XVIII- d'un discours qui ne serait pas
du semblant
version rue CB en
cours note
13 janvier 1971
Lacan écrit au tableau : D’un discours qui ne serait pas du semblant.
D’un discours, ce n’est pas du mien qu’il
s’agit. Je pense l’année dernière vous avoir assez
fait sentir ce qu’il faut entendre par ce terme discours. Je rappelle
le discours du Maître et ses quatre, disons, positions, les déplacements
de ces termes au regard d’une structure, réduite à être
tétraédrique. J’ai laissé, à qui voulait s’y
employer, de préciser ce qui justifie... ces... ces glissements qui auraient
pu être plus diversifiés, je les ai réduits à quatre.
Le privilège de ces quatre, si personne ne s’y emploie, peut-être
cette année vous en donnerai-je en passant l’indication.
Je ne prenais ces références qu’au regard de ce qui était
ma fin, énoncée dans le titre l’Envers de la psychanalyse.
Le discours du Maître n’est pas l’envers de la psychanalyse,
il est où se démontre la torsion propre, dirais-je, du discours
de la psychanalyse, ce qui fait que ce discours [fait] poser la question d’un
endroit et d’un envers puisque vous savez l’importance, l’accent,
qui est mis dans la théorie, dès son émission par Freud,
l’importance et l’accent, qui est mis sur la double inscription.
Or, ce qu’il s’agissait de vous faire toucher du doigt, c’est
la possibilité d’une inscription double, à l’endroit,
à l’envers, sans qu’ait à être franchi un bord.
C’est la structure dès longtemps.., bien connue, dont je n’ai
eu qu’à faire usage, dite de la bande de Moebius.
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Ces places et ces éléments, c’est d’où se désigne
que, de ce qui [est] à proprement parler discours, ne saurait d’aucune
façon se référer d’un sujet, bien qu’il le
détermine. C’est là sans doute, l’ambiguïté
de ce par quoi j’ai introduit ce que je pensais devoir faire entendre
à l’intérieur du discours psychanalytique. Rappelez-vous
mes termes, au temps où j’intitulai un certain rapport de la fonction
et du champ de la parole et du langage dans la psychanalyse. Intersubjectivité,
écrivis-je alors, et Dieu sait à quelle fausse trace l’énoncé
de termes tels que celui-là peut donner occasion. Qu’on m’excuse
d’avoir eu, ces traces, à les faire premières. Je ne pouvais
aller au-devant que du malentendu. Inter, certes, en effet, c’est ce que
seule la suite m’a permis d’énoncer d’une intersignifiance,
subjectivité de sa conséquence, le signifiant étant ce
qui représente un sujet pour un autre signifiant où le sujet n’est
pas. C’est bien en cela que, pour ce que, là où il est représenté,
il est absent, que représenté tout de même, il se trouve
ainsi divisé. Le discours, ce n’est pas seulement qu’il ne
peut plus dès lors être jugé qu’à la lumière
de son ressort inconscient, c’est qu’il ne peut plus être
énoncé comme quelque chose d’autre que ce qui s’articule
d’une structure où quelque part il se trouve aliéné
d’une façon irréductible. D’où mon énoncé
introductif: D’un discours — je m’arrête — ce
n’est pas le mien. C’est de cet énoncé, discours comme
ne pouvant être comme tel discours d’aucun — particulier —
mais se fondant d’une structure et de l’accent que lui donne la
répartition, le glissement de certains de ses termes, c’est de
là que je pars cette année pour ce qui s’intitule D’un
discours qui ne serait pas du semblant.
A ceux qui n’ont pu l’année dernière suivre ces énoncés
qui sont donc préalables, j’indique que la parution, qui date déjà
de plus d’un mois, de Scilicet 2/3 leur en donnera les références
inscrites. Scilicet 2/3, parce que c’est un écrit, c’est
un événement, sinon un avènement de discours. D’abord
en ceci, c’est que celui dont je me trouve l’instrument, sans qu’on
puisse éluder qu’il nécessite votre presse, autrement dit
que vous soyez là et très précisément sous cet aspect
dont quelque chose de singulier fait la presse, assurément avec, disons,
les incidences de notre histoire qu’il est quelque chose qui se touche
qui renouvelle la question de ce qui peut en être du discours en tant
qu’il est le discours du maître, ce quelque chose qui ne peut faire
que de quelque chose dont on s’interroge à le dénommer.
N’allez pas trop vite à vous servir du mot révolution. Mais
il est clair qu’il faut discerner ce qu’il en est de ce qui, en
somme, me permet de poursuivre mes énoncés, de cette formule D’un
discours qui ne serait pas du semblant. Deux traits sont ici à retenir
dans ce numéro de Scilicet, c’est que je mets à l’épreuve,
somme toute à peu près, à quelque chose près qui
est en plus mon discours de
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l’année dernière, dans une configuration qui justement se
caractérise par l’absence de ce que j’ai appelé cette
presse de votre présence, et pour y mettre son plein accent, je le dirai
de ces termes, ce que cette présence signifie, je l’épinglerai
du plus-de-jouir pressé. Car c’est très précisément
de cette figure que peut être estimé, si elle va au-delà
d’une gêne comme on dit, concernant trop de semblance dans le discours
où vous êtes inscrits, le discours universitaire, celle qu’il
est facile de dénoncer d’une neutralité, par exemple, que
ce discours ne peut prétendre soutenir [d’] une sélection
compétitive quand il ne s’agit que des signes qui s’adressent
aux avertis, [d’] une formation du sujet quand il s’agit de bien
autre chose. Pour aller au-delà de cette gêne des semblances, pour
que quelque chose s’espère qui permette d’en sortir, rien
ne le permet que de poser qu’un certain mode, un certain mode de rigueur
dans l’avancement d’un discours, ne clive, en position dominante
dans ce discours, ce qu’il en est de ce triage, de ces globules de plus-de-jouir
au titre de quoi vous vous trouvez, dans le discours universitaire, pris., C’est
précisément que quelqu’un, à partir du discours analytique,
se mette à votre regard dans la position de l’analysant, ce n’est
pas nouveau, je l’ai déjà dit mais personne n’y a
fait attention, c’est cela qui constitue l’originalité de
cet enseignement, c’est ce qui motive ce que vous lui apportez de votre
presse et c’est ce qu’à parler à la radio, j’ai
mis à l’épreuve de cette soustraction précisément
de cette présence, de cet espace où vous vous pressez, annulé
et remplacé par l’Il existe pur de cette intersignifiance dont
je parlais tout à l’heure pour qu’y vacille le sujet. C’est
simplement un aiguillage vers quelque chose dont l’avenir dira la portée
possible.
Il est un autre trait de ce que j’ai appelé cet événement,
cet avènement de discours, c’est cette chose imprimée qui
s’appelle Scilicet, c’est, comme un certain nombre déjà
le savent, qu’on y écrit sans signer. Qu’est-ce que ça
veut dire ? Que chacun de ces noms qui se trouvent mis en colonne à la
dernière page de ces trois numéros qui constituent une année,
peut être permuté avec chacun des autres, affirmant de là
qu’aucun discours ne saurait être d’auteur. Ça c’est
un pari. Là, ça parle, dans l’autre cas, c’est...
negieren [?], là l’avenir dira si c’est la formule que, disons
dans cinq, six ans adopteront toutes les revues, les revues bien, s’entend,
c’est un pari, on verra!
Je n’essaie pas dans ce que je dis de sortir de ce qui est ressenti, éprouvé
dans mes énoncés, comme accentuant, comme tenant à l’artefact
du discours. C’est dire bien sûr, c’est la moindre des choses,
que ce faisant, ça exclut que je prétende tout en couvrir, ça
ne peut être un système, ça n’est, à ce titre,
pas une philosophie. Il est clair qu’à quiconque prend sous le
biais où l’analyse nous permet de
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renouveler ce qu’il en est du discours, ceci implique qu’on se déplace,
je dirai dans un désunivers, ce n’est pas la même chose que
divers. Mais même à ce divers je ne répugnerai pas et pas
seulement pour ce qu’il implique de diversité mais jusqu’à
ce qu’il implique de diversion. Il est très clair aussi que je
ne parle pas de tout. C’est même dans ce que j’énonce,
ça résiste à ce qu’on parle de tout à son
propos. Ça se touche du doigt tous les jours. Même sur ce que j’énonce
que je ne dise pas tout, cela est autre chose, je l’ai déjà
dit, ça tient à ceci que la vérité n’est qu’à
mi-dire.
Ce discours donc, [qui] se confine à n’agir que dans l’artefact,
n’est en somme que le prolongement de la position de l’analyste,
en tant qu’elle se définit de mettre le poids de son plus-de-jouir
à une certaine place. C’est néanmoins la position qu’ici
je ne saurais soutenir, très précisément de n’être
pas dans cette position de l’analyste. Comme je l’ai dit tout à
l’heure, à ceci près qu’il vous y manque le savoir,
c’est plutôt vous qui y seriez, dans votre presse. Ceci dit, quelle
peut être la portée de ce que, dans cette référence,
j’énonce?
D’un discours qui ne serait pas du semblant, ça peut s’énoncer
de ma place et en fonction de ce que j’ai énoncé précédemment,
c’est un fait en tout cas que je l’énonce. Remarquez que
c’est un fait aussi puisque je l’énonce. Vous pouvez n’y
voir que du feu, c’est-à-dire penser qu’il n’y a rien
de plus que le fait que je l’énonce. Seulement, si j’ai parlé
à propos du discours, d’artefact, c’est que pour le discours,
il n’y a rien de fait, si je puis dire, déjà, il n’y
a de fait que du fait de le dire, le fait énoncé est tout ensemble
le fait de discours. C’est ça que je désigne par le terme
d’artefact, et bien entendu, c’est ce qu’il s’agit de
réduire. Parce que, si je parle d’artefact, c’est pas pour
en faire surgir l’idée de quelque chose qui serait autre, une nature,
dont vous auriez tort de vous y engager pour en affronter les embarras, parce
que vous n’en sortiriez pas. La question ne s’instaure pas dans
les termes: est-ce ou n’est-ce pas du discours? mais dans ceci : c’est
dit ou ce n’est pas dit. Je pars de ce qui est dit, dans un discours dont
l’artefact est supposé suffire à ce que vous soyez là;
ici, coupure, car je n’ajoute pas, à ce que vous soyez là
à l’état de plus-de-jouir pressé. J’ai dit
coupure parce qu’il est questionnable de savoir si c’est en tant
que plus-de-jouir pressé déjà que mon discours vous rassemble.
Il n’est pas tranché, quoi qu’en pensent tels ou tels, que
ce soit ce discours, celui de la suite des énoncés que je vous
présente, qui vous mette où? [vous] dans cette position d’où
il est questionnable par le « parle pas » [...je ne parle pas] d’un
discours qui ne serait pas du semblant.
Du semblant, qu’est-ce que ça veut dire dans cet énoncé
? Du semblant de discours par exemple. Vous le savez, c’est la position
dite du logico-positivisme.
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C’est que, si à partir d’un signifié,
à mettre à l’épreuve de quelque chose qui tranche
par oui ou par non, ce qui ne permet pas de s’offrir à cette épreuve,
voilà ce qui est défini de ne vouloir rien dire. Et avec ça,
on se croit quitte d’un certain nombre de questions qualifiées
de métaphysiques, ce n’est pas certes que j’y tienne. Je
tiens à faire remarquer que la position du logico-positivisme est intenable,
en tout cas à partir de l’expérience analytique notamment.
Si l’expérience analytique se trouve impliquée de prendre
ses titres de noblesse du mythe oedipien, c’est bien qu’elle préserve
le tranchant de l’énonciation de l’oracle, et je dirai plus,
que l’interprétation y reste toujours du même niveau. Elle
n’est vraie que par ses suites, tout comme l’oracle. L’interprétation
n’est pas mise à l’épreuve d’une vérité
qui se trancherait par oui ou par non, elle déchaîne la vérité
comme telle. Elle n’est vraie qu’en tant que vraiment suivie. Nous
verrons tout à l’heure que les schémas de l’implication,
j’entends de l’implication logique, dans la forme la plus classique,
ces schémas eux-mêmes nécessitent le fond de ce véridique
en tant qu’il appartient à la parole, fût-elle à proprement
parler insensée. Le passage du moment où la vérité
se tranche de son seul déchaînement à celui d’une
logique qui va tenter de donner corps à cette vérité, c’est
très précisément le moment où le discours, en tant
que représentant de la représentation, est renvoyé, disqualifié,
mais s’il peut l’être, c’est parce qu’en quelque
partie, il l’est toujours déjà, que c’est ça
qu’on appelle le refoulement. Ce n’est plus une représentation
qu’il représente, c’est cette suite de discours qui se caractérise
comme effet de vérité.
L’effet de vérité n’est pas du semblant. L’Œdipe
est là pour nous apprendre, si vous me permettez, pour nous apprendre
que c’est du sang rouge. Seulement voilà, le sang rouge ne réfute
pas le semblant, il le colore, il le rend re-semblant, il le propage. Un peu
de sciure et le cirque recommence. C’est bien pour cela que c’est
au niveau de l’artefact de la structure du discours, que peut s’élever
la question d’un discours qui ne serait pas du semblant. En attendant,
il n’y a pas de semblant de discours, il n’y a pas de métalangage
pour en juger, il n’y a pas d’Autre de l’Autre, il n’y
a pas de vrai sur le vrai.
Je me suis amusé un jour à faire parler la vérité.
Je demande où il y a un paradoxe, qu’est-ce qu’il peut y
avoir de plus vrai que l’énonciation « je mens » ?
Le chipotage classique qui s’énonce du terme de paradoxe ne prend
corps que si, ce Je mens, vous le mettez sur un papier, à titre d’écrit.
Tout le monde sent qu’il n’y a rien de plus vrai qu’on puisse
dire à l’occasion que de dire: Je mens. C’est même
très certainement la seule vérité qui à l’occasion
ne soit pas brisée. Qui ne sait qu’à dire: Je ne mens pas,
on n’est absolument pas à l’abri de dire quelque
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chose de faux. Qu’est-ce à dire? La vérité dont il
s’agit, quand elle parle, celle dont j’ai dit qu’elle parle
Je, qui s’énonce comme oracle, qui parle?
Ce semblant, c’est le signifiant en lui-même. Qui ne voit que ce
qui le caractérise, ce signifiant dont, au regard des linguistes, je
fais cet usage qui les gêne, il s’en est trouvé pour écrire
de ces lignes destinées à bien avertir que sans doute, Ferdinand
de Saussure n’en avait pas la moindre idée. Qu’est-ce qu’on
en sait? Ferdinand de Saussure faisait comme moi, il ne disait pas tout ; la
preuve, on a trouvé dans ses papiers des choses jamais dites dans son
cours. Le signifiant, on croit que c’est cette bonne petite chose qui
est apprivoisée par le structuralisme, on croit que c’est l’Autre,
en tant qu’Autre, et la batterie du signifiant, et tout ce que j’explique,
bien sûr. Bien entendu ça vient du ciel, parce que je suis un idéaliste
à l’occasion!
Artefact, ai-je dit d’abord ; bien sûr, l’artefact, c’est
absolument certain que ce soit notre sort de tous les jours, que nous le trouvons
à tous les coins de rue, à la portée des moindres gestes
de nos mains. S’il y a quelque chose qui soit un discours soutenable,
en tous cas soutenu, celui de la science nommément, ce n’est peut-être
pas vain de se souvenir qu’il est parti très spécialement
de la considération de semblants. Le départ de la pensée
scientifique, je parle de l’histoire, qu’est-ce que c’est?
L’observation des astres, qu’est-ce que c’est, si ce n’est
la constellation, c’est-à-dire le semblant typique. Les pas premiers
de la physique moderne, autour de quoi est-ce que ça tourne, au départ
? Non pas comme on le croit, des éléments, car les éléments,
les quatre et même si vous y ajoutez la quinte essence, c’est déjà
du discours, du discours philosophique, et comment! C’est des météores.
Descartes fait un Traité des Météores. Le pas décisif,
un des pas décisifs tourne autour de la théorie de l’arc-en-ciel,
et quand je parle d’un météore, c’est quelque chose
qui se définit d’être qualifié comme tel d’un
semblant. Personne n’a jamais cru que l’arc-en-ciel, même
parmi les gens les plus primitifs, que l’arc-en-ciel, c’était
quelque chose qui était là recourbé, dressé. C’est
en tant que météore qu’il est interrogé. Le météore
le plus... le plus caractéristique, le plus originel, celui dont il est
hors de doute qu’il est lié à, à la structure même
de ce qui est discours, c’est le tonnerre. Si j’ai terminé
mon discours de Rome sur l’évocation du tonnerre, c’est pas
absolument comme ça, par fantaisie, il n’y a pas de Nom-du-Père
tenable sans le tonnerre dont tout le monde sait très bien que, on ne
sait même pas le signe de quoi c’est, le tonnerre. C’est la
figure même du semblant. C’est en cela qu’il n’y a pas
de semblant de discours, tout ce qui est discours ne peut que se donner pour
semblant, et rien ne s’y édifie qui ne soit à base de ce
quelque chose qui s’appelle signifiant, qui, dans la
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lumière où je vous le produis aujourd’hui, est identique
à ce statut comme tel du semblant.
D’un discours qui ne serait pas du semblant; pour que ce soit énoncé,
il faut donc que d’aucune façon ce du semblant ne soit complétable
de la référence de discours. C’est d’autre chose qu’il
s’agit, du référent sans doute! Contenez-vous un tout petit
peu. Ce référent n’est pas probablement tout de suite l’objet,
puisque justement ce que ça veut dire, c’est que ce référent,
c’est justement lui qui se promène. Le semblant dans lequel le
discours est identique à lui-même, c’est un niveau du terme
semblant, c’est le semblant dans la nature, ce n’est pas pour rien
que je vous ai rappelé qu’aucun discours qui évoque la nature
n’a jamais fait que de partir de ce qui, dans la nature, est semblant.
Car la nature en est pleine. Je ne parle pas de la nature animale, dont il est
bien évident que, qu’elle en surabonde. C’est même
ce qui fait qu’il y a de doux rêveurs qui pensent que toute entière
la nature animale, des poissons aux oiseaux, chante la louange divine, ça
va de soi. Chaque fois qu’ils ouvrent comme ça, quelque chose,
une bouche, un opercule, c’est un semblant manifeste, rien ne nécessite
ces béances. Quand nous entrons dans quelque chose dont l’efficace
n’est pas tranché, pour la simple raison que nous ne savons pas
comment ça s’est fait qu’il y ait eu, si je puis dire, accumulation
de signifiants, car les signifiants, hein? je vous le dis, sont répartis
dans le monde, dans la nature, ils sont là à la pelle. Pour que
naisse le langage, c’est déjà quelque chose d’amorcer
ça, pour que naisse le langage, il a fallu que quelque part s’établisse
ce quelque chose que je vous ai déjà indiqué à propos
du pari, c’était le pari de Pascal, nous ne nous en souvenons pas.
Supposer ceci, l’ennuyeux, c’est que ça suppose déjà
le fonctionnement du langage parce que il s’agit de l’inconscient.
L’inconscient et son jeu, ça veut dire que parmi les nombreux signifiants
qui courent le monde il va y avoir en plus le corps morcelé. Il y a quand
même des choses dont on peut partir en pensant qu’elles existent
déjà. Elles existent déjà dans un certain fonctionnement
où nous ne serions pas forcés de considérer l’accumulation
du signifiant, c’est les histoires de territoire. Si le signifiant «
votre bras droit » va dans le territoire du voisin faire une cueillette
— c’est des choses qui arrivent tout le temps —naturellement
votre voisin saisit votre signifiant « bras droit » et vous le rebalance
par-dessus la chose mitoyenne. C’est ce que vous appelez curieusement
projection, n’est-ce pas, c’est une manière de s’entendre!
C’est d’un phénomène comme ça qu’il faudrait
partir. Si votre bras droit, chez votre voisin, n’était pas entièrement
occupé à la cueillette des pommes, par exemple, s’il était
resté tranquille, il est assez probable que votre voisin l’aurait
adoré, c’est l’origine du
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signifiant maître, un bras droit, le sceptre. Le signifiant maître,
ça ne demande qu’à commencer comme ça, tout au début.
Il en faut malheureusement un peu plus, c’est un schéma [très
? ou in, ou peu] satisfaisant. Un peu plus, ça vous donne le sceptre,
tout de suite vous voyez la chose se matérialiser comme signifiant. Le
procès de l’histoire se montre d’après tous les témoignages,
dans ce qu’on a, un tout petit peu plus compliqué. Il est certain
que la petite parabole, celle par laquelle j’avais commencé d’abord,
le bras qui est re-renvoyé d’un territoire à l’autre,
c’est pas forcé que ce soit votre bras qui vous revienne, parce
que les signifiants, c’est pas individuel, on ne sait pas lequel est à
qui. Alors voyez-vous, là nous entrons dans une espèce d’autre
jeu originel quant à la fonction du hasard et celui des [des mythes ou
d’Œdipe]. Vous faites un monde, pour l’occasion, disons un
schéma, un support divisé comme ça en un certain nombre
de cellules territoriales. Ça se passe à un certain niveau, celui
où il s’agit de produire, où il s’agit de comprendre
un peu ce qui s’est passé.
Après tout, non seulement on peut recevoir un bras qui n’est pas
le sien, dans ce processus d’expulsion que vous avez appelé on
ne sait pourquoi projection, si ce n’est que ça, vous êtes
projeté, bien sûr, non seulement un bras qui n’est pas le
vôtre, mais plusieurs autres bras, alors à partir de ce moment-là,
ça n’a plus d’importance que ce soit le vôtre ou que
ce soit pas le vôtre. Mais enfin, comme après tout, de l’intérieur
d’un territoire, on ne connaît que ses propres frontières,
on n’est pas forcé de savoir que sur cette frontière il
y a six autres territoires, on balance ça un petit peu comme on veut,
alors il se peut que des territoires il y en ait une pluie. L’idée
du rapport qu’il peut y avoir entre le rejet de quelque chose et la naissance
de ce que j’appelai tout à l’heure le signifiant maître,
est certainement une idée à retenir. Mais pour qu’elle prenne
tout son prix, il faut certainement qu’il y ait eu, par un processus de
hasard, en certains points, accumulation de signifiants. À partir de
là peut se concevoir quelque chose qui soit la naissance d’un langage.
Ce que nous voyons à proprement parler s’édifier comme premier
mode de supporter dans l’écriture ce qui sert de langage, en donne
en tout cas une certaine idée. Chacun sait que la lettre A est une tête
de taureau renversée, et que, un certain nombre d’éléments
comme celui-là, mobiliers, laissent encore leurs traces. Ce qui est important,
c’est de ne pas aller trop vite et de voir où continuent de rester
les trous. Par exemple, il est bien évident que le départ de cette
esquisse était déjà lié à quelque chose de
marquant le corps d’une possibilité d’ectopie et de balade
qui, évidemment, reste problématique. Après tout là
encore, tout est toujours là. Nous avons enfin, c’est un point
très sensible, que
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nous pouvons contrôler encore tous les jours, il y a pas très longtemps,
encore cette semaine, quelque chose, de très jolies photos, dans le journal,
dont tout le monde s’est délecté, les possibilités
d’exercice du découpage de l’être humain sur l’être
humain sont tout à fait impressionnantes. C’est de là que
tout est parti.
Il reste un autre trou. Vous le savez, on s’est beaucoup cassé
la tête, on a bien fait la remarque que Hegel, c’est très
joli, mais qu’il y a quand même quelque chose qu’il n’explique
pas; il explique la dialectique du maître et de l’esclave, il n’explique
pas qu’il y ait une société de maîtres. Il est tout
à fait clair que ce que je viens de vous expliquer est certainement intéressant
en ceci, que par le seul jeu de la projection, de la rétorsion, il est
clair qu’au bout d’un certain nombre de coups, il y aura certainement,
je dirai, une moyenne de signifiants plus importante dans certains territoires
que dans d’autres. Enfin, il reste encore à voir comment le signifiant
va pouvoir dans ce territoire faire société de signifiants. Il
convient de ne jamais laisser dans l’ombre ce qu’on n’explique
pas, sous prétexte qu’on a réussi à donner un petit
commencement d’explication.
- Quoi qu’il en soit, l’énoncé de notre titre de cette
année, D’un discours qui ne sera it pas du semblant, concerne quelque
chose qui a affaire avec une économie. Ici, le du semblant, nous tairons
à lui-même, il n’est pas semblant d’autre chose, il
est à prendre au sens du génitif objectif, il s’agit du
semblant comme objet propre dont se règle l’économie du
discours. Est-ce que nous allons dire que c’est aussi un génitif
subjectif? Est-ce que le du semblant concerne aussi ce qui tient le discours?
Seul le mot subjectif est ici à repousser pour la simple raison que le
sujet n’apparaît qu’une fois instaurée quelque part
cette liaison des signifiants. Un sujet ne saurait être que le produit
de l’articulation signifiante. Un sujet comme tel ne maîtrise jamais
en aucun cas cette articulation mais en est à proprement parler déterminé.
Un discours, de sa nature, fait semblant comme on peut dire qu’il fait
florès ou qu’il fait léger, ou qu’il fait chic. Si
ce qui s’énonce de parole est justement vrai d’être
toujours très authentiquement ce qu’elle est, au niveau où
nous sommes, de l’objectif et de l’articulation, c’est donc
très précisément comme objet de ce qui ne se produit que
dans le dit discours que le semblant se pose. D’où le caractère
à proprement parler insensé de ce qui s’articule dont il
faut dire que c’est bien là que se révèle ce qu’il
en est de la richesse du langage, à savoir qu’il détient
une logique qui dépasse de beaucoup tout ce que nous arrivons à
en cristalliser, à en détacher.
J’ai employé la forme hypothétique d’un discours qui
ne serait pas du semblant. Chacun sait les développements qu’a
pris après Aristote la logique, de
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mettre l’accent sur la fonction hypothétique.
Tout ce qui s’est articulé de donner la valeur Vrai ou Faux à
l’articulation de l’hypothèse, et à combiner ce qui
en résulte de l’implication d’un terme à l’intérieur
de cette hypothèse, comme étant signalé[e] comme vrai[e].
C’est l’inauguration de ce qu’on appelle le modus ponens,
et de bien d’autres modes encore dont chacun sait ce qu’on en a
fait. Il est frappant qu’au moins à ma connaissance, jamais personne
nulle part n’ait individualisé la ressource que comporte l’usage
de cette hypothétique sous la forme négative.
Chose frappante, si on se réfère par exemple à ce qui en
est recueilli dans mes Ecrits, quand quelqu’un à l’époque,
à l’époque héroïque où je commençai
de défricher le terrain de l’analyse, quand quelqu’un venait
contribuer au déchiffrage de la Verneinung, encore qu’à
commenter Freud lettre à lettre, il s’aperçut fort bien
— car Freud le dit en toute lettre — que la Bejahung ne comporte
qu’un jugement d’attribution, en quoi Freud (...) marque une finesse
et une compétence tout à fait exceptionnelle à l’époque
où il écrit ceci — car seul quelque logicien de diffusion
modeste pouvait à la même époque l’avoir souligné
— le jugement d’attribution, c’est ce qui ne préjuge
en rien de l’existence; la seule position d’une Verneinung implique
l’existence de quelque chose qui est très précisément
ce qui est nié. Un discours qui ne serait pas du semblant, pose que le
discours, comme je viens de l’énoncer, est du semblant.
Ce qui a un grand avantage, de le poser ainsi, c’est qu’on ne dit
pas du semblant de quoi. Or, c’est là bien sûr, c’est
là ce autour de quoi je propose d’avancer nos énoncés,
c’est de savoir de quoi il s’agit là où ce ne serait
pas du semblant. Bien sûr, le terrain est préparé d’un
pas singulier quoique timide, qui est celui que Freud a fait dans l’Au-delà
du principe du plaisir.
Je ne veux ici, parce que je ne peux pas en faire plus qu’indiquer le
nœud que forment, dans cet énoncé, la répétition
et la jouissance. C’est en fonction de ceci que la répétition
va contre le principe du plaisir qui, je dirai, ne s’en relève
pas. L’hédonisme ne peut, à la lumière de l’expérience
analytique, que rentrer dans ce qu’il est, à savoir un mythe philosophique.
J’entends, un mythe d’une classe parfaitement définie (et
claire) et je l’ai énoncé l’année dernière,
que l’aide qu’ils ont apportée à un certain procès
du maître, en permettant au discours du maître comme tel d’édifier
un savoir, ce savoir est savoir de maître, ce savoir a supposé,
puisque le discours philosophique en porte encore la trace, l’existence
en face du maître d’un autre savoir dont, Dieu merci! le discours
philosophique n’a pas disparu sans avoir épinglé avant qu’il
devait y avoir à l’origine un rapport entre ce savoir et la jouissance.
Celui qui a ainsi clos le discours philosophique, Hegel
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pour le nommer, bien sûr ne voit que la façon
dont, parle travail, l’esclavage arrivera à accomplir, quoi? rien
d’autre que le savoir du maître.
Et qu’introduit, qu’introduit de nouveau ce que j’appellerai
l’hypothèse freudienne ? C’est, sous une forme extraordinairement
prudente, mais tout de même syllogistique, ceci: si nous appelons principe
du plaisir ceci que toujours, de par le comportement du vivant, il est revenu
à un niveau qui est celui de l’excitation minimale, et ceci règle
son économie; s’il s’avère que la répétition
s’exerce de façon telle qu’une jouissance dangereuse, une
jouissance qui outrepasse cette excitation minimale, soit ramenée —
est-il possible, c’est sous cette forme que Freud énonce la question
— qu’il soit pensé que la vie, prise elle-même dans
son cycle, — c’est une nouveauté au regard de ce monde qui
ne la comporte pas universellement — que la vie comporte cette possibilité
de répétition qui serait le retour à ce monde en tant qu’il
est semblant?
Je peux vous faire remarquer par un graphique au tableau que ceci comporte,
au lieu d’une suite de courbes d’excitation ascendantes et descendantes,
toutes confinant à une limite, qui est une limite supérieure,
la possibilité d’une intensité d’excitation qui peut
aussi bien aller à l’infini, ce qui est conçu comme jouissance
ne comportant de soi, en principe, d’autre limite que ce point de tangence
inférieur, ce point que nous appellerons suprême, en donnant son
sens propre à ce mot qui veut dire le point le plus bas d’une limite
supérieure, de même qu’infime est le point le plus haut d’une
limite inférieure. La cohérence donnée du point mortel,
dès lors conçu sans que Freud le
souligne, comme une caractéristique de la vie mais à la vérité,
ce à quoi on ne songe pas est en effet ceci, c’est qu’on
confond ce qui est de la non-vie, et qui est loin, fichtre! de ne pas remuer,
le silence éternel des espaces infinis qui sidérait Descartes,
ils parlent, ils chantent, ils se remuent de toutes les façons à
nos regards, maintenant. Le monde dit inanimé n’est pas la mort.
La mort est un
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point, est désignée comme un point terme,
comme un point terme de quoi? de la jouissance de la vie.
C’est très précisément ce qui est introduit par l’énoncé
freudien, celui que nous qualifierons de l’hyperhédonisme, si je
puis m’exprimer de cette façon. Qui ne voit que l’économie,
même celle de la nature, est toujours un fait de discours, celui-là
ne peut saisir que ceci indique qu’il ne saurait s’agir ici que
de la jouissance qu’en tant qu’elle est elle-même non seulement
fait, mais effet de discours.
Si quelque chose qui s’appelle l’inconscient peut être mi-dit
comme structure langagière, c’est pour qu’enfin nous apparaisse
le relief de cet effet de discours qui jusque-là nous paraissait comme
impossible, à savoir le plus-de-jouir. Est-ce à dire, pour suivre
une de mes formules, qu’en tant que c’était comme impossible,
il fonctionnait comme réel? J’ouvre la question, car à la
vérité, rien n’implique que l’irruption du discours
de l’inconscient, tout balbutiant qu’il reste, implique quoi que
ce soit, dans ce qui le précédait, qui fut soumis à sa
structure. Le discours de l’inconscient est une émergence, c’est
l’émergence d’une certaine fonction du signifiant. Qu’il
existât jusque-là comme enseigne, c’est bien en quoi je vous
l’ai mis au principe du semblant.
Mais les conséquences de son émergence, c’est cela qui doit
être introduit pour que quelque chose change, qui ne peut pas changer,
car ce n’est pas possible, c’est au contraire de ce qu’un
discours se centre de son effet comme impossible qu’il aurait quelque
chance d’être un discours qui ne serait pas du semblant.
note
:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un
émail.
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