des choses les plus surprenantes, 
  c’est que la face psychotique de ces cas est complètement éludée 
  par lui, faute bien entendu de tout repère, la forclusion lacanienne 
  ne lui étant jamais parvenue aux oreilles, ce qui explique tout de suite 
  et très aisément la forme de ces cas. Mais qu’importe! L’important 
  est ceci, c’est que pour parler d’identité de genre, ce qui 
  n’est rien d’autre que ce que je viens d’exprimer comme ce 
  terme, l’homme et la femme, il est clair que la question n’est posée 
  de ce qui en surgit précocement qu’à partir de ceci qu’à 
  l’âge adulte, il est du destin des êtres parlants de se répartir 
  entre hommes et femmes et que pour comprendre l’accent qui est mis sur 
  ces choses, sur cette instance, il faut se rendre compte que ce qui définit 
  l’homme, c’est son rapport à la femme, et inversement. Que 
  rien ne nous permet dans ces définitions de l’homme et de la femme, 
  de les abstraire de l’expérience parlante complète, jusques 
  et y compris dans les institutions où elles s’expriment, à 
  savoir le mariage.
  
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  Si on ne comprend pas qu’il s’agit, à l’âge adulte, 
  de faire-homme, que c’est cela qui constitue la relation à l’autre 
  partie, que c’est à la lumière, au départ, en partant 
  de ceci qui constitue une relation fondamentale, qu’est interrogé 
  tout ce qui dans le comportement de l’enfant peut être interprété 
  comme s’orientant vers ce faire-homme par exemple, et que de ce faire-homme, 
  l’un des corrélats essentiels, c’est de faire signe à 
  la fille qu’on l’est, que nous nous trouvons pour tout dire placés 
  d’emblée dans la dimension du semblant, mais aussi bien, tout en 
  témoigne, y compris les références qui sont communes, qui 
  traînent partout, à la parade sexuelle chez les mammifères 
  supérieurs principalement, mais aussi bien chez les... dans un très 
  très grand nombre de vues que nous pouvons avoir très très 
  loin dans le phylum animal, qui montre le caractère essentiel, dans le 
  rapport sexuel, de quelque chose qu’il convient parfaitement de limiter 
  au niveau où nous le touchons, qui n’a rien à faire ni avec 
  un niveau cellulaire, qu’il soit chromosomique ou pas, ni avec un niveau 
  organique, qu’il s’agisse ou non de l’ambiguïté 
  de tel ou tel tractus concernant la gonade, c’est à savoir un niveau 
  éthologique qui est celui-ci, celui proprement d’un semblant. C’est 
  en tant que le mâle, le mâle le plus souvent, la femelle n’en 
  est pas absente puisqu’elle est précisément le sujet qui 
  est atteint par cette parade, c’est en tant qu’il y a parade que 
  quelque chose qui s’appelle copulation sexuelle, sans doute, dans sa fonction, 
  mais qui trouve son statut d’éléments d’identité 
  particuliers, il est certain que le comportement sexuel humain trouve référence 
  aisément dans cette parade telle qu’elle est définie au 
  niveau animal. Il est certain que le comportement sexuel humain consiste dans 
  un certain maintien de ce semblant animal, la seule chose qui l’en différencie, 
  c’est que ce semblant soit véhiculé dans un discours, et 
  que c’est à ce niveau de discours, à ce niveau de discours 
  seulement, qu’il est porté vers, permettez-moi, quelque effet qui 
  ne serait pas du semblant. Ça veut dire que, au lieu d’avoir l’exquise 
  courtoisie animale, il arrive, il arrive aux hommes de violer une femme, ou 
  inversement. Aux limites du discours, en tant qu’il s’efforce de 
  faire tenir le même semblant, il y a de temps en temps du réel 
  – c’est ce qu’on appelle le passage à l’acte, 
  je ne vois pas de meilleur endroit pour désigner ce que ça veut 
  dire. Observez que dans la plupart des cas, le passage à l’acte 
  est soigneusement évité. Ça n’arrive que par accident; 
  et c’est bien là aussi une occasion d’éclairer ce 
  qu’il en est de ce que je différencie depuis longtemps du passage 
  à l’acte, à savoir l’acting out, faire passer le semblant 
  sur la scène, le monter à la hauteur de la scène, en faire 
  exemple, voilà ce qui dans cet ordre s’appelle l’acting out. 
  On appelle ça encore la passion. Mais, je suis forcé d’aller 
  vite, vous remarquerez que c’est à ce propos, et là tel 
  que je viens d’éclairer les
  
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  choses, qu’on peut bien pointer, bien désigner ceci, c’est 
  ce que j’ai dit tout le temps, c’est que si le discours est là 
  en tant qu’il permet l’enjeu de ce qu’il en est du plus de 
  jouir, à savoir, j’y mets tout le paquet, c’est très 
  précisément ce qui est interdit au discours sexuel.
  Il n’y a pas d’acte [? ou: rapport?] sexuel, je l’ai déjà 
  exprimé plusieurs fois, je l’aborde ici sous un autre angle. Et 
  ceci est rendu tout à fait sensible par l’économie, mais 
  massive, de la théorie analytique, à savoir de ce que Freud a 
  rencontré et lui d’abord si innocemment, si je puis dire, que c’est 
  en cela qu’il est symptôme, c’est-à-dire qu’il 
  fait avancer les choses au point où elles nous concernent, sur le plan 
  de la vérité. Le mythe de l’Œdipe, qui ne voit qu’il 
  est nécessaire à désigner le réel, car c’est 
  bien ce qu’il a la prétention de faire, ou plus exactement ce à 
  quoi le théoricien est réduit, quand il formule cet hypermythe, 
  c’est que le réel à proprement parler s’incarne.., 
  de quoi? de la jouissance sexuelle, comme quoi? comme impossible, puisque ce 
  que l’Œdipe désigne, c’est l’être mythique 
  dont la jouissance — sa jouissance — serait celle — de quoi? 
  de toutes les femmes. Qu’une... qu’un appareil semblable soit ici 
  en quelque sorte imposé par le discours même, est-ce que ce n’est 
  pas là le recoupement le plus sûr de ce que j’énonce 
  de théorie, concernant la prévalence du discours, concernant tout 
  ce qu’il en est précisément de la jouissance? Ce que la 
  théorie analytique articule est quelque chose dont le caractère 
  saisissable comme objet est ce que je désigne de l’objet petit 
  a, en tant que par un certain nombre de contingences organiques favorables, 
  il vient remplir sein, excrément, regard ou voix, la place définie 
  comme celle du plus de jouir.
  Qu’est-ce que la théorie énonce sinon ceci: quelque chose 
  qui tend, ce rapport du plus de jouir, rapport au nom de quoi la fonction de 
  la mère vient à un point tellement prévalent dans toute 
  notre observation analytique, le plus de jouir ne se normalise que d’un 
  rapport qu’on établit à la jouissance sexuelle, à 
  ceci près que cette jouissance, cette jouissance sexuelle ne se formule, 
  ne s’articule du phallus en tant qu’il est son signifiant, le phallus; 
  quelqu’un a écrit un jour ceci, que ce serait le signifiant qui 
  désignerait le manque de signifiant, c’est absurde, je n’ai 
  jamais articulé une chose pareille. Le phallus est très proprement 
  la jouissance sexuelle en tant qu’elle est coordonnée, qu’elle 
  est solidaire d’un semblant.
  C’est bien ce qui se passe et c’est là ce dont-il est assez 
  étrange de voir tous les analystes s’efforcer de détourner 
  leur regard; loin d’avoir toujours plus insisté sur ce tournant, 
  cette crise de la phase phallique, tout leur est bon pour l’éluder, 
  la crise, la vérité à laquelle il n’est pas un de 
  ces jeunes êtres parlants qui n’ait à
  
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  faire face, c’est qu’il y en a qui n’en ont pas de phallus. 
  Double intrusion au manque, parce que, il y en a qui n’en ont pas et puis, 
  cette vérité manquait jusqu’à présent. L’identification 
  sexuelle ne consiste pas à se croire homme ou femme, mais à tenir 
  compte de ce qu’il y ait des femmes, pour le garçon, de ce qu’il 
  y ait des hommes, pour la fille. Et ce qui est important, ça n’est 
  même pas tellement ce qu’ils éprouvent, c’est une situation 
  réelle, permettez-moi, c’est que pour les hommes, la fille, c’est 
  le phallus. Et que c’est ce qui les châtre. Que pour les femmes, 
  le garçon, c’est la même chose, le phallus et c’est 
  ça qui les châtre aussi, parce qu’elles n’acquièrent 
  qu’un pénis et que c’est raté. Le garçon ni 
  la fille d’abord ne courent de risques que par les drames qu’ils 
  déclenchent, ils sont le phallus pendant un moment. Voilà le réel, 
  le réel de la jouissance sexuelle en tant qu’elle est détachée 
  comme telle, c’est le phallus, autrement dit le Nom du Père, l’identification 
  de ces deux termes ayant en son temps scandalisé quelques [ou: de pieuses] 
  personnes.
  Mais il y a quelque chose qui vaut la peine qu’on y insiste un peu plus. 
  Quelle est la part, au fond, fondatrice dans cette opération de semblant, 
  telle que celle que nous venons de définir au niveau du rapport homme 
  et femme, quelle est la place du semblant, du semblant archaïque? C’est 
  assurément ce pour quoi il vaut la peine de retenir un peu plus le moment 
  de ce que représente la femme. La femme, c’est précisément 
  dans cette relation, ce rapport, pour l’homme, l’heure de la vérité. 
  La femme est en position, au regard de la jouissance sexuelle, de ponctuer l’équivalence 
  de la jouissance et du semblant. C’est bien en cela que gît la distance 
  où se trouve d’elle, l’homme. Si j’ai parlé 
  d’heure de la vérité, c’est parce que c’est 
  celle à quoi toute la formation de l’homme est faite pour répondre, 
  en maintenant envers et contre tout le statut de son semblant. Il est certainement 
  plus facile à l’homme d’affronter aucun ennemi sur le plan 
  de la rivalité que d’affronter la femme en tant qu’elle est 
  le support de cette vérité, de ce q~u’il y a de semblant 
  dans le rapport de l’homme à la femme.
  A la vérité, que le semblant soit ici la jouissance, pour l’homme, 
  est suffisamment indiquer que la jouissance est semblant. C’est parce 
  qu’il est à l’intersection de ces deux jouissances que l’homme 
  subit au maximum le malaise de ce rapport qu’on désigne comme sexuel. 
  Comme disait l’autre, ces plaisirs qu’on appelle physiques.
  Par contre, nulle autre que la femme, car c’est en cela qu’elle 
  est l’Autre, nulle autre que la femme ne sait mieux ce qui, de la jouissance 
  et du semblant, est disjonctif parce qu’elle est la présence de 
  ce quelque chose qu’elle sait, à savoir que jouissance et semblant, 
  s’ils s’équivalent, dans une dimension du discours, n’en
  
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  sont pas moins distincts dans l’épreuve, que la femme représente 
  pour l’homme la vérité, tout simplement, à savoir 
  celle-là seule qui peut donner sa place en tant que telle au semblant. 
  Il faut le dire, tout ce qu’on nous a énoncé comme étant 
  le ressort de l’inconscient ne représente rien que l’horreur 
  de cette vérité. C’est ça bien sûr qu’aujourd’hui, 
  j’essaie, je tente de vous développer comme on fait des fleurs 
  japonaises. Ce n’est pas particulièrement agréable à 
  entendre, c’est ce qu’on empaquette d’habitude sous le registre 
  du complexe de castration. Moyennant quoi, là, avec cette petite étiquette, 
  on est calme, on peut le laisser de côté, on n’a plus jamais 
  rien à en dire, sinon que c’est là et qu’on lui fait 
  une petite révérence de temps en temps.
  Mais que la femme soit la vérité de l’homme, que cette vieille 
  histoire proverbiale, quand il s’agit de comprendre quelque chose, le 
  « cherchez la femme », à quoi on donne naturellement une 
  interprétation policière, soit quelque chose de tout autre, à 
  savoir que pour avoir la vérité d’un homme, on ferait bien 
  de savoir quelle est sa femme. J’entends, son épouse, à 
  l’occasion, et pourquoi pas? C’est le seul endroit où ça 
  ait un sens, ce que quelqu’un un jour dans mon entourage a appelé 
  le pèse-personne. Pour peser une personne, rien de tel que de peser sa 
  femme. Quand il s’agit d’une femme, c’est pas la même 
  chose! Parce que la femme a une très grande liberté...
  —Plus fort!
  — Qu’est-ce qu’il y a?
  — On n’entend pas!
  — Vous n’entendez pas?
  — Non!
  — J’ai dit: la femme a une très grande liberté à 
  l’endroit du semblant! Elle arrivera à donner du poids même 
  à un homme qui n’en a aucun. C’est des... c’est des 
  vérités, bien sûr, qui, au cours des siècles, étaient 
  déjà parfaitement repérées depuis longtemps, mais 
  qui ne sont jamais dites que de bouche à bouche, si je puis dire. Et 
  toute une littérature est faite, existe, il s’agirait de connaître 
  son ampleur, naturellement ça n’a d’intérêt 
  que si on prend la meilleure.
  Quelqu’un dont, par exemple, il faudrait un jour que quelqu’un se 
  charge, c’est Baltazar Gracián, qui était un jésuite 
  éminent, et qui a écrit de ces choses parmi les plus intelligentes 
  qu’on puisse écrire. Leur intelligence est absolument prodigieuse 
  en ceci que tout ce dont il s’agit, à savoir établir ce 
  qu’on peut appeler la sainteté de l’homme, en un mot résume-t-il, 
  résume-t-il quoi? son livre sur L’Homme de cour, en un mot, deux 
  points: être un saint. C’est le seul point de la civilisation occidentale 
  où le mot saint ait le même sens qu’en
  
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  chinois, Tchen-Tchen. Notez ce point parce que, cette référence, 
  parce que tout de même il est tard, aujourd’hui, et ce n’est 
  pas aujourd’hui que je l’introduirai, je vous ferai cette année 
  quelques petites références aux origines de la pensée chinoise.
  Quoi qu’il en soit, oui! je me suis aperçu d’une chose, c’est 
  que peut-être je ne suis lacanien que parce que j’ai fait du chinois 
  autrefois. Je veux dire par là que je m’aperçois à 
  relire des trucs comme ça, que j’avais parcouru, mais ânonné, 
  enfin! comme un nigaud, avec des oreilles d’âne, je me suis aperçu 
  à les relire maintenant que, enfin! c’est de plain-pied avec ce 
  que je raconte.
  Je ne sais pas, je donne un exemple; dans Mencius, qui est un des livres fondamentaux, 
  canoniques, de la pensée chinoise, il y a un type, qui est son disciple 
  d’ailleurs, ce n’est pas lui, mais qui commence d’énoncer 
  des choses comme ceci:
  « Ce que vous ne trouvez pas du côté yen, c’est le 
  discours, ne le cherchez pas du côté de votre esprit. » Enfin 
  je vous traduis esprit, c’est hsin, mais ça veut dire que, par 
  hsin qui veut dire le cœur, ce qu’il désignait, c’était 
  bel et bien l’esprit, le Geist de Hegel. Mais enfin ça demanderait 
  un tout petit peu plus de développements. « Et si vous ne trouvez 
  pas du côté de votre esprit, ne le cherchez pas du côté 
  de votre tchi», c’est-à-dire de, de ce que les jésuites 
  traduisent comme ça, comme ils peuvent, en perdant un peu le souffle, 
  de votre sensibilité. Je ne vous indique cet étagement que pour 
  vous dire la distinction qu’il y a très stricte entre ce qui s’articule, 
  ce qui est du discours, et ce qui est de l’esprit, à savoir l’essentiel, 
  si vous n’avez pas déjà trouvé au niveau de la parole, 
  c’est désespéré, n’essayez pas d’aller 
  chercher ailleurs au niveau des sentiments. Meng-tseu, Mencius, se contredit, 
  c’est un fait, mais il s’agit de savoir par quelle voie et pourquoi.
  Ceci pour vous dire que, une certaine façon de mettre au premier plan, 
  tout à fait, le discours, c’est pas du tout quelque chose qui nous 
  fasse remonter à des archaïsmes. Parce que le discours à 
  cette époque, à l’époque de Mencius, était 
  déjà parfaitement articulé et constitué. Ça 
  n’est pas au moyen des références à une pensée 
  primitive qu’on peut le comprendre. A la vérité, je ne sais 
  pas ce que c’est qu’une pensée primitive. Une chose beaucoup 
  plus concrète que nous avons à notre portée, c’est 
  ce qu’on appelle le sous-développement. Mais ça, le sous-développement, 
  ça n’est pas archaïque, chacun sait que c’est produit 
  par l’extension du règne capitaliste. Je dirai même plus, 
  ce dont on s’aperçoit, et dont on s’apercevra de plus en 
  plus, c’est que le sous-développement, c’est très 
  précisément la condition du progrès capitaliste. Sous un 
  certain angle, la révolution d’Octobre elle-même en est une 
  preuve.
  
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  Mais ce qu’il faut voir, c’est que ce à quoi nous avons à 
  faire face c’est à un sous-développement qui va être 
  de plus en plus patent, de plus en plus étendu. Seulement, ce qu’il 
  s’agit en somme, c’est que nous mettions à l’épreuve 
  ceci: si la clef des divers problèmes qui vont se proposer à nous 
  n’est pas de nous mettre au niveau de cet effet de l’articulation 
  capitaliste que j’ai laissée dans l’ombre l’année 
  dernière à ne vous donner que sa racine dans le discours du maître, 
  je pourrai peut-être en donner un peu plus cette année. Il conviendrait.., 
  il faut voir ce que nous pouvons tirer de ce que j’appellerai une logique 
  sous-développée. C’est cela que j’essaie d’articuler 
  devant vous, comme disent les textes chinois, « pour votre meilleur usage 
  ».
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note 
  : 
  bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou 
  si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance 
  de m'adresser un 
  émail.
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