XVIII- d'un discours qui ne serait pas 
  du semblant
          
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10février 1971
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  On me demandait si je ferais mon séminaire en raison de la grève. 
  “y a même deux ou une, peut-être, seulement, mais peut-être 
  deux de ces personnes qui m’ont demandé quelle était mon 
  opinion sur la grève, plus exactement qui l’ont demandé 
  à ma secrétaire. Eh bien, moi, je vous la demande! Personne n’a 
  rien à faire valoir en faveur de la grève? à propos tout 
  au moins de ce séminaire ? Je ne vais pas vous faire défaut... 
  à votre présence. J’étais pourtant moi-même, 
  ce matin, assez porté à faire la grève. J’y étais 
  porté en raison de ceci que la personne dont je viens de parler, ma secrétaire, 
  m’a montré une petite rubrique dans le journal concernant ladite 
  grève, le mot d’ordre de grève et auquel était adjoint, 
  vu le journal dont il s’agissait, un communiqué du ministère 
  de l’Education nationale concernant tout ce qui avait été 
  fait pour l’Université; les moyennes des emplois d’enseignants 
  qui sont réservées par nombre d’étudiants, etc. Je 
  n’irai pas, bien sûr, à contester ces statistiques, néanmoins 
  la conclusion qui en est tirée, de cet effort très large qui devrait 
  en tout cas satisfaire, je dirai qu’elle n’est pas conforme à 
  mes informations qui sont pourtant de bonne source, de sorte que... en raison 
  de ceci, j’étais assez porté à faire la grève. 
  Votre présence me forcera, disons par un fait qui compte, c’est 
  ce qu’on appelle en notre langue la courtoisie, et dans une autre à 
  laquelle j’ai annoncé comme ça, par une sorte de revenez-y, 
  que je me référerai, c’est à savoir la langue chinoise, 
  dont je me suis laissé aller à vous confier qu’elle fut 
  un temps, enfin j’en ai appris un tout petit bout, ça s’appelle 
  le yi.
  Le yi dans la grande tradition, est une des quatre vertus fondamentales, de 
  qui? de quoi? d’un homme d’une certaine date. Et si j’en parle 
  comme ça,
  
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  comme ça me vient, puisque je pensais avoir à tenir avec vous 
  quelques propos familiers, c’est d’ailleurs sur ce plan que je pense 
  aujourd’hui vous tenir ce discours. Ça ne sera pas à proprement 
  parler ce que j’avais préparé; à ma façon 
  quand même je tiendrai compte de cette grève et c’est d’une 
  façon, vous allez le voir, à quel niveau je vais placer les choses, 
  c’est d’une façon plus familière pour répondre 
  d’une façon équitable, c’est à peu près 
  le meilleur sens qu’on puisse donner à ce yi, répondre d’une 
  façon équitable à cette présence. Vous verrez que 
  j’en profiterai pour aborder un certain nombre de points qui depuis quelque 
  temps font équivoque, c’est-à-dire que, puisque aussi bien 
  quelque chose est en question au niveau de l’Université, c’est 
  aussi au niveau de l’Université à quoi dans bien des cas 
  je dédaigne de faire état de mouvements qui me parviennent, à 
  quoi je pense aujourd’hui devoir répondre.
  Comme peut-être vous le savez, votre présence en témoigne-t-elle 
  ou pas, comment le savoir? je ne suis, dans mon rapport à ladite Université, 
  que dans une position disons marginale, qui croit devoir me donner abri, ce 
  dont certes je lui dois hommage, encore se manifeste-t-il depuis quelque temps 
  quelque chose dont je ne peux pas ne pas tenir compte, étant donné 
  le champ dans lequel je me trouve enseigner. C’est un certain nombre d’échos, 
  de bruitages, de murmures qui me parviennent du côté d’un 
  champ défini de façon universitaire et qui s’appelle la 
  linguistique.
  Quand je parle, bien sûr, de dédain, il ne s’agit pas d’un 
  sentiment; il s’agit d’une conduite. Dans un temps qui déjà, 
  justement, si je me souviens bien, a quelque chose comme... ça doit faire 
  quoi? deux ans, c’est pas énorme, il est sorti dans une revue que 
  personne ne lit plus, dont le nom fait désuet, La Nouvelle Revue Française, 
  il est paru un certain article qui s’appelait Exercices de style de Jacques 
  Lacan. C’était un article que j’ai signalé, d’ailleurs, 
  j’étais à ce moment-là sous le toit de l’Ecole 
  Normale, enfin sous le toit ! ... sous l’auvent, à la porte, j’ai 
  dit: « Lisez donc ça, c’est marrant». Il s’est 
  avéré, comme vous l’avez vu par la suite, que c’était 
  peut-être un peu moins marrant que ça en avait l’air, puisque 
  c’était en quelque sorte la clochette où j’avais plutôt, 
  quoique je sois sourd, à entendre confirmation de ce qui m’avait 
  déjà été annoncé, que ma place n’était 
  plus sous cet auvent. C’est une confirmation que j’aurais pu entendre, 
  parce que c’était écrit, dans l’article, c’était 
  écrit quelque chose, je dois dire, d’assez gros, qu’on pouvait 
  espérer, au moment où je ne serais plus sous l’auvent de 
  l’Ecole Normale, l’introduction dans ladite Ecole de la linguistique, 
  je ne suis pas sûr de citer là exactement les termes, vous pensez 
  bien que je ne m’y suis pas reporté ce matin, puisque tout ça 
  est improvisé, la linguistique de
  
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  haute qualité, de haute tension, n’importe quoi de cette espèce, 
  peut-être, quelque chose qui désignait le fait que la linguistique 
  avait quelque chose, mon Dieu! de galvaudé dans le sein de cette Ecole 
  Normale. Au nom de quoi, grand Dieu! je n’étais pas chargé 
  dans l’Ecole Normale d’aucun enseignement, mais si l’Ecole 
  Normale se trouvait à entendre cet auteur si peu initié à 
  la linguistique, ce n’était certainement pas à moi qu’il 
  fallait s’en prendre.
  Ceci vous indique le point sur lequel j’entends tout de même préciser 
  quelque chose ce matin. C’est à savoir en effet ceci, ceci qui 
  est soulevé et depuis quelque temps avec une sorte d’insistance, 
  le thème est repris d’une façon moins légère 
  dans un certain nombre d’interviews, il y a une question qui est soulevée 
  autour de quelque chose: est-on structuraliste ou pas quand on est linguiste? 
  et on tend à se démarquer, on dira: je suis fonctionnaliste1. 
  Je suis fonctionnaliste pourquoi? Parce que le structuralisme, c’est quelque 
  chose, d’ailleurs de pure invention journalistique, c’est moi qui 
  le dis, le structuralisme est quelque chose qui sert d’étiquette 
  et qui bien sûr, étant donné ce qu’il inclut, à 
  savoir un certain sérieux, n’est pas sans inquiéter, à 
  quoi bien sûr on tient à marquer qu’on se réserve.
  La question des rapports de la linguistique et de ce que j’enseigne, est, 
  autrement dit, ce que je veux mettre au premier plan de façon, en quelque 
  sorte, à dissiper, dissiper j’espère d’une façon 
  qui fasse date, une certaine équivoque. Les linguistes, les linguistes 
  universitaires, entendraient en somme se réserver le privilège 
  de parler du langage. Et le fait que c’est autour du développement 
  linguistique que se joue, que se tient l’axe de mon enseignement, aurait 
  quelque chose d’abusif qui est dénoncé selon des formules 
  diverses dont la principale est celle-ci, c’est me semble-t-il en tout 
  cas la plus consistante, que de la linguistique il est fait, dans le champ qui 
  se trouve celui dans lequel je m’insère, dans celui aussi dans 
  lequel quelqu’un qui certes, en l’occasion, mériterait qu’on 
  y regarde d’un peu plus près, beaucoup plus que pour ce qui est 
  de moi, parce que... dont on peut n’avoir qu’une idée assez 
  vague, du moins on le prouve, c’est Lévi-Strauss par exemple, et 
  alors Lévi-Strauss, et puis quelques autres encore, Roland Barthes, nous 
  aussi nous ferions de la linguistique un usage, je cite, « un usage métaphorique 
  ». Eh bien! c’est en effet là-dessus que je voudrais bien 
  marquer quelques points. Il y a quelque chose d’abord dont il faudrait 
  partir parce que c’est quand même inscrit, inscrit dans quelque 
  chose qui compte, le fait que je sois encore là à soutenir ce 
  discours, le fait que vous y soyez aussi pour l’entendre, c’est 
  que, il faut bien croire qu’une formule n’est pas tout à 
  fait déplacée concernant ce discours, en tant que je le tiens, 
  c’est que d’une certaine façon enfin, disons que je sais... 
  Je sais quoi? Tâchons d’être exact, il semble
  
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  prouvé que je sais à quoi m’en tenir. La tenue d’une 
  certaine place, ceci je le souligne, cette place n’est autre — je 
  le souligne parce que je n’ai pas à l’énoncer pour 
  la première fois, je passe mon temps à bien répéter 
  que c’est de là que je me tiens — que la place que j’identifie 
  à celle d’un psychanalyste — la question après tout 
  peut être discutée, puisque bien des psychanalystes la discuteraient 
  — mais enfin c’est à quoi je m’en tiens.
  Ce n’est pas tout à fait pareil si j’énonçais, 
  je sais où je me tiens, non pas parce que le je serait répété 
  dans la deuxième partie de la phrase, mais c’est là que 
  le langage montre toujours ses ressources, c’est qu’à dire 
  je sais où je me tiens, c’est sur où que porterait l’accent 
  de ce que je me targuerais de savoir. J’aurais, si je puis dire, j’aurais 
  la carte, le mapping de la chose. Et pourquoi après tout que je l’aurais 
  pas?
  Il y a une forte raison pour laquelle je ne saurais même soutenir que 
  je sais où je me tiens. Ça, c’est vraiment dans l’axe 
  de ce que j’ai cette année à vous dire. C’est que 
  le principe de la Science, tel que le procès en est pour nous engagé, 
  je parle de ce à quoi je me réfère quand je lui donne pour 
  centre la Science newtonienne, l’introduction du champ newtonien, c’est 
  qu’en aucun domaine de la science, on ne l’a, ce mapping, cette 
  carte, pour nous dire où l’on est. Et qu’en plus, tout le 
  monde est d’accord là-dessus, que quelle qu’en vaille l’aune, 
  de l’objection qui peut être faite dès qu’on commence 
  à parler de la carte justement, de son hasard et de sa nécessité, 
  eh bien! n’importe qui est en posture de vous objecter que vous ne faites 
  plus de la science, mais de la philosophie. Ça ne veut pas dire que n’importe 
  qui sait ce qu’il dit en le disant. Mais enfin, il est dans une position 
  très forte.
  Le discours de la science répudie cet où nous en sommes. Ce n’est 
  pas avec ça qu’il opère. L’hypothèse, rappelez-vous 
  Newton affirmant qu’il n’en feignait aucune, l’hypothèse, 
  employée pourtant, ne concerne jamais le fond des choses. L’hypothèse, 
  dans le champ scientifique, et quoi qu’en pense quiconque, l’hypothèse 
  participe avant tout de la logique. Il y a un si, le conditionnel d’une 
  vérité qui n’est jamais que logiquement articulée; 
  alors, apodose: un conséquent doit être vérifiable. Il est 
  vérifiable à son niveau, tel qu’il s’articule. Ça 
  ne prouve en rien la vérité de l’hypothèse. Je ne 
  suis absolument pas en train de dire que la science est là qui nage comme 
  une pure construction, qu’elle ne mord pas sur le réel. Dire que 
  ça ne prouve pas la vérité de l’hypothèse, 
  c’est simplement rappeler ce que je viens de dire, à savoir que 
  l’implication en logique n’implique nullement qu’une conclusion 
  vraie ne puisse pas être tirée d’une prémisse fausse. 
  Il n’en reste pas moins que la vérité de l’hypothèse 
  dans un champ scientifique
  
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  établi se reconnaît de l’ordre qu’elle donne à 
  l’ensemble du champ en tant qu’il a son statut et son statut ne 
  peut pas se définir autrement que du consentement de tous ceux qui sont 
  autorisés dans ce champ, autrement dit du champ scientifique le statut 
  est universitaire.
  C’est des choses qui peuvent paraître grosses. Il n’en reste 
  pas moins que c’est ça qui motive qu’on donne le niveau de 
  l’articulation du discours universitaire, tel que j’ai essayé 
  de le faire l’année dernière. Or il est clair que la façon 
  dont je l’ai articulé est la seule qui permette de s’apercevoir 
  pourquoi il n’est pas accidentel, caduc, lié à je ne sais 
  quel accident, que le statut du développement de la Science comporte 
  la présence, la subvention d’autres entités sociales qu’on 
  connaît bien, de l’Armée par exemple, ou de la Marine comme 
  on dit encore, et de quelques autres éléments d’un certain 
  ameublement. C’est tout à fait légitime si nous voyons que 
  radicalement le discours universitaire ne saurait s’articuler qu’à 
  partir du discours du maître.
  La répartition des domaines dans un champ dont le statut est universitaire, 
  voilà où seulement peut se poser la question de ce qui arrive 
  et d’abord de si c’est possible qu’un discours s’intitule 
  autrement. C’est là que s’introduit dans sa massivité 
  — je m’excuse de repartir d’un point vraiment aussi originel, 
  mais après tout, puisqu’il peut me venir, et de personnes autorisées, 
  d’êtres linguistes, des objections comme celle-ci que de la linguistique 
  je ne fais qu’un usage métaphorique, je dois rappeler, je dois 
  répondre quelle que soit l’occasion à laquelle je le fais, 
  et je le fais ce matin en raison du fait que je m’attendais à rencontrer 
  une atmosphère plus combative — eh bien! donc je dois rappeler 
  ceci, c’est que si je peux dire décemment que je sais, je sais 
  quoi ? Parce qu’après tout peut-être que je me place quelque 
  part dans un endroit que le nommé Mencius, dont je vous ai introduit 
  le nom la dernière fois, le nommé Mencius, peut-être peut 
  nous servir à définir, bon, il reste que si — que Mencius 
  me protège! —je sais à quoi m’en tenir, il me faut 
  dire en même temps que je ne sais pas ce que je dis. Je sais ce que je 
  dis, autrement dit c’est ce que je ne peux pas dire. Ça, c’est 
  la date, la date que marque ceci qu’il y a Freud et qu’il a introduit 
  l’inconscient. L’inconscient ne veut rien dire si ça ne veut 
  pas dire ça que, quoi que je dise, et d’où que je me tienne, 
  même si je me tiens bien, eh bien! je ne sais pas ce que je dis, et qu’aucun 
  des discours, tels que l’année dernière je les ai définis, 
  ne laisse espoir, ne permet à quiconque profère quoi que ce soit, 
  de prétendre, d’espérer même d’aucune façon 
  savoir ce qu’il dit.
  Je dis, même si je ne sais pas ce que je dis; seulement je le sais que 
  je ne le sais pas. Et je ne suis pas le premier à dire quelque chose 
  dans ces conditions. Ça s’est
  
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  déjà entendu. Je dis que la cause de ceci n’est à 
  chercher que dans le langage lui-même et ce que j’ajoute, ce que 
  j’ajoute à Freud, même si dans Freud c’est déjà 
  là, patent, parce que quoi que ce soit qu’il démontre de 
  l’inconscient n’est jamais rien que matière de langage, j’ajoute 
  ceci: que l’inconscient est structuré comme un langage; lequel? 
  eh bien, justement, cherchez-le!
  C’est du français, ou du chinois que je vous causerai. Du moins 
  je le voudrais. Il n’est que trop clair qu’à un certain niveau, 
  ce que je cause, c’est de l’aigreur, très spécialement 
  du côté des linguistes. C’est de nature plutôt à 
  faire penser que le statut universitaire, ça n’est que trop évident 
  dans les développements qu’impose à la linguistique de tourner 
  à une drôle de chose [ou sauce]; d’après ce qu’on 
  en voit, ce n’est pas douteux. Qu’on me dénonce à 
  cette occasion, mon Dieu, ce n’est pas une chose qui a tellement d’importance. 
  Qu’on ne me discute pas, ça n’est pas non plus très 
  surprenant, puisque ce n’est pas d’une certaine définition 
  du domaine universitaire que je me tiens, que je peux me tenir.
  Ce qu’il y a d’amusant, puisqu’il est évident que nous 
  ne sommes pas pour rien, un certain nombre de gens dans lesquels je me suis 
  rangé tout à l’heure, en y ajoutant deux autres noms et 
  on pourrait en ajouter encore quelques-uns, c’est évidemment à 
  partir de nous que la linguistique voit s’accroître le nombre de 
  ses postes, ceux que décomptait ce matin dans le journal le ministère 
  de l’Education nationale, et puis aussi le nombre des étudiants. 
  Bon!
  L’intérêt, la vague d’intérêt que j’ai 
  contribué à apporter à la linguistique, c’est paraît-il 
  un intérêt qui vient d’ignorants. Eh bien! ce n’est 
  déjà pas si mal! Ils étaient ignorants avant, maintenant 
  ils s’intéressent. J’ai réussi à intéresser 
  les ignorants à quelque chose en plus qui n’était pas mon 
  but, parce que la linguistique, je vais vous le dire, moi je m’en fous! 
  Ce qui m’intéresse directement, c’est le langage, parce que 
  je pense que c’est à ça que j’ai affaire, que c’est 
  à ça que j’ai affaire quand j’ai à faire une 
  psychanalyse.
  L’objet linguistique, c’est l’affaire des linguistes de le 
  définir. Dans le champ de la Science, chaque domaine progresse de définir 
  son objet. Ils le définissent comme ils l’entendent et ils ajoutent 
  que j’en fais un usage métaphorique. C’est tout de même 
  curieux que des linguistes ne voient pas que tout usage du langage, quel qu’il 
  soit, se déplace dans la métaphore, qu’il n’y a de 
  langage que métaphorique, comme le démontre toute tentative de 
  métalangagier, si je puis m’exprimer ainsi, qui ne peut faire autrement 
  que d’essayer de partir de ce qu’on définit toujours, chaque 
  fois qu’on s’avance dans un effort dit logicien, de définir 
  d’abord un langage-objet dont il est clair, dont il se touche du doigt, 
  aux énoncés de n’importe lesquels de ces essais logiciens, 
  qu’il est insaisissable, ce
  
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  langage-objet. Il est de la nature du langage, je ne dis pas de la parole, je 
  dis du langage même, que pour ce qui est d’approcher quoi que ce 
  soit qui y signifie, le référent n’est jamais le bon, et 
  c’est ça qui fait un langage.
  Toute désignation est métaphorique; elle ne peut se faire que 
  par l’intermédiaire d’autre chose. Même si je dis: 
  ça! ça en le désignant, eh bien! j’implique déjà, 
  de l’avoir appelé ça, que je choisis de n’en faire 
  que ça. Alors que ça n’est pas ça, la preuve c’est 
  que, quand je l’allume, c’est autre chose même au niveau du 
  ça, ce fameux ça qui serait le réduit du particulier, de 
  l’individuel, nous ne pouvons omettre que c’est un fait de langage 
  de dire: ça. Ce que je viens de désigner comme ça, ça 
  n’est pas mon cigare, ça l’est quand je le fume, mais quand 
  je le fume, j’en parle pas.
  Le signifiant [ça] à quoi se réfère le discours 
  à l’occasion, quand il y a discours
  — il apparaît, nous ne pouvons guère y échapper à 
  ce qui est discours — c’est à quoi se réfère 
  le discours à propos de quelque chose dont il peut bien, ce signifiant, 
  être le seul support. Il évoque, dans sa nature, un référent. 
  Seulement ça ne peut pas être le bon et c’est pour ça 
  que le référent est toujours réel, parce qu’il est 
  impossible à désigner. Moyennant quoi, il ne reste plus qu’à 
  le construire. Et on le construit si on peut.
  Il n’y a aucune raison que je me prive, enfin je ne vais pas vous rappeler 
  tout de même ce que vous savez tous parce que vous l’avez lu dans 
  un tas d’ordures occultisantes dont vous vous abreuvez comme chacun sait, 
  n’est-ce pas, je parle pas du yang et du yin, comme tout le monde vous 
  savez ça, hein? le mâle et la femelle. Ça se dessine comme 
  ça. ils forment de très beaux petits caractères. Voilà 
  le [premier] comme yang et pour le yin, je vous le ferai une autre fois.
  Je vous le ferai une autre fois parce que... à ce propos... je ne vois 
  pas pourquoi... ces caractères chinois qui sont pour peu d’entre 
  vous quelque chose, j’en abuserais. Je vais m’en servir quand même. 
  Nous ne sommes pas non plus là pour faire des tours de passe-passe. Si 
  je vous en parle, c’est parce qu’il est bien évident que... 
  voilà l’exemple de référents introuvables. Ça 
  ne veut pas dire, foutre, qu’ils ne soient pas réels. La preuve, 
  c’est que nous en sommes encore encombrés.
  Si je fais un usage métaphorique de la linguistique, c’est à 
  partir de ceci, c’est que l’inconscient ne peut se conformer à 
  une recherche, je dis la linguistique, qui
  
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  est insoutenable. Ça n’empêche pas de la continuer, bien 
  sûr, c’est une gageure. Mais j’ai déjà fait 
  assez d’usage de la gageure pour savoir pour que vous sachiez, plutôt 
  que vous soupçonniez que ça peut servir à quelque chose; 
  c’est aussi important de perdre que de gagner.
  La linguistique ne peut être qu’une métaphore qui se fabrique 
  pour ne pas marcher. Mais en fin de compte, ça nous intéresse 
  beaucoup, parce que vous allez le voir je vous l’annonce, c’est 
  ça que j’ai à vous dire cette année, c’est 
  que la psychanalyse, elle, c’est dans cette même métaphore 
  qu’elle se déplace, toutes voiles dehors; c’est bien là 
  ce qui m’a suggéré ce retour comme ça, après 
  tout, on sait ce que c’est, à mon vieux petit acquis de chinois. 
  Après tout, pourquoi ne l’aurais-je pas entendu pas trop mal quand 
  j’ai appris ça avec mon cher maître Demiéville ? J’étais 
  déjà psychanalyste.
  Alors, qu’il y ait une langue quand même dans laquelle ceci, ça 
  se lit wei et ça fonctionne à la fois dans la formule wu wei qui 
  veut dire non-agir, donc ça veut dire agir, et pour un rien vous voyez 
  wei employé comme comme, ça veut dire comme, c’est-à-dire 
  que ça sert de conjonction pour faire métaphore, ou bien encore 
  ça veut dire, en tant que ça se ré ère à 
  telle chose qui est encore plus dans la métaphore, en tant que ça 
  se réfère à telle chose, c’est-à-dire justement 
  que ça n’en est pas puisque c’est bien forcé de s’y 
  référer. Quand une chose se réfère à une 
  autre, la plus grande largeur, la plus grande souplesse est donnée à 
  l’usage éventuel de ce terme wei qui veut néanmoins dire 
  agir. C’est pas mal une langue comme ça!, une langue où 
  les verbes et les plus-verbes — agir, qu’est-ce qu’il y a 
  de plus verbe, qu’est-ce qu’il y a de plus verbe actif? — 
  se transforment en menues conjonctions. Ça, c’est courant. Ç 
  a m’a beaucoup aidé quand même à généraliser 
  la fonction du signifiant, même si ça fait mal aux entournures 
  à quelques linguistes qui ne savent pas le chinois. Moi je voudrais bien 
  demander à un certain, par exemple, comment pour lui la double articulation1 
  dont il a plein la bouche depuis quelques années — enfin quand 
  même la double articulation, on en crève! —, la double articulation, 
  qu’est-ce qu’il en ‘ait en chinois? Hein? En chinois, voyez-vous, 
  c’est la première qui est toute seule, et puis qui se trouve comme 
  ça produire un sens qui de temps en temps fait que, comme tous les mots 
  sont monosyllabiques, on va pas dire qu’il y a le phonème qui ne 
  veut rien dire, et puis les mots qui veulent dire quelque chose, deux articulations, 
  deux niveaux. Eh bien! oui, même au niveau du phonème, ça 
  veut dire quelque chose. Ça n’empêche pas que quand vous 
  mettez plusieurs phonèmes, qui veulent déjà dire quelque 
  chose, ensemble,
  
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  ça fait un grand mot de plusieurs syllabes, tout à fait comme 
  chez nous, qui a un sens qui n’a aucun rapport avec ce que veut dire chacun 
  des phonèmes. Alors, la double articulation, elle est marrante là! 
  C’est drôle qu’on ne se souvienne pas qu’il y a une 
  langue comme ça, quand on énonce comme générale 
  une fonction de la double articulation comme caractéristique du langage. 
  Je veux bien que tout ce que je dis soit une connerie, mais qu’on m’explique! 
  Qu’il y ait un linguiste ici qui vienne me dire en quoi la double articulation 
  tient en chinois.
  Alors, ce wei comme ça, pour vous habituer je vous l’introduis, 
  mais tout doucement. Je vous en apporterai un minimum d’autres, mais enfin 
  qui puissent servir à quelque chose. Ça allège bien les 
  choses d’ailleurs, que ce verbe soit à la fois agir et la conjonction 
  de la métaphore. Peut-être que l’Im Anfang war die Tat, comme 
  dit l’autre, là que l’agir était tout au commencement, 
  c’est peut-être exactement la même chose que de dire: au commencement 
  était le verbe. Il n’y a peut-être pas d’autre agir 
  que celui-là. Ce qu’il y a de terrible, c’est que je peux 
  vous mener comme ça longtemps avec la métaphore et que plus loin 
  j’irai, plus loin vous serez fourvoyés parce que, justement, le 
  propre de la métaphore, c’est de ne pas être toute seule. 
  Il y a aussi la métonymie qui fonctionne pendant ce temps-là et 
  même pendant que je vous parle, parce que c’est quand même 
  la métaphore, comme disent ces gens très compétents, très 
  sympathiques qui s’appellent les linguistes; ils sont même si compétents 
  qu’ils ont été forcés d’inventer la notion 
  de compétence. La langue, c’est la compétence en elle-même. 
  En plus, c’est vrai. On est compétent en rien d’autre. Seulement, 
  comme ils s’en sont aperçus aussi, il n’y a qu’une 
  façon de le prouver, c’est la performance. C’est eux qui 
  appellent ça comme ça, la performance. Moi pas, je n’en 
  ai pas besoin. Je suis en train de la faire, la performance, en faisant la performance 
  de vous parler de la métaphore, naturellement je vous floue, parce que 
  la seule chose intéressante, c’est ce qui se passe dans la performance, 
  c’est la production du plus-de-jouir, du vôtre et de celui que vous 
  m’imputez quand vous réfléchissez. Ça vous arrive. 
  Ça vous arrive surtout pour vous demander ce que je fous là. Il 
  faut bien croire que ça doit vous faire plaisi1~ au niveau de ce plus-de-jouir 
  qui vous presse; comme je vous l’ai déjà expliqué, 
  c’est à ce niveau-là que se fait l’opération 
  de la métonymie, grâce à quoi vous pouvez à peu près 
  être emmenés n’importe où, conduits par le bout du 
  nez, naturellement pas simplement à vous déplacer dans le couloir. 
  Mais ce n’est pas ça qui est intéressant, de vous emmener 
  dans le couloir, ni même de vous battre sur la place publique. L’intéressant, 
  c’est de vous garder là, bien rangés, bien serrés, 
  bien pressés les uns contre les autres. Pendant que vous êtes là, 
  vous ne nuisez à personne! Ça nous
  
—44 —
  mènera assez loin, ce petit badinage, parce que c’est tout de même 
  à partir de là que nous essayerons d’articuler la fonction 
  du yin.
  Vous comprenez, je vous rappelle cette histoire de plus de jouir, je vous la 
  rappelle enfin comme je peux; il est bien certain qu’il n’a été 
  définissable et par moi qu’à partir de quoi? D’une 
  sérieuse édification, celle de la relation d’objet telle 
  qu’elle se dégage de l’expérience dite freudienne. 
  Ça ne suffit pas. Il a fallu que cette relation, je la coule, je lui 
  fasse godet de la plus-value de Marx, ce que personne n’avait songé 
  pour cet usage. La plus-value de Marx, ça ne s’imagine pas comme 
  ça. Si ça s’invente, c’est au sens où le mot 
  invention veut dire qu’on trouve une bonne chose déjà bien 
  installée dans un petit coin, autrement dit qu’on fait une trouvaille. 
  Pour faire une trouvaille, il fallait que ça soit déjà 
  assez bien poli, rodé, par quoi?, par un discours. Alors, le plus-de-jouir, 
  comme la plus-value, n’est détectable que dans un discours développé, 
  dont il n’est pas question de discuter qu’on puisse le définir 
  comme le discours du capitaliste. Vous n’êtes pas bien curieux, 
  et puis surtout peu interventionnistes, de sorte que l’année dernière, 
  quand je vous ai parlé du discours du maître, personne n’est 
  venu me chatouiller pour me demander comment ça se situait là-dedans, 
  le discours du capitaliste. Moi j’attendais ça, je demande qu’à 
  vous l’expliquer, surtout que c’est simple comme tout. Un tout petit 
  truc qui tourne et votre discours du maître se montre tout ce qu’il 
  y a de plus transformable dans le discours du capitaliste; l’important 
  n’est pas ça, la référence à Marx, c’était 
  suffisant pour montrer que ça avait le plus profond rapport avec ce discours 
  du maître. Ce à quoi je veux en venir, c’est ceci, c’est 
  que pour attraper quelque chose d’aussi essentiel que ce qui est là, 
  disons le support — le support, chacun sait que je ne vous en abreuve 
  pas, c’est bien la chose du monde dont je me méfie le plus, parce 
  que c’est avec ça bien sûr qu’on fait les pires extrapolations, 
  c’est avec ça pour tout dire qu’on fait la psychologie, la 
  psychologie, c’est ce qui nous est bien nécessaire pour pouvoir 
  arriver à penser la fonction du langage —, alors quand je réalise 
  que du plus-de-jouir le support c’est la métonymie, c’est 
  bien que là je suis entièrement justifié, c’est ce 
  qui fait que vous me suiviez, par le fait que ce plus-de-jouir est essentiellement 
  un objet glissant. Impossible d’arrêter ce glissement en aucun point 
  de la phrase.
  Néanmoins, pourquoi nous refuser à nous apercevoir que le fait 
  qu’il soit utilisable dans un discours, linguistique ou pas, je vous l’ai 
  déjà dit, ça m’est égal, dans un discours 
  qui est le mien, et qu’il ne le soit qu’à s’emprunter 
  non au discours, mais à la logique du capitaliste, est quelque chose 
  qui nous introduit, plutôt nous ramène à ce que j’ai 
  apporté la dernière fois et qui a laissé certains un
  
—45 —
  tout petit peu perplexes. Chacun sait que je finis toujours ce que j’ai 
  à vous raconter dans un petit galop, parce que peut-être j’ai 
  trop traîné, musardé avant, certains me le disent, que voulez-vous 
  ? chacun son rythme. C’est comme ça que je fais l’amour.
  Je vous ai parlé d’une logique sous-développée. Ça 
  a laissé certains à se gratter la tête. Qu’est-ce 
  que ça va être, cette logique sous-développée?
  Partons de ceci. J’avais auparavant bien marqué ceci que ce que 
  véhicule l’extension du capitalisme, c’est le sous-développement. 
  Enfin je vais le dire maintenant parce que quelqu’un que j’ai rencontré 
  à la sortie et à qui j’ai fait une confidence, je lui ai 
  dit « j’aurais voulu illustrer la chose en disant que M. Nixon, 
  c’est en fait Houphouët-Boigny en personne », « Oh, il 
  m’a dit; vous auriez dû le dire. » Eh bien! je le dis. La 
  seule différence entre les deux, c’est que M. Nixon a été 
  psychanalysé, dit-on! Vous voyez le résultat! Quand quelqu’un 
  a été psychanalysé d’une certaine façon, et 
  ça c’est toujours vrai, dans tous les cas, quand il a été 
  psychanalysé d’une certaine façon, dans un certain champ, 
  dans une certaine école, par des gens qu’on peut nommer, eh bien! 
  c’est incurable. Il faut tout de même dire les choses comme elles 
  sont. C’est incurable. Ça va même très loin. Il est 
  par exemple manifeste qu’il est exclu que quelqu’un qui a été 
  psychanalysé quelque part, dans un certain endroit, par certaines personnes, 
  nommables, pas par n’importe lesquelles, eh bien! il ne peut rien comprendre 
  à ce que je dis. Ça s’est vu et il y a des preuves. Il sort 
  même tous les jours des bouquins pour le prouver. À soi tout seul, 
  ça soulève tout de même des questions sur ce qu’il 
  en est des possibilités de la performance, à savoir de fonctionner 
  dans un certain discours.
  Donc, si le discours est suffisamment développé, il y a quelque 
  chose, disons rien de plus, ce quelque chose il se trouve que c’est vous, 
  mais ça c’est un pur accident, personne ne sait votre rapport à 
  ce quelque chose, c’est un quelque chose qui vous intéresse quand 
  même.
  Voilà c’est comme ça que ça s’écrit. 
  Ça se lit, dans une transcription classique française sin g. Si 
  vous mettez un h devant — hsing — c’est la transcription anglaise, 
  et la plus récente transcription chinoise, si je ne m’y trompe 
  pas, parce qu’après tout c’est purement conventionnel, s’écrit 
  comme ça: xing. Bien sûr, ça ne se prononce pas xing, ça 
  se prononce ‘sing. C’est la nature. C’est cette nature dont 
  vous avez pu voir que je suis loin de l’exclure dans l’affaire. 
  Si vous n’êtes pas complètement sourdingues, vous avez pu 
  quand même remarquer que la première chose qui valait la peine 
  d’être retenue dans ce
  
— 46 —‘
  que je vous ai dit dans notre premier entretien, c’est que le signifiant 
  — j’ai bien insisté — il cavale partout dans la nature. 
  Je vous ai parlé des étoiles, des constellations plus exactement, 
  puisqu’il y a étoile et étoile; pendant des siècles 
  quand même, le ciel c’est ça: c’est le premier trait, 
  celui qui est au-dessus, qui est important. C’est un plateau, un tableau 
  noir. On me reproche de me servir du tableau noir. C’est tout ce qui nous 
  reste comme ciel, mes bons amis, c’est pour ça que je m’en 
  sers, pour mettre dessus ce qui doit être vos constellations.
  Alors, un discours suffisamment développé, de ce discours il résulte 
  que tous tant que vous êtes, et que vous soyez ici ou aux U.S.A., c’est 
  le même tabac, et de même ailleurs, vous êtes sous-développés 
  par rapport à ce discours. Je parle de ce quelque chose, ce quelque chose 
  à quoi il s’agit de s’intéresser mais qui est certainement 
  ce dont on parle quand on parle de votre sous-développement. Où 
  le situer exactement? Qu’en dire ? Ce n’est pas faire de la philosophie 
  de demander de ce qui arrive, quelle est la substance. Il y a des choses dans 
  ce cher Meng-Tzu, je ne vois, après tout, pas de raisons de vous faire 
  droguer, je n’ai véritablement aucun espoir que vous fassiez l’effort 
  d’y loutre le nez, je vais donc aller aussi bien, pourquoi pas? à 
  ce que je devrais ménager de trois étages d’échelons, 
  surtout qu’il nous y dit des choses extraordinairement intéressantes. 
  Il y a un truc, on ne sait pas comment ça sort d’ailleurs, parce 
  que c’est fait Dieu sait comment, c’est un collage, ce livre de 
  Meng-Tzu, les choses se suivent, comme on dit, et ne se ressemblent pas. Enfin 
  bref! à côté de cette notion du hsing, de la nature, sort 
  tout d’un coup celle du min g, du décret du ciel.
  Evidemment, je pourrais très bien m’en tenir au min g, au décret 
  du ciel, c’est à savoir continuer mon discours, ce qui veut dire 
  en somme: c’est comme ça parce que c’est comme ça, 
  un jour, la science poussa sur notre terrain. En même temps, le capitalisme 
  faisait des siennes, et puis il y a eu un type, Dieu sait pourquoi, décret 
  du ciel, il y a Marx qui a, en somme, assuré au capitalisme une assez 
  longue survie. Et puis il y a Freud qui a tout à coup été 
  inquiet de quelque chose qui manifestement devenait le seul élément 
  d’intérêt qui eut encore quelque rapport avec cette chose 
  qu’on avait autrefois rêvée et qui s’appelait la connaissance, 
  à une époque où il n’y avait plus la moindre trace 
  de quelque chose qui ait un sens de cette espèce, il s’est aperçu 
  qu’il y avait le symptôme.
  
—47—
  C’est là que nous en sommes. Le symptôme, c’est autour 
  de quoi tourne tout ce dont nous pouvons, comme on dit, si le mot avait encore 
  un sens, avoir idée. Le symptôme, c’est là-dessus 
  que vous vous orientez, tous autant que vous êtes. La seule chose qui 
  vous intéresse, et qui ne tombe pas à plat, qui ne soit pas simplement 
  inepte comme information, c’est des choses qui ont l’apparence de 
  symptôme c’est-à-dire, en principe, des choses qui vous font 
  signe, mais à quoi on ne comprend rien. C’est la seule chose sûre, 
  c’est qu’il y a des choses qui vous font signe à quoi on 
  ne comprend rien.
  Je vous dirai comment l’homme, c’est intraduisible, c’est 
  comme ça, c’est le type bien, fait de très curieux petits 
  tours de jonglerie et d’échange entre le hsing et le ming. C’est 
  évidemment beaucoup trop calé pour que je vous en parle aujourd’hui, 
  mais je le mets à l’horizon, à la pointe pour vous dire 
  que c’est là qu’il faudra en venir, parce que de toute façon, 
  ce xin, c’est quelque chose qui ne va pas, qui est sous-développé; 
  il faut bien savoir où le mettre. Qu’il puisse vouloir dire la 
  nature, ça a quelque chose de pas très satisfaisant vu l’état 
  où en sont les choses pour ce qui est de l’histoire naturelle. 
  Ce hsing, il n’y a aucune espèce de chance que nous le trouvions 
  dans ce truc rudement calé à obtenir, à serrer de près 
  qui s’appelle le plus-de-jouir. Si c’est si glissant, ça 
  ne rend pas facile de mettre la main dessus. C’est tout de même 
  pas, certainement pas à ça que nous nous référons 
  quand nous parlons de sous-développement.
  je sais bien qu’à terminer maintenant, parce que l’heure 
  s’avance, je vais vous laisser peut-être un petit peu trop en haleine. 
  Tout de même, je vais revenir en arrière, sur le plan de l’agir 
  métaphorique et pour vous dire en quoi, puisque aujourd’hui ça 
  a été mon pivot, la linguistique convenablement filtrée, 
  critiquée, focalisée, enfin, pour tout dire, à condition 
  que nous en fassions exactement ce que nous voulons et ce que font les linguistes, 
  mon Dieu, pourquoi ne pas en tirer profit? Il peut arriver qu’ils fassent 
  quelque chose d’utile. Si la linguistique est ce que je disais tout à 
  l’heure, une métaphore qui se fabrique exprès pour ne pas 
  marcher, ça peut peut-être vous donner des idées pour ce 
  qui pourrait bien, nous, être notre but. D’où nous nous tenons 
  avec Meng-Tzu et puis quelques autres à son époque qui savaient 
  ce qu’ils disaient, parce qu’il ne faudrait pas confondre quand 
  même le sous-développement avec le retour à un état 
  archaïque, ce n’est pas parce que Meng-Tzu vivait au troisième 
  siècle avant Jésus-Christ que je vous le présente comme 
  une mentalité primitive; je vous le présente comme quelqu’un 
  qui, dans ce qu’il disait, savait probablement une part des choses que 
  nous ne savons pas
  
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  quand nous disons la même chose, alors c’est ça qui peut 
  nous servir à apprendre avec lui à soutenir une métaphore, 
  non pas fabriquée pour ne pas marcher, mais dont nous suspendions l’action. 
  C’est là peut-être où nous essayerons de montrer la 
  voie nécessaire.
  J’en resterai là aujourd’hui pour un discours qui ne serait 
  pas du semblant.
1, page 37. Interview d’André Martinet par 
  Brigitte Devismes parue dans Le Monde du
  5janvier 1971.
  1,page 42. André Martinet, Eléments de linguistique générale, 
  Paris, 1960. Nouvelle édition revue et augmentée, collection «V», 
  Paris, 1967. 
note 
  : 
  bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou 
  si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance 
  de m'adresser un 
  émail.
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