XVIII- d'un discours qui ne serait pas
du semblant
version rue CB en
cours note
17 février 1971
49
[Avant le séminaire, Lacan écrit au tableau
la citation de Meng-Tzu, reproduite en page 67.]
— Ça, c’est le nom de l’auteur de cette menue formule...
— Plus fort!
— Ça, c’est le nom de l’auteur de cette menue formule!
—Merci.
— Cette menue formule, auquel, malgré qu’elle ait été
écrite vers 250 avant J.-C., en Chine comme vous le voyez, au chapitre
2, au Livre IV, deuxième partie, quelquefois c’est classé
autrement, alors dans ce cas-là ce sera la partie VIII, au Livre IV,
deuxième partie paragraphe 26 de Meng-Tzu, ce que les jésuites
appellent Mencius, puisque ce sont eux qui ont fait, bien avant l’époque
où il y a eu des sinologues, c’est-à-dire le début
du XIXe siècle, pas avant; j’ai eu le bonheur d’acquérir
le premier livre sur lequel se soient trouvées conjointes une
plaque d’impression chinoise, c’est pas tout à fait la même
chose que le premier livre où il y ait eu à la fois des caractères
chinois et des caractères européens, c’est le premier livre
où il y a eu une plaque d’impression chinoise avec des choses écrites,
des choses imprimées, de notre crû. C’est une traduction
des fables d’Esope. Ça, c’est paru en 1840, et ça
se targue, à juste titre, d’être le premier livre où
se soit réalisée cette conjonction. Mil huit cent quarante, dites-vous
que c’est à peu près, justement, la note du moment où
il y a eu des sinologues. Les jésuites étaient depuis bien longtemps
en Chine, comme peut-être certains s’en
—50—
souviennent. Ils ont failli faire la conjonction de la Chine avec ce qu’ils
représentaient au titre de missionnaires. Seulement ils se sont laissés
un peu, un peu impressionner par les rites chinois, et comme vous le savez peut-être,
en plein XVIIIe siècle, ça leur a fait quelques ennuis avec Rome,
qui n’a pas montré en l’occasion une particulière
acuité politique. Ça lui arrive, à Rome. Enfin, dans Voltaire,
si vous lisez Voltaire, mais bien sûr personne ne lit plus Voltaire, vous
avez bien tort, c’est tout plein de choses; dans Voltaire, il y a, très
exactement dans Le Siècle de Louis XIV, un appendice, je crois, ça
forme un libelle particulier, un grand développement sur cette Querelle
des Rites, dont beaucoup de choses dans l’histoire se trouvent maintenant
en position de filiation.
Quoi qu’il en soit donc, c’est de Mencius qu’il s’agit,
et Mencius écrit ceci —puisque je l’ai écrit au tableau,...,
pour commencer ça ne fait pas à proprement parler partie de mon
discours d’aujourd’hui, c’est pour ça que je le case
avant l’heure pile de midi et demi —, je vais vous dire, ou je vais
essayer de vous faire sentir ce que ça veut dire, et puis ça nous
mettra dans le bain concernant ce qui est l’objet à proprement
parler de ce que je veux énoncer aujourd’hui, c’est à
savoir que... dans ce qui nous préoccupe, quelle est la fonction de l’écriture.
Comme l’écriture, ça existe en Chine depuis... un temps
immémorial, je veux dire bien avant que nous en ayons à proprement
parler des ouvrages, l’écriture existait déjà depuis
extrêmement longtemps, on ne peut pas évaluer depuis combien de
temps elle existait; cette écriture a, en Chine, un rôle tout à
fait pivot, dans un certain nombre de choses qui se sont passées, et
c’est assez... c’est assez éclairant sur ce que nous pouvons
penser de la fonction de l’écriture. Il est certain que l’écriture
a joué un rôle tout à fait décisif dans le support
de quelque chose, de quelque chose auquel nous avons à..., cet accès-là
et rien d’autre, à savoir un type de structure sociale qui s’est
soutenu très longtemps et d’où, jusqu’à une
époque récente, on pouvait conclure qu’il y avait une toute
autre filiation quant à ce qui se supportait en Chine, que ce qui s’était
engendré chez nous, et nommément par un de ces phylum qui se trouvent
nous intéresser particulièrement, à savoir le phylum philosophique
en tant que, je l’ai pointé l’année dernière,
il est nodal pour comprendre ce dont il s’agit quant au discours du maître.
Alors, voilà comment s’énonce cet exergue; comme je vous
l’ai déjà montré au tableau la dernière fois,
ceci désigne le ciel, ça se dit tien. T’ien hsia, c’est
sous le ciel, tout ce qui est sous le ciel; ici c’est un déterminatif
tchih, il s’agit de quelque chose qui est dessous le ciel; qu’est-ce
qui est dessous le ciel, c’est ce qui vient après. Ce que vous
voyez là n’est autre chose que la désignation de la
— 51 —
parole, que dans l’occasion nous énoncerons yen. Yen hsing, je
l’ai déjà mis au tableau la dernière fois, en vous
signalant que ce hsing, c’était justement un des éléments
qui nous préoccuperont cette année, pour autant que le terme qui
en approche le plus, c’est celui de la nature. Et yeh est quelque chose
qui conclut une phrase sans dire à proprement parler qu’il s’agit
de quelque chose de l’ordre de ce que nous énonçons est,
être, c’est une conclusion; c’est une conclusion ou disons
une ponctuation, car la phrase continue ici puisque les choses s’écrivent
de droite à gauche, la phrase continue ici par un certain tse qui veut
dire par conséquent, ou qui en tout cas indique le conséquent.
Alors, voyons donc ce dont il s’agit. Yen ne veut rien dire d’autre
que le langage, mais comme tous les termes énoncés dans la langue
chinoise, c’est susceptible aussi d’être employé au
sens d’un verbe. Donc ça peut vouloir dire à la fois la
parole et ce qui parle, et qui parle quoi? Ça serait dans ce cas ce qui
suit, à savoir hsing, la nature, ce qui parle de la nature sous le ciel,
et yeh serait une ponctuation.
Néanmoins, et c’est en cela qu’il est intéressant
de s’occuper d’une phrase de la langue écrite, vous voyez
que vous pourriez couper les choses autrement et dire: la parole, voire le langage,
car s’il s’agissait de préciser la parole, nous aurions un
autre caractère légèrement différent, à ce
niveau tel que donc il est ici écrit, ce caractère peut aussi
bien vouloir dire parole que langage. Ces sortes d’ambiguïtés
sont tout à fait fondamentales dans l’usage de ce qui s’écrit,
très précisément, et c’est ce qui en fait la portée
de ce que j’écris. Comme je vous l’ai fait remarquer, comme
je vous l’ai fait remarquer au départ de mon discours de cette
année, et plus spécialement la dernière fois, c’est
très précisément en tant que la référence
quant à tout ce qui est du langage est toujours indirecte que le langage
prend sa portée.
Nous pourrions donc dire aussi: le langage, en tant qu’il est dans le
monde, qu’il est sous le ciel, le langage,
— 52 —
voilà ce qui fait hsing, la nature, car cette nature n’est pas,
au moins dans Meng-Tzu, n’importe quelle nature, il s’agit justement
de la nature de l’être parlant, celle dont, dans un autre passage,
il tient à préciser que, il y a une différence entre cette
nature et la nature de l’animal, une différence, ajoute-t-il, pointe-t-il
en deux termes qui veulent bien dire ce qu’ ils veulent dire, «
une différence infinie ». Et qui peut-être est celle qui
est définie là. Vous le verrez d’ailleurs, que nous prenions
l’une ou l’autre de ces interprétations, l’axe de ce
qui va se dire comme conséquent n’en sera pas changé.
Tse donc, c’est la conséquence; en conséquence, ku, c’est
ici, ku, en conséquence, c’est de cause — car cause ne veut
pas dire autre chose, quelle que soit l’ambiguïté que, un
certain livre, un certain livre qui est celui-ci, Mencius on the mind, à
savoir un livre commis par un nommé Richards, qui n’était
certainement pas le dernier venu — Richards et Ogden sont les deux chefs
de file d’une position née en Angleterre et tout à fait
conforme à la meilleure tradition de la philosophie anglaise, qui ont
constitué au début de ce siècle la doctrine appelée
logico-positivisme, dont le livre majeur s’intitule The Meaning of Meaning.
C’est un livre auquel vous trouverez déjà allusion dans
mes Ecrits avec une certaine position dépréciative de ma part.
The Meaning of Meaning veut dire le sens du sens. Le logico-positivisme procède
de cette exigence qu’un texte ait un sens saisissable, ce qui l’amène
à une position qui est celle-ci que, un certain nombre d’énoncés
philosophiques se trouvent en quelque sorte dévalorisés au principe
du fait qu’ils ne... qu’ils ne donnent aucun résultat saisissable
quant à la recherche du sens. En d’autres termes, pour peu qu’un
texte philosophique soit pris en flagrant délit de non-sens, il est mis
pour cela même hors de jeu. Il n’est que trop clair que c’est
là une façon d’élaguer les choses qui ne permet guère
de s’y retrouver car si nous partons du principe que quelque chose qui
n’a pas de sens ne peut pas être essentiel dans le développement
d’un discours, nous perdons le fil, tout simplement. Je ne dis pas bien
sûr qu’une telle exigence ne soit un procédé, mais
que ce procédé nous interdise en quelque sorte toute articulation
dont le sens n’est pas saisissable, c’est quelque chose qui, par
exemple, peut, aboutira à ceci par exemple que nous ne pourrons plus
faire usage du discours mathématique, dont, de l’aveu des logiciens
les plus
— 53 —
qualifiés, ce qui le caractérise, c’est que, il se peut
qu’en tel ou tel de ses points, nous ne puissions plus lui donner aucun
sens, ce qui ne l’empêche pas précisément d’être,
de tous les discours, celui qui se développe avec le plus de rigueur.
Nous nous trouvons d’ailleurs de ce fait en un point qui est tout à
fait essentiel à mettre en relief concernant la fonction de l’écrit.
Donc, c’est de ku qu’il s’agit, c’est de ku qu’il
s’agit et en tant que i wei, car je vous ai déjà dit que
ce wei qui peut dans certains cas vouloir dire agir voire même quelque
chose qui est de l’ordre de faire encore que ce ne soit pas n’importe
lequel, i ici a le sens de quelque chose comme avec, c’est avec que nous
allons procéder comme, comme quoi? comme li, c’est ici le mot sur
lequel je vous pointe, je vous pointe ceci que li, je le répète,
que ce li qui veut dire gain, intérêt, profit, et la chose est
d’autant plus remarquable que précisément Mencius, Mencius
dans son premier chapitre, se présentant à un certain prince,
peu importe lequel, de ce qui constituait les Royaumes dits, dits par la suite
être les Royaumes combattants, se trouve auprès de ce prince qui
lui demande ses conseils, auprès de ce prince, marquer que, il n’est
pas là pour lui enseigner ce qui fait notre loi présente à
tous, à savoir de ce qui convient pour l’accroissement de la richesse
du Royaume, et nommément de ce que nous appellerions la plus-value. S’il
y a un sens qu’on peut donner rétroactivement à li, c’est
bien de cela qu’il s’agit. Or, c’est bien là qu’il
est remarquable de voir que ce que marque en l’occasion Mencius, c’est
que à partir donc de cette parole qui est la nature, ou si vous voulez
de la parole qui concerne la nature, ce dont il va s’agir, c’est
d’arriver à la cause, en tant que ladite cause, c’est li,
erh, i i, ce qui veut dire le li, erh est quelque chose qui veut à la
fois dire comme et, et comme mais, erh i, c’est seulement ça, et
pour qu’on n’en doute pas, le i qui termine, qui est un i conclusif,
ce i a le même accent de seulement. C’est li, et ça suffit.
C’est là que je me permets en somme de
— 54 —
reconnaître que, pour ce qui est des effets du discours, pour ce qui est
dessous le ciel, ce qui en ressort n’est autre que la fonction de la cause
en tant qu’elle est le plus de jouir.
Vous verrez, à vous référer à ce texte de Meng-Tzu,
vous avez deux façons de le faire, vous le procurer d’une part
dans l’édition en somme très très bonne qui en a
été donnée par un jésuite de la fin du XIXe siècle,
un nommé Wieger, dans une édition des Quatre Livres fondamentaux
du Confucianisme; vous avez une autre façon, c’est de vous emparer
de ce Mencius on the Mind qui est paru chez Kegan Paul à Londres. Je
ne sais pas s’il en existe actuellement beaucoup d’exemplaires encore
available, comme on dit, mais après tout ça vaut la peine
de, pourquoi pas, d’en faire faire pour ceux qui seraient curieux de se
reporter à quelque chose d’aussi fondamental, pour un certain éclairage
d’une réflexion sur le langage qu’est le travail d’un
néo-positiviste et qui n’est certainement pas négligeable,
le Mencius on the Mind donc, de Richards, se procure à Londres chez Kegan
Paul. Et ceux qui trouveront bon de se donner la peine d’en avoir [un
exemplaire], s’ils ne peuvent pas se procurer [le volume], se faire une
photocopie, peut-être, n’en comprendront que mieux un certain nombre
de références que j’y prendrai cette année car j’y
reviendrai.
Autre chose donc est de parler de l’origine du langage, et autre chose
de sa liaison à ce que j’enseigne, à ce que j’enseigne
conformément à ce que j’articule, que j’ai l’année
dernière articulé comme le discours de l’analyste. Car vous
ne l’ignorez pas, la linguistique a commencé avec Humboldt par
cette sorte d’interdit, de ne pas se poser la question de l’origine
du langage, faute de quoi bien sûr on s’égare. Ce n’est
pas rien que quelqu’un se soit avisé en pleine période de
mythification génétique, c’était le style au début
du siècle 19, ait posé que rien, à jamais, ne serait situé,
fondé, articulé, concernant le langage, si on ne commençait
pas d’abord par interdire les questions de l’origine. C’est
un exemple qui aurait bien dû être suivi ailleurs, ça nous
aurait évité bien des élucubrations du type de celles qu’on
peut appeler primitivistes, il n’y a rien de tel que la référence
au primitif pour... primitiver la pensée. C’est elle-même
qui régresse régulièrement à la mesure même
de ce qu’elle prétend découvrir comme primitif.
Le discours de l’analyste, faut bien que je vous le dise, puisqu’en
somme vous ne l’avez pas entendu, le discours de l’analyste n’est
rien d’autre que la logique de l’action. Vous l’avez pas entendu,
pourquoi ? parce que dans ce que j’ai articulé l’année
dernière avec les petites lettres au tableau, sous cette forme,
— 55 —
le petit a sur S2 et de ce qui se passe au niveau de l’analysant, à
savoir la fonction du sujet en tant que barré et en tant que ce qu’il
produit, ce sont des signifiants, et pas n’importe lesquels, des signifiants
maîtres. C’est parce que c’était écrit et écrit
comme ça, car je l’ai écrit à maintes reprises, c’est
pour cela même que vous ne l’avez pas entendu. C’est en ça
que l’écrit se différencie de la parole, et il faut y remettre
de la parole et l’en beurrer sérieusement, mais naturellement non
pas sans inconvénients de principe, pour qu’il soit entendu. On
peut écrire donc des tas de choses sans que ça parvienne à
aucune oreille. C’est pourtant écrit. C’est même pour
ça que mes Ecrits, je les ai appelés comme ça. Ça
a scandalisé comme ça du monde sensible, et pas n’importe
qui. Il est très curieux que la personne que ça a littéralement
convulsé soit une japonaise. Je commenterai ça plus tard. Naturellement
ici ça n’a convulsé personne, la japonaise dont je parle
n’est pas là. Et n’importe qui, qui est de cette tradition,
saurait je pense à l’occasion comprendre pourquoi cette espèce
d’effet d’insurrection s’est produit. C’est de la parole
bien sûr que se fraie la voie vers l’écrit. Mes Ecrits, si
je les ai intitulés comme ça, c’est qu’ils représentent
une tentative, une tentative d’écrit, comme c’est suffisamment
marqué par ceci que ça aboutit à des graphes. L’ennui,
c’est que, c’est que les gens qui prétendent me commenter
partent tout de suite des graphes. Ils ont tort, les graphes ne sont compréhensibles
qu’en fonction, je dirai, du moindre effet de style des dits Ecrits, qui
en sont en quelque sorte les marches d’accès. Moyennant quoi l’écrit,
l’écrit repris à soi tout seul, qu’il s’agisse
de tel ou tel schéma, celui qu’on appelle L ou n’importe
quoi, ou du grand graphe lui-même, présente l’occasion de
toutes sortes de malentendus. C’est d’une parole qu’il s’agit,
en tant bien sûr et pourquoi, qu’elle tend à frayer la voie
à ces graphes qu’il s’agit, mais il convient de ne pas oublier
cette parole, pour la raison qu’elle est celle même qui se réfléchit
de la règle analytique qui est comme vous le savez: parlez, parlez, pariez
[?], il suffit que vous paroliez, voilà la boîte d’où
sortent tous les dons du langage, c’est une boîte de Pandore. Quel
rapport donc avec ces graphes? Ces graphes bien sûr, personne n’a
encore osé aller jusque-là, ces graphes ne vous indiquent en rien
quoi que ce soit qui permette de faire retour à l’origine du langage.
S’il y a une chose qui y paraît tout de suite, c’est que non
seulement ils ne la livrent pas, mais qu’ils ne la promettent pas non
plus.
Ce dont il va s’agir aujourd’hui est de la situation par rapport
à la vérité qui résulte de ce qu’on appelle
la libre association, autrement dit un libre emploi de la parole. Je n’en
ai jamais parlé qu’avec ironie, il n’y a pas plus de libre
association qu’on ne pourrait dire qu’est libre une variable liée
dans une fonction
— 56 —
mathématique, et la fonction définie par le discours analytique
n’est bien évidemment pas libre, elle est liée. Elle est
liée par des conditions que je désignerai rapidement comme celles
du cabinet analytique. À quelle distance est mon discours analytique
tel qu’il est ici défini par cette disposition écrite, à
quelle distance est-il du cabinet analytique, c’est précisément
ce qui constitue ce que nous appellerons mon dissentiment d’avec un certain
nombre de cabinets analytiques. Aussi cette définition du discours analytique,
pour pointer là où j’en suis, ne leur paraît pas s’accommoder
aux conditions du cabinet analytique. Or, ce que mon — discours dessine,
disons à tout le moins livre [c’est] une partie des conditions
qui constituent le cabinet analytique. Mesurer ce qu’on fait quand on
entre dans une psychanalyse, c’est quelque chose qui a bien son importance,
mais en tout cas quant à moi, qui s’indique dans le fait que je
procède toujours à de nombreux entretiens préliminaires.
Une personne pieuse que je ne désignerai pas autrement trouvait, paraît-il,
aux derniers échos, enfin à des échos d’il y a trois
mois, au moins y avait-il une gageure intenable pour elle à fonder le
transfert sur le Sujet supposé savoir, puisque par ailleurs la méthode
implique qu’il se soutienne d’une absence totale de préjugés
quant au cas. Le Sujet supposé savoir quoi, alors? me permettrai-je de
demander à cette personne, si le psychanalyste doit être supposé
savoir ce qu’il fait, et s’il le sait effectivement? À partir
de là, à partir de là on comprendra que je pose d’une
certaine façon mes questions sur le transfert dans La direction de la
cure par exemple, qui est un texte auquel je vois avec plaisir que dans mon
école, [puisqu’] il se passe quelque chose de nouveau, c’est
que dans mon école on se met à travailler au titre d’une
école, c’est là quand même un pas assez nouveau pour
être relevé, j’ai pu constater non sans plaisir qu’on
s’était aperçu que dans ce texte, je ne tranche aucunement
de ce qu’est le transfert. C’est très précisément
en disant le Sujet supposé savoir, tel que je le définis, que
la question est... tout à fait reste entière de savoir si l’analyste
peut être supposé savoir ce qu’il fait.
Pour en quelque sorte prendre au départ, départ de ce qui aujourd’hui
va être énoncé, et pour lequel ce petit caractère
chinois car c’en est un celui-là, c’en est un, je regrette
beaucoup que la craie ne me permette pas de mettre les accents que permet le
pinceau, c’en est un qui a un sens, pour satisfaire aux exigences des
logico-positivistes, c’est un sens dont vous allez voir qu’il est
pleinement ambigu puisqu’il veut à la fois dire retors, qu’il
veut dire aussi personnel, au sens de privé. Et puis
— 57—
il en a encore quelques autres. Mais ce qui me paraît remarquable, c’est
sa forme écrite, et sa forme écrite va me permettre tout de suite
de vous dire où se placent les termes autour desquels va tourner mon
discours d’aujourd’hui.
Si nous placions quelque part ici (1) ce que j’appelle au sens le plus
large — vous allez voir que c’est large,... je dois dire que je
n’ai pas besoin, il me semble, de le souligner — les effets de langage,
c’est ici (2) que nous aurions à mettre ce dont il s’agit,
à savoir où ils prennent leur principe. Là où ils
prennent leur principe, c’est en cela que le discours analytique est révélateur
de quelque chose qui, qu’il est un pas, j’ai essayé de le
rappeler, encore qu’il s’agisse pour l’analyse, de vérités
premières. C’est par là que je vais commencer tout de suite.
Nous aurions ici (3) alors le fait de l’écrit.
Il est très important à notre époque, et à partir
de certains énoncés qui ont été faits et qui tendent
à établir de très regrettables confusions, de rappeler
que tout de même l’écrit est non pas premier mais second
par rapport à toute fonction du langage, et que néanmoins sans
l’écrit, il n’est d’aucune façon possible de
revenir questionner ce qui résulte au premier chef de l’effet de
langage comme tel, autrement dit de l’ordre symbolique, c’est à
savoir la dimension, pour vous faire plaisir, mais vous savez que j’ai
introduit le terme de demansion, la demansion, la résidence, le lieu
de l’Autre de la vérité. Je sais que cette demansion a fait
question pour certains, les échos m’en sont revenus, eh bien! si
demansion est en effet un terme, un terme nouveau que j’ai fabriqué
et s’il n’a pas encore de sens, eh bien! ça veut dire que
c’est à vous que ça revient de lui en donner un. Interroger
la demansion de la vérité, de la vérité dans sa
demeure, c’est quelque chose, là est le terme, la nouveauté
de ce que j’introduis aujourd’hui, qui ne se fait que par l’écrit,
et par l’écrit en tant que ceci, que, il n’est que de l’écrit
que se constitue la logique. Voici ce que j’introduis en ce point de mon
discours de cette année, il n’y a de question logique qu’à
partir de l’écrit, en tant que l’écrit n’est
justement pas le langage. Et c’est en cela que j’ai énoncé
qu’il n’y a pas de métalangage, que l’écrit
même en tant qu’il se distingue du langage est là pour nous
montrer que, si c’est de l’écrit que s’interroge le
langage, c’est justement en tant que l’écrit ne l’est
pas, mais qu’il ne se construit, ne se fabrique que de sa référence
au langage.
— 58—
3 2
écrit
Après avoir posé ceci qui a l’avantage
de vous frayer ma visée, mon dessein, je repars de ceci qui concerne
ce point, ce point qui est de l’ordre de cette surprise par où
se signale l’effet de rebroussement dont j’ai essayé de définir
la jonction de la vérité au savoir, et que j’ai énoncé
en ces termes qu’il n’y a pas de rapport sexuel chez l’être
parlant. Il y a eu une première condition qui pourrait tout de suite
nous le faire voir, c’est que le rapport sexuel, comme tout autre rapport
au dernier terme, ça ne subsiste que de l’écrit. L’essentiel
du rapport, c’est une application, a appliqué sur b (a —÷
b), et si vous ne l’écrivez pas a et b, vous ne tenez pas le rapport
en tant que tel. Ça ne veut pas dire qu’il ne se passe pas des
choses dans le réel. Mais au nom de quoi l’appelleriez-vous rapport?
Cette chose grosse comme tout suffirait déjà à rendre,
disons, concevable, qu’il n’y ait pas de rapport sexuel, mais ça
ne trancherait en rien le fait qu’on n’arrive pas à l’écrire.
Je dirai même plus, il y a quelque chose qu’on a fait déjà
depuis un bout de temps, c’est de l’écrire comme ça
: ???, en se servant de petits signes planétaires, à savoir rapport
de ce qui est mâle à ce qui est femelle. Et je dirai même
que depuis un certain temps, grâce au progrès qu’a permis
l’usage du microscope, car n’oublions pas qu’avant Swammerdam,
on ne pouvait en avoir aucune espèce d’idée, ceci... peut
sembler articuler le fait que le rapport, si complexe soit-il, n’est-ce
pas, si méiotique qu’en soit le procès par où des
cellules dites gonadiques donnent un modèle de la fécondation
d’où procède la reproduction, eh bien! il semble qu’en
effet quelque chose soit là fondé, établi, qui permette
de situer à un certain niveau dit biologique ce qu’il en est du
rapport sexuel. L’étrange assurément — et après
tout mon Dieu! pas tellement tel, mais je voudrais évoquer pour vous
la dimension d’étrangeté de la chose c’est que la
dualité et la suffisance de ce rapport ont depuis toujours leur modèle,
je vous l’ai évoqué la dernière fois à propos
des petits signes chinois, il y en a qui là, je me suis tout d’un
coup impatienté de vous montrer des signes, ça avait l’air
d’être fait uniquement pour vous épater, eh bien! le yin
que je ne vous ai pas fait la dernière fois le voilà, —
et le yang, voilà; je le répète n’est-ce pas, voilà!
Un autre petit trait ici. Le yin et le yang, les principes mâle et femelle,
voilà ce qui après tout n’est pas particulier à la
tradition chinoise, voilà ce que vous retrouvez dans toute espèce
de cogitation concernant les rapports de l’action et de la passion, concernant
le formel et le substantiel, concernant Purusha, l’esprit, et Prakriti
- 59 -
je ne sais quelle matière femellisée. Le
modèle général de ce rapport du mâle au femelle est
bien ce qui hante depuis toujours, depuis longtemps le repérage, le repérage
de l’être parlant concernant les forces du monde, celles qui sont
t’ien hsia sous le ciel.
Il convient de marquer ceci de tout à fait nouveau, ce que j’ai
appelé l’effet de surprise, de comprendre ce qui est sorti, quoi
que cela vaille, du discours analytique. C’est qu’il est intenable
d’en rester d’aucune façon à cette dualité
comme suffisante, c’est que la fonction dite du phallus, qui est à
vrai dire la plus maladroitement maniée, mais qui est là, qui
fonctionne dans ce qu’il en est, non pas seulement d’une expérience,
liée à ce je ne sais quoi qui serait à considérer
comme déviant, comme pathologique, mais qui est essentiel comme tel à
l’institution du discours analytique, cette fonction du phallus rend désormais
intenable cette bipolarité sexuelle, et intenable d’une façon
qui littéralement volatilise ce qu’il en est de ce qui peut s’écrire
de ce rapport.
Il faut distinguer ce qu’il en est de cette intrusion du phallus, de ce
que certains ont cru pouvoir traduire du terme de « manque de signifiant
». Ça n’est pas du manque de signifiant qu’il s’agit,
mais de l’obstacle fait à un rapport. Le phallus, en mettant l’accent
sur un organe, ne désigne, ne désigne nullement l’organe
dit pénis avec sa physiologie, ni même la fonction qu’on
peut, ma foi! lui attribuer avec quelque vraisemblance, comme étant celle
de la copulation. Il vise de la façon la moins ambiguë, si on se
rapporte aux textes analytiques, son rapport à la jouissance. Et c’est
en cela qu’ils le distinguent de la fonction physiologique, il y a, c’est
cela qui se pose comme constituant la fonction du phallus, il y a une jouissance
qui constitue dans ce rapport, différent du rapport sexuel, quoi? ce
que nous appellerons sa condition de venté. L’angle sous lequel
est pris l’organe qui, au regard de ce qu’il en est de l’ensemble
des vivants, n’est nullement lié à cette forme particulière;
si vous saviez la variété des organes de copulation qui existe
chez les insectes, vous pourriez, ce qui est après tout le principe de
ce qui est toujours d’un bon usage, à savoir l’étonnement,
pour interroger le réel, vous pourriez certainement, en effet, vous étonner
que ce soit particulièrement comme ça que ça fonctionne
chez les vertébrés. Il s’agit ici de l’organe en tant
—il faut bien qu’ici j’aille vite, car je ne vais pas enfin,
m’éterniser, tout reprendre, qu’on se reporte aux textes
dont je parlais tout à l’heure, la Direction de la Cure et les
Principes de son Pouvoir—, le phallus, c’est l’organe en tant
qu’il est, e.s.t,
— 60 —
il s’agit de l’être, en tant qu’il est la jouissance...
féminine. Voilà où et en quoi réside l’incompatibilité
de l’être et de l’avoir. Dans ce texte, ceci est répété
avec une certaine insistance, et en y mettant certains accents de style, dont
je répète qu’ils sont aussi importants pour cheminer que
les graphes à quoi ils aboutissent; et voilà! j’avais en
face de moi, comme ça, au fameux Congrès de Royaumont, quelques
personnes qui ricanaient, enfin si tout est là, s’il s’agit
de l’être et de l’avoir, ça leur paraissait n’avoir
pas grande portée, l’être et l’avoir. On choisit [ou:
qu’ils choisissent], hein! C’est pourtant ça qui s’appelle
la castration.
Ce que je propose est ceci, c’est de poser que le langage, n’est-ce
pas, nous le mettons là (1), a son champ réservé dans cette
béance du rapport sexuel, telle que la laisse ouverte le phallus, en
posant que ce qu’il y intro duit, ça n’est, non pas deux
termes qui se définissent du mâle et du femelle, mais de ce choix
qu’il y a entre des termes d’une nature et d’une fonction
bien différentes qui s’appellent l’être et l’avoir.
Ce qui le prouve, ce qui le supporte, ce qui rend absolument évidente,
définitive, cette distance, c’est ceci, ceci dont il ne semble
pas qu’on ait remarqué la différence, c’est la substitution
au rapport sexuel de ce qui s’appelle la loi sexuelle. C’est là
qu’est cette distance où s’inscrit qu’il n’y
a rien de commun entre ce qu’on peut énoncer d’un rapport
qui ferait loi en tant qu’il relève, sous une forme quelconque,
de l’application telle qu’au plus près la serre la fonction
mathématique, et une loi qui est cohérente à tout le registre
de ce qui s’appelle le désir, de ce qui s’appelle interdiction,
de ce qui souligne que c’est de la béance même de l’interdiction
inscrite que relève la conjonction, voire l’identité, comme
j’ai osé l’énoncer, de ce désir et de cette
loi, et ce qui pose corrélativement pour tout ce qui relève de
l’effet de langage, de tout ce qui instaure la demansion de la vérité
d’une structure de fiction.
La corrélation de toujours du rite et du mythe, dont c’est faiblesse
ridicule de dire que le mythe serait simplement le commentaire du rite, ce qui
est fait pour le soutenir, pour l’expliquer, alors que c’en est,
selon une topologie qui est celle à laquelle j’ai fait depuis assez
longtemps déjà un sort pour n’avoir pas besoin de la rappeler,
le rite et le mythe sont comme l’endroit et comme l’envers, à
cette condition que cet endroit et cet envers soient en continuité. Le
maintien, le — 60 —
61
maintien dans le discours analytique de ce mythe résiduel qui s’appelle
celui de l’Œdipe, Dieu sait pourquoi, qui est en fait celui de Totem
et Tabou, où s’inscrit ce mythe tout entier de l’invention
de Freud, du père primordial en tant qu’il jouit de toutes les
femmes, c’est tout de même là que nous devons interroger
d’un peu plus loin, de la logique, de l’écrit, ce qu’il
veut dire.
Il y a bien longtemps que j’ai introduit ici le schéma de Peirce
concernant les propositions en tant qu’elles se divisait en quatre, en
universelles, particulières, affirmatives et négatives, les deux
termes, les deux couples de termes s’échangeant. Chacun sait que
de dire que: tout x est y, si le schéma de Peirce, Charles Sanders, a
un intérêt, c’est de le montrer, c’est que de définir
comme nécessaire que tout quelque chose soit pourvu de
tel attribut, est une position universelle parfaitement recevable sans qu’il
y ait pour autant aucun x. Dans la petite formule, le petit schéma de
Peirce, je vous rappelle, ici nous avons un certain nombre de traits verticaux,
ici nous n’en avons aucun, ici nous avons un petit mélange des
deux, et que c’est du chevauchement de deux de ces cases que résulte
la spécificité de telle ou telle de ces propositions. Et que c’est
à rassembler ces deux quadrants qu’on peut dire: tout trait est
vertical. S’il est pas vertical, il y a pas de trait. Pour faire la négative,
ce sont ces deux là qu’il faut réunir. Ou bien il n’y
a pas de trait, ou bien il n’y en a pas de verticaux. Ce que désigne
le mythe de la jouissance de toutes les femmes, c’est que le toutes les
femmes, il n’y en a pas. Il n’y a pas d’universel de la femme.
Voilà ce que pose un questionnement du phallus, et non pas du rapport
sexuel, quant à ce qu’il en est de la jouissance qu’il constitue,
puisque j’ai dit que c’était la jouissance féminine.
C’est à partir de ces énoncés qu’un certain
nombre de questions se trouvent radicalement déplacées. Après
tout, mais il est possible qu’il y ait un savoir de la jouissance qu’on
appelle sexuelle qui soit le fait de cette certaine femme. La chose n’est
pas impensable, il y en a comme ça des traces mythiques dans les
62
coins. Les choses qui s’appellent le Tantra, on dit que ça se pratique.
Il est tout de même clair que depuis un bon bout de temps, si vous me
permettez d’exprimer ainsi ma pensée, l’habileté des
joueuses de flûte est beaucoup plus patente. C’est pas pour... jouer
de l’obscénité que j’avance ça en ce point,
c’est que, il y a ici, et je le suppose, il y a au moins ici une personne
qui sait ce que c’est que de jouer de la flûte, c’est la personne
qui récemment, me faisait remarquer à propos de ce jeu de la flûte,
mais on peut le dire aussi à propos de tout usage d’instrument,
quelle division du corps l’usage d’un instrument, quel qu’il
soit, rend nécessaire. Je veux dire rupture de synergie. Il suffit de
faire de n’importe quel instrument. Mettez-vous sur une paire de skis,
vous verrez tout de suite que vos synergies doivent être rompues. Prenez
une canne de golf, ça m’arrive ces derniers temps, j’ai recommencé,
c’est pareil, hein? Il y a deux types de mouvements qu’il faut que
vous fassiez en même temps, vous n’y arrivez au début absolument
pas, parce que synergiquement, ça ne s’arrange pas comme ça.
La personne qui m’a bien rappelé la chose à propos de la
flûte, me faisait également remarquer que pour le chant, où
en apparence, il n’y a pas d’instrument, c’est en ça
que le chant est particulièrement intéressant, c’est que
là aussi il faut que vous divisiez votre corps, que vous y divisiez deux
choses qui sont tout à fait distinctes, pour que vous puissiez chanter,
mais qui d’habitude sont absolument synergiques, à savoir la pose
de la voix et de la respiration. Bon! Ces vérités premières
qui n’ont pas eu besoin de m’être rappelées, puisque
aussi bien je vous disais que j’en avais ma dernière expérience
avec la canne de golf, c’est ce qui laisse ouverte, comme une question,
si il y a encore quelque part un savoir de l’instrument phallus.
Seulement l’instrument phallus, c’est pas un instrument comme les
autres, c’est comme pour le chant, l’instrument phallus, je vous
ai déjà dit qu’il est pas du tout à confondre avec
le pénis. Le pénis, lui, il se règle sur la loi, c’est-à-dire
sur le désir, c’est-à-dire sur le plus de jouir, c’est-à-dire
sur la cause du désir, c’est-à-dire sur le fantasme. Et
ça, le savoir supposé de la femme qui saurait, là elle
rencontre un os, justement, celui qui manque à l’organe, si vous
me permettez de continuer dans la même veine; parce que chez certains
animaux, il y en a un d’os. Ça oui! là il y a un manque,
c’est un os manquant, c’est pas le phallus, c’est le désir
ou [et] son fonctionnement. Il en résulte qu’une femme n’a
de témoignage de son insertion dans la loi, de ce qui supplée
au rapport, que par le désir de l’homme. Là il suffit d’avoir
une toute petite expérience analytique pour en avoir la certitude, le
désir de l’homme, je viens de le dire, est lié à
sa cause, qui est le plus de jouir, ou qui est encore comme je l’ai exprimé
maintes fois, s’il
— 63 —
prend sa source dans le champ du... d’où tout part, l’effet
de langage, dans le désir de l’Autre donc, et la femme, à
cette occasion, on s’aperçoit que c’est elle qui est l’Autre.
Seulement elle est l’Autre d’un tout autre ressort, d’un tout
autre registre que son savoir, quel qu’il soit.
Voilà donc l’instrument phallique posé, avec des guillemets,
comme « cause »du langage, je n’ai pas dit origine. Et là
malgré l’heure avancée, mon Dieu! j’irai vite, je
signalerai la trace qu’on en peut avoir, à savoir le maintien,
quoi qu’on veuille, d’un interdit sur les mots obscènes.
Et puisque je sais qu’il y a des gens qui m’attendent à ce
quelque chose que je leur ai promis, de faire allusion à Eden, Eden,
Eden, ah! et de dire pourquoi je signe pas les, comment qu’on appelle
ça, les machins, les pétitions, à ce propos, c’est
que, ce n’est pas certes que mon estime soit médiocre pour cette
tentative; à sa façon, elle est comparable à celle de mes
Ecrits. À ceci près que, elle est beaucoup plus désespérée;
il est tout à fait désespéré de langagier l’instrument
phallique. Et c’est parce que je le considère comme en ce point
sans espoir que je pense aussi que ne peut se développer autour d’une
telle tentative, que des malentendus. Vous voyez que c’est à un
point hautement théorique que se place, dans l’occasion, mon refus.
Là où j e voudrais en venir est ceci: d’où interroge-t-on
la vérité ? Car la vérité, elle peut dire tout ce
qu’elle veut. C’est l’oracle. Ça existe depuis toujours,
et après ça, on n’a plus qu’à se débrouiller.
Seulement, il y a un fait nouveau, hein? Le premier fait nouveau depuis que
fonctionne l’oracle, c’est-à-dire depuis toujours, c’est
un de mes écrits le fait nouveau, qui s’appelle La Chose freudienne
où j’ai indiqué ceci que personne n’avait jamais dit,
hein? Seulement comme c’est écrit, naturellement vous ne l’avez
pas entendu. J’ai dit que « la vérité parle Je ».
Si vous aviez donné son poids à cette espèce de luxuriance
polémique que j’ai faite pour présenter la vérité
comme ça, je ne sais même plus ce que j’ai écrit,
comme rentrant dans la pièce dans un fracas de miroir, ç’aurait
peut-être pu vous ouvrir les oreilles. Ce bruit des miroirs qui se cassent,
dans un écrit, ça ne vous frappe pas. C’est pourtant assez
bien écrit, c’est là ce qu’on appelle l’effet
de style. Ça vous aurait certainement aidé à comprendre
ce que ça veut dire « la vérité parle Je ».
Ç a veut dire qu’on peut lui dire Tu et je vais vous expliquer
à quoi ça sert. Vous allez croire bien sûr que je vais vous
dire que ça sert au dialogue. Il y a longtemps que j’ai dit qu’il
n’y en avait pas, de dialogue. Et avec la vérité, bien sûr
encore moins. Néanmoins, si vous lisez quelque chose qui s’appelle
La Métamathématique de Lorenzen, je l’ai apporté,
c’est chez Gauthier-Villars et Mouton. Bon! et puis je vais même
vous indiquer la page où vous verrez des
—64 —
choses astucieuses. C’est des dialogues, c’est des dialogues écrits,
c’est-à-dire que c’est le même qui écrit les
deux répliques. C’est un dialogue bien particulier, seulement c’est
très instructif. Vous vous reporterez à la page 22. C’est
très instructif et je pourrais le traduire de plus d’une façon,
y compris en me servant de mon être et de mon avoir de tout à l’heure.
Mais j’irai plus simplement pour vous rappeler cette chose sur laquelle
j’ai déjà mis l’accent, c’est à savoir
qu’aucun des prétendus paradoxes auxquels s’arrête
la logique classique, nommément celui du Je mens, ne tient qu’à
partir du moment où c’est écrit. Il est tout à fait
clair que de dire Je mens est une chose qui ne fait aucun obstacle, étant
donné qu’on ne fait que ça, alors pourquoi ne le dirait-on
pas? Qu’est-ce que ça veut dire? Que c’est seulement quand
c’est écrit que là, il y a paradoxe, car on dit:
« Là, bien! vous mentez ou bien vous dites vrai ? » C’est
exactement la même chose que je vous ai fait remarquer dans son temps,
que d’écrire: « le plus petit nombre qui s’écrit
en plus de quinze mots ». Vous ne voyez là aucun obstacle, quand
je vous le dis. Si c’est écrit, vous les comptez, vous vous apercevez
qu’il n’y en a que treize, dans ce que je viens de dire. Mais ça
ne se compte que si c’est écrit. Parce que si c’est écrit
en japonais, je vous défie de les compter. Parce que là vous vous
posez quand même la question, il y a des petits bouts, comme ça,
de vagissements, des petits o et des petits oua, dont vous vous demanderez s’il
faut le coller au mot, ou s’il faut le détacher et le compter pour
un mot, c’est même pas un mot, c’est eh, c’est comme
ça. Seulement, quand c’est écrit, c’est comptable.
Alors la vérité, vous vous apercevrez qu’exactement comme
dans la métamathématique de Lorenzen, si vous posez qu’on
ne peut pas à la fois dire oui et non sur le même point, là
vous gagnez. Vous verrez tout à l’heure ce que vous gagnez. Mais
si vous misez que c’est ou oui ou non, là vous perdez. Référez-vous
à Lorenzen, mais je vais vous l’illustrer tout de suite. Je pose:
il n’est pas vrai, dis-je à la vérité, que tu dis
vrai et que tu mentes en même temps. La vérité peut répondre
bien des choses, puisque c’est vous qui la faites répondre, ça
ne vous coûte rien. De toute façon, ça va aboutir au même
résultat, mais je vous le détaille pour rester collé au
Lorenzen. Elle dit: «Je dis vrai! »; vous lui répondez: Je
te le fais pas dire! » Alors pour vous emmerder, elle vous dit: «Je
mens. » À quoi vous répondez: « Maintenant, j’ai
gagné, je sais que tu te contredis! » C’est exactement ce
que vous découvrez avec l’inconscient, ça n’a pas
plus de portée. Que l’inconscient dise toujours la vérité
et qu’il mente, c’est, de chez lui, parfaitement soutenable. C’est
simplement à vous de le savoir. Qu’est-ce que ça vous apprend?
Que la vérité, vous n’en savez quelque chose que quand elle
se
—65—
déchaîne; car elle s’est déchaînée, elle
a brisé votre chaîne, elle vous a dit les deux choses aussi bien,
quand vous disiez que la conjonction n’était pas soutenable.
Mais supposez le contraire, que vous lui ayez dit: « Ou tu dis vrai, ou
tu mens. » Ben là, vous en êtes pour vos frais. Parce que,
qu’est-ce qu’elle vous répond: «Je te l’accorde,
je m’enchaîne; tu me dis: ou tu dis vrai ou tu mens et en effet
ça c’est bien vrai. » Seulement alors là, vous, vous
savez rien, vous savez rien de ce qu’elle vous a dit, puisque ou elle
dit vrai ou elle ment, de sorte que vous êtes perdant. Ceci, je ne sais
pas si ça vous apparaît dans sa pertinence, mais ça veut
dire ceci dont nous avons constamment l’expérience, c’est
que, qu’elle se refuse la vérité, alors ça me sert
à quelque chose. C’est à ça que nous avons tout le
temps à faire dans l’analyse et que, qu’elle s’abandonne,
qu’elle accepte la chaîne, quelle qu’elle soit, eh bien! j’y
perds mon latin. Autrement dit ça... ça me laisse à désirer.
Ça me laisse à désirer, et ça me laisse dans ma
position de demandeur, puisque je me trompe de penser que je puis traiter d’une
vérité que je ne puis reconnaître qu’au titre de déchaînée,
vous montrer de quel déchaînement vous participez.
Il y a quelque chose qui mérite d’être relevé dans
ce rapport, c’est la fonction de ce quelque chose dont il y a longtemps
que je le mets tout doucement comme ça sur la sellette, et qui se dénomme
la liberté. Il arrive qu’à travers le fantasme, il y en
ait qui élucubrent de certaines façons où sinon la vérité
elle-même, du moins le phallus pourrait être apprivoisé.
Je ne vous dirai pas dans quelles variétés de détails ces
sortes d’élucubrations peuvent s’étaler. Mais il y
a une chose très frappante, c’est que, mis à part une certaine
sorte de manque de sérieux qui est peut-être ce qu’il y a
de plus solide pour définir la perversion, eh ben! ces solutions élégantes,
il est clair que, les personnes pour qui ça... c’est sérieux,
toute cette menue affaire, parce que, mon Dieu! le langage, ça compte
pour elles, aussi l’écrit, ne serait-ce que parce que ça
permet l’interrogation logique, car en fin de compte, qu’est-ce
que c’est que la logique si ce n’est ce paradoxe absolument fabuleux
que ne permet que l’écrit, de prendre la vérité comme
référent? C’est évidemment par ça qu’on
communie, quand on commence par donner les premières, toutes premières
formules de la logique propositionnelle, on prend comme référence
qu’il y a des propositions qui peuvent se marquer du Vrai et d’autres
qui peuvent se marquer du Faux. C’est avec ça que commence la référence
à la vérité. Se référer à la vérité,
c’est poser le faux absolu, c’est-à-dire un faux auquel on
pourrait se référer comme tel.
Les personnes sérieuses, je reprends ce que je suis en train de dire,
auxquelles se proposent ces solutions élégantes qui seraient apprivoisement
du phallus, ben
—66 —
c’est curieux, c’est elles qui se refusent. Et pourquoi, sinon pour
préserver ce qui s’appelle la liberté, en tant qu’elle
est précisément identique à cette non-existence du rapport
sexuel. Car enfin, est-il besoin d’indiquer que ce rapport de l’homme
et de la femme, en tant qu’il est, de par la loi, la loi dite sexuelle,
radicalement faussé, c’est ce quelque chose qui quand même
laisse à désirer qu’à chacun il y ait sa chacune,
pour y répondre. Si ça arrive, qu’est-ce qu’on dira?
Non certes que c’était là chose naturelle, mais puisqu’il
n’y a pas à cet égard de nature,
puisque La femme n’existe pas — qu’elle existe, c’est
un rêve de femme, et c’est le rêve d’où est sorti
Don Juan, s’il y avait Un homme pour qui La femme existe, ce serait une
merveille, on serait sûr de son désir. C’est une élucubration
féminine. Pour que, un homme trouve sa femme, quoi d’autre, sinon
la formule romantique: c’était fatal, c’était écrit.
Une fois de plus, nous voilà venus à ce carrefour qui est celui
où je vous ai dit que je ferai basculer ce qu’il en est du vrai
seigneur, du type qui est, ce qu’on traduit, fort mal ma foi, par l’homme,
comme ça, un tout petit peu au-dessus du commun, c’est cette bascule,
entre le hsing, cette nature telle qu’elle est inscrite par l’effet
de langage, inscrite dans cette disjonction de l’homme et de la femme;
et d’autre part ce: « c’est écrit », ce ming,
cet autre caractère, dont je vous ai déjà une première
fois montré ici la forme, qui est celui devant lequel la liberté
recule.
TEXTE CHINOIS, MENCIUS :
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Mencius, Livre IV, chapitre II, § 26. Transcription « Wade
Meng Tzu yüeh: t’ien hsia chih yen hsing yeh, tze ku erh i i. ku chih i li wei pen. so wu yü chih chih, wei ch’i tzu yeh. ju chih chih io yü chih hsing shui yeh, tse wu wu yü chih i. yli chih hsing shui yeh, hsing ch’i so wu shih yeh. ju chih chih i hsing ch’i so wu shih, tse chih i ta i. t’ien chih kao yeh hsing ch’en chih yüan yeh. kou ch’iu ch’i ku ch’ien sui chih jih chih, k’e tso erh chih yeh.
Transcription « Pin Yin
Meng zi yue: tian xia zhi yan xing ye, ze gu er yi yi. gu zhi yi li wei ben. suo wu yu zhi zhi, wei qi zi ye. ru zhi zhi ruo yu zhi xing shui ye, ze wu wu yu zhi yi. yu zhi xing shui ye, xing qi suo wu shi ye. ru zhi zhi yi xing qi suo wu shi, ze zhi yi da yi. tian zhi gao ye xing chen zhi yuan ye. gou qiu qi gu qian sui zhi ri zhi, ke zuo er zhi ye.
Traduction de M. G. Paut hier.
Meng Tseu dit: Lorsque dans le monde on disserte sur la nature rationnelle de
l’homme, on ne doit parler que de ses effets. Ses effets sont ce qu’il
y a de plus important à connaître.
C’est ainsi que nous éprouvons de l’aversion pour un [faux]
sage, qui use de captieux détours. Si ce sage agissait naturellement
comme Yu en dirigeant les eaux [de la grande inondation], nous n’éprouverions
point d’aversion pour sa sagesse. Lorsque Yu dirigeait les grandes eaux,
il les dirigeait selon leur cours le plus naturel et le plus facile. Si le sage
dirige aussi ses actions selon la voie naturelle de la raison et la nature des
choses, alors sa sagesse sera grande aussi.
Quoique le ciel soit très élevé, que les étoiles
soient très éloignées, si on porte son investigation sur
les effets naturels qui en procèdent, on peut calculer ainsi, avec la
plus grande facilité, le jour où après mille ans le solstice
d’hiver aura lieu.
Traduction de S. Couvreur.
Meng tzeu dit: « Partout sous le ciel, quand on parle de la nature, on
veut parler des effets naturels. Les effets naturels ont d’abord cela
de particulier, qu’ils
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sont spontanés. Ce qui nous déplaît dans les hommes qui
sont prudents (mais d’une prudence étroite), c’est qu’ils
font violence à la nature. Si les hommes prudents imitaient la manière
dont Tu fit écouler les eaux, rien ne nous déplairait dans leur
prudence. Tu fit écouler les eaux de manière à n’avoir
pas de difficultés (il profita de leur tendance naturelle). Si les hommes
prudents agissaient aussi de manière à n’avoir pas de difficultés,
leur prudence serait grande. Bien que le ciel soit très élevé
et les astres fort éloignés de la terre, si l’on étudie
leurs mouvements, on peut aisément calculer le moment du solstice d’hiver
pour chaque année depuis dix siècles.
Note des éditeurs. — Nous avons pensé être agréable
au lecteur en donnant la version chinoise intégrale du § 26 de Meng
Tzu dont Lacan n’avait cité et écrit que les deux premières
phrases. Nous donnons ensuite les deux transcriptions phonétiques du
même passage, en « wade » et en « pin yin », ainsi
que deux traductions, celle de Couvreur à laquelle se réfère
Lacan (1895) et celle, plus ancienne, de M. G. Pauthier (1851). Les transcriptions
phonétiques des idéogrammes sont très nombreuses. Nous
avons retenu celle dite « wade », toujours indiquée en premier,
et celle dite « pin yin», donnée entre parenthèses,
qui est le système adopté par la République populaire de
Chine depuis 1952, et actuellement le pius usité.
Dans le corps du texte, la transcription adoptée est celle dite «
wade ».
Les caractères wei (page 42) et wei (page 53) sont le même caractère,
bien que leur graphie diffère. Il n’y a ni différence ni
nuance de sens.
Le Chouo wen ou shuo wen évoqué dans la Leçon 5 a été
écrit par le philosophe Hsu Chen (ou Xu Shen en pin yin) en 100 ap. J.-C.
(dynastie Han).
Les trois derniers caractères de la première phrase de la sentence
de Mencius sont erh i i, le caractère « conclusif », qui
a également le sens de seulement, est donc le deuxième i.
70
note
:
bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou
si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance
de m'adresser un
émail.
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