XVIII- d'un discours qui ne serait pas 
  du semblant
          
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  cours                  note
10 mars 1971
Lacan écrit au tableau:
« L’achose ».
Suis-je, suis-je présent quand je vous parle? Il 
  faudrait que la chose à propos de quoi je m’adresse à vous 
  fût là. Or, c’est assez dire que la chose ne puisse s’écrire 
  que l’achose, comme je viens de l’écrire au tableau, ce qui 
  veut dire qu’elle est absente là où elle tient sa place, 
  ou plus exactement, que l’objet a qui tient cette place, ôté 
  — ôté, cet objet a — n’y laisse, à cette 
  place, n’y laisse que l’acte sexuel tel que je l’accentue, 
  c’est-à-dire la castration. Je ne puis témoigner de la, 
  permettez-moi, que la-na-lyse est quoi que ce soit, mais seulement par là, 
  ce qui la concerne, je dis la concerne, la, la castration. C’est le cas 
  de le dire: Oh! là là!! La baratin philosophique qui n’est 
  pas rien — le baratin, ça baratte, [y a] pas de mal qui a servi 
  longtemps à quelque chose, mais depuis un temps nous fatigue; il a abouti 
  à produire l’être là, qu’on traduit quelquefois 
  en français plus modestement, la présence, qu’on y ajoute 
  ou non vivante, enfin bref, ce qui pour les savants s’appelle le Dasein. 
  Je l’ai retrouvé avec plaisir, dans un texte, je vous dirai lequel 
  tout à l’heure, et ainsi que le moment où je l’ai 
  relu, un texte de moi, je me suis aperçu avec surprise que ça 
  date d’une paie, cette formule que j’avais énoncée 
  en son temps pour des gens, comme ça, un peu durs de la feuille:
  « Mange ton Dasein. » Qu’importe! Nous y reviendrons tout 
  à l’heure. Le baratin philosophique n’est pas si incohérent. 
  Il ne l’incarne, cette présence, l’être là, 
  que dans un discours qu’il commence par, justement, désincarner 
  par l’?????.
  —71— 
— 72 —
  (époché). Vous savez ça, l’époché, 
  la mise entre parenthèses, c’est tout simplement ça que 
  ça veut dire, c’est quand même mieux parce que ça 
  n’a pas tout à fait la même structure, c’est tout de 
  même mieux en grec. De sorte que... il est manifeste que la seule façon 
  d’être là n’a lieu qu’à se mettre entre 
  parenthèses. Nous approchons de ce que j’ai à vous dire 
  essentiellement aujourd’hui.
  S’il y a trou au niveau de l’achose, ça vous laisse déjà 
  pressentir que c’était une façon de le figurer, ce trou, 
  que ça n’arrive que sous le mode de... quoi ? Prenons une comparaison 
  bien dérisoire, que sous le mode de cette tache rétinienne dont 
  l’œil n’a pas la moindre envie de s’empêtrer, quand 
  après qu’il ait fixé le soleil, tout d’abord, il le 
  promène sur le paysage. Il n’y voit pas son être-là, 
  pas fou cet oeil. Il y a pour vous toute une foule de bouteilles de Klein.., 
  d’œil. Pas de baratin philosophique, dont vous sentez bien qu’il 
  ne remplit là que son office universitaire, dont j’ai essayé 
  l’année dernière de vous donner les limites, en même 
  temps d’ailleurs que les limites de ce que vous pouvez faire de l’intérieur, 
  fût-ce la révolution.
  Dénoncer, comme ça c’est fait, dénoncer comme logocentriste 
  ladite présence, l’idée comme on dit de la parole inspirée, 
  au nom de ceci que la parole inspirée, bien sûr on peut en rire, 
  mettre à la charge de la parole toute la sottise où s’est 
  égaré un certain discours et nous emmener vers une mythique archi-écriture, 
  uniquement constituée en somme de ce qu’on perçoit, à 
  juste titre, comme un certain point aveugle, qu’on peut dénoncer 
  dans tout ce qui s’est cogité sur l’écriture, tout 
  ça n’avance guère. On ne parle jamais que d’autre 
  chose pour parler de l’achose. Ce que j’ai dit, moi, en son temps, 
  faut pas abuser, j’en ai pas plein la bouche de la parole pleine et je 
  pense quand même que la grande majorité d’entre vous ne m’ont 
  entendu d’aucune façon en faire état, ce que j’ai 
  dit de la parole pleine, c’est qu’elle remplit. Ça, c’est 
  les trouvailles du langage; elles sont assez jolies toujours, elle remplit la 
  fonction de l’achose qui est au tableau. La parole, en d’autres 
  termes, dépasse le parleur, toujours, le parleur est un parlé, 
  voilà tout de même ce que depuis un temps j’énonce. 
  D’où s’en aperçoit-on? C’est ce que je voudrais 
  indiquer dans le séminaire de cette année, vous vous rendez compte, 
  j’en suis à... à «je voudrais».., depuis vingt 
  ans que ça dure.
  Naturellement, c’est comme ça parce que, après tout, je 
  l’ai pas dit, il y a longtemps que c’est patent, c’est patent 
  d’abord en ce que vous êtes là, pour que je vous le montre, 
  seulement voilà, si c’est vrai ce que je dis, votre être-là 
  n’est pas plus probant que le mien. Ce que je vous montre depuis un bout 
  de temps ne suffit pas pour que vous le voyiez, il faut que je le démontre. 
  Démontrer dans l’occasion, c’est dire ce que je montrais, 
  naturellement pas n’importe quoi, mais
  
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  je vous montrais pas l’achose, comme ça, l’achose justement, 
  ça ne se montre pas, ça se démontre. Alors je pourrai attirer 
  votre attention sur des choses que je montrais, en tant que vous ne les avez 
  pas vues, pour ce qu’elles pourraient démontrer. Pour abattre la 
  carte dont il s’agit aujourd’hui, nous l’appellerons, dans 
  toute l’ambiguïté que ça peut représenter, l’écrit.
  L’écrit quand même on ne peut pas dire que je vous en ai 
  accablé. Je veux dire qu’il a vraiment fallu qu’on me les 
  extraie, ceux que j’ai rassemblés un beau jour, dans l’incapacité 
  en somme totale où j’étais de me faire entendre des psychanalystes, 
  j’entends même de ceux-là qui étaient restés 
  agrégés, comme ça, parce qu’ils n’avaient pas 
  pu s’embarquer ailleurs. À la fin des fins, il m’est apparu 
  qu’il y avait tellement d’autres gens qu’eux qui s’intéressaient 
  à ce que je disais, un petit commencement d’être-là 
  [ou de votre] absent que, ces Ecrits, je les ai lâchés. Et puis 
  ma foi, ils se sont consommés comme ça, dans un beaucoup plus 
  vaste cercle que, en somme, ce que vous représentez, si j’en crois 
  les chiffres que me donne mon éditeur. C’est un drôle de 
  phénomène, et qui vaut bien qu’on s’y arrête, 
  si tant est que, pour m’en tenir à ce que je fais toujours, c’est 
  très exactement autour d’une expérience parfaitement fixable 
  et qu’en tout cas je me suis efforcé d’articuler, précisément 
  aux derniers temps, l’année dernière, en essayant de situer 
  dans sa structure ce qui caractérise le discours de l’analyste. 
  C’est donc en raison de cet emploi, le mien, qui n’a aucune prétention 
  à fournir une conception du monde, mais seulement de dire ce qu’il 
  me semble qu’il va de soi de pouvoir dire à des analystes, autour 
  de ça, j’ai fait pendant dix ans dans un endroit assez connu qui 
  s’appelle Sainte-Anne, un discours qui ne prétendait certes d’aucune 
  façon à user de l’écrit autrement que d’une 
  façon très précise, qui est celle que je vais essayer aujourd’hui 
  de définir. Ceux qui en constituent, ou ce qui reste de témoins 
  de cette époque ne peuvent pas s’élever contre, il y en 
  a tout de même, plus beaucoup dans cette salle, bien sûr, mais tout 
  de même quelques-uns; oh ben! ça doit se compter sur les doigts 
  de la main, ceux qui étaient là les premiers mois, ils peuvent 
  témoigner que ce que j’y ai fait, avec une patience, un ménagement, 
  une douceur, des ronds de bras, des ronds de jambe, j’ai construit pour 
  eux pièce à pièce, et morceau par morceau, des choses qui 
  s’appellent des graphes. Il y en a quelques-uns qui voguent, vous pouvez 
  les retrouver très facilement grâce au travail de quelqu’un 
  au dévouement duquel je fais hommage, et auquel j’ai laissé 
  faire complètement à son gré un index raisonné, 
  dans le texte duquel vous pouvez trouver aisément à quelles pages 
  on trouve ces graphes. Ça vous évitera de fouiller. Mais ça 
  se voit, rien qu’en faisant ça on peut déjà remarquer 
  qu’il y a des choses qui ne sont pas comme le reste du texte imprimé. 
  Ces
  
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  graphes que vous voyez là ne sont pas, bien sûr, sans offrir une 
  petite difficulté de quoi? mais d’interprétation, bien sûr. 
  Sachez que, pour ceux pour qui je les ai construits, ça pouvait pas même 
  faire un pli. Avant d’avancer la direction d’une ligne, son croisement 
  avec telle autre, l’indication de la petite lettre que je mettais à 
  ce croisement, je parlais une demi-heure, trois-quarts d’heure, pour justifier 
  ce dont il s’agissait.
  J’insiste, bien sûr, non pas pour me faire un mérite de ce 
  que j’ai fait, dans le fond, parce que ça m’a plu, personne 
  ne me le demandait, c’est même plutôt le contraire; mais parce 
  que nous entrons là, avec ça, au vif de ce que sur l’écrit, 
  voire sur l’écriture, alors figurez-vous que c’est la même 
  chose, on parle de l’écriture, comme ça, comme si c’était 
  indépendant de l’écrit. C’est ce qui rend quelquefois 
  le discours très embarrassé. D’ailleurs ce terme, « 
  ure », comme ça, qui s’ajoute, fait bien sentir de quelle 
  drôle de biture il s’agit en l’occasion. Ce qu’il y 
  a de certain, c’est que pour parler de l’achose, comme elle est 
  là, eh ben! ça devrait déjà, à soi tout seul, 
  vous éclairer que j’ai dû prendre, ne disons rien de plus, 
  pour appareil, le support de l’écrit, sous la forme du graphe.
  La forme du graphe, ça vaut la peine de la regarder. Prenons là 
  — je ne sais pas, n’importe lequel, le dernier, là, le grand, 
  celui que vous allez trouver, je ne sais plus où moi où il est, 
  où il vogue, je crois que c’est dans Subversion du sujet et Dialectique 
  du désir(1). Le machin qui fait comme ça, dans lequel ici il y 
  a les lettres ajoutées entre parenthèses, $, poinçon et 
  le grand D de la demande, $ ? D, et ici le grand S du signifiant, le Signifiant 
  porteur, fonction de l’A.Vous comprenez bien que si l’écriture, 
  ça peut servir à quelque chose, c’est justement que c’est 
  différent de la parole. De la parole qui peut s’appuyer sur. La 
  parole ne traduit pas S (A) par exemple. Seulement si elle s’appuie sur
1.Écrits, pages 817.
  S(A barré))
  $?D
s(A) A -
  
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  ça, ne serait-ce que cette forme, bien sûr, elle doit se souvenir 
  que cette forme ne va pas sans qu’ici l’autre ligne recoupant la 
  première se marque à ces points d’intersection de s (A) 
  et du A lui-même. Qu’il y ait ici un grand I — je m’excuse 
  de ces empiétements, mais après tout certains ont assez cette 
  figure dans la tête pour que ça leur suffise et pour les autres, 
  mon Dieu! qu’ils se reportent à la bonne page — ce qu’il 
  y a de certain, c’est qu’on ne peut pas ne pas au moins par là, 
  par cette figure, se sentir disons sollicités de répondre à 
  l’exigence de ce qu’elle commande, quand vous commencez de l’interpréter. 
  Tout dépend bien sûr du sens que vous allez donner au grand A. 
  Il y en a un de proposé, dans l’écrit où il se trouve 
  que je l’ai inséré. Et alors les sens qui s’imposent 
  pour tous les autres ne sont pas libres d’un grand écart.
  Ce qui est certain, c’est que c’est le propre de ce qui, enfin! 
  je pense, vous apparaît certes, depuis, suffisamment précisé 
  à savoir que ce graphe, celui-là comme tous les autres, et pas 
  seulement les miens, je vais vous dire ça dans un instant, que ce graphe, 
  ce que ça représente, c’est ce qu’on appelle dans 
  le langage évolué que nous a peu à peu donné le 
  questionnement de la mathématique par la logique, ce qu’on appelle 
  une topologie. Pas de topologie sans écriture, vous avez peut-être 
  même pu remarquer, si jamais vous êtes vraiment allés ouvrir 
  les Analytiques de monsieur Aristote, que là il y a un petit commencement 
  de la topologie, ça consiste précisément à faire 
  des trous dans l’écrit. « Tous les animaux sont mortels ». 
  Vous soufflez « les animaux » et vous soufflez « mortels », 
  et vous mettez à la place, le comble de l’écrit, c’est-à-dire 
  une lettre toute simple. C’est peut-être ben vrai, hein? que ça 
  leur a été facilité par je ne sais quelle affinité 
  particulière qu’ils avaient avec la lettre, on ne peut pas bien 
  dire comment. Là-dessus vous pouvez vous reporter à des choses 
  très... très attachantes, comme l’a dit monsieur James Février1, 
  sur je ne sais quel artifice, truquage, forçage, que constituent au regard 
  de ce qu’on peut assez sainement appeler les normes de l’écriture 
  – les normes, pas l’énorme, quoique les deux soient vrais 
  — au regard des normes de l’écriture, l’invention de 
  la logique. Je vous suggère en passant, aujourd’hui ceci, c’est 
  que ça a quelque chose à faire avec le fait, disons, d’Euclide.
  Voilà, parce que je ne peux vous jeter ça qu’en passant, 
  puisque après tout c’est à contrôler, je ne vois pas 
  pourquoi moi aussi, pourquoi de temps en temps, je ne ferais pas même 
  aux gens très calés dans une certaine matière une petite 
  suggestion dont ils riront peut-être parce qu’ils s’en seront 
  aperçus depuis
1.J. Février, Histoire de l’écriture, Paris, Payot, 1948.
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  longtemps. On ne voit pas pourquoi en effet ils s’en seraient pas aperçus, 
  ils se seraient pas aperçus de ceci, qu’un triangle, puisque c’est 
  ça le départ, qu’un triangle, c’est pas autre chose, 
  mais rien d’autre qu’une écriture, ou un écrit, exactement. 
  Et que c’est pas parce que on y définit égal comme métriquement 
  superposable que ça va contre. C’est un écrit, où 
  le métriquement superposable est jaspinable. Ce qui dépend absolument 
  pas de l’écart, ce qui dépend de vous, le jaspineur. De 
  quelque façon que vous écriviez le triangle, même si vous 
  le faites comme ça, vous démontrerez l’histoire du triangle 
  isocèle, à savoir, que s’il a deux cotés égaux, 
  les deux autres angles sont égaux. Il vous suffit de l’avoir fait 
  ce petit écrit, parce que c’est jamais beaucoup meilleur que la 
  façon dont je viens de l’écrire, la figure d’un triangle 
  isocèle. C’étaient des gens qui avaient des dons pour l’écrit, 
  hein! Ça va pas loin ça!
  On pourrait peut-être aller un peu plus loin; pour l’instant enregistrons, 
  enregistrons ceci en tout cas, c’est qu’ils se sont très 
  bien aperçus de ce que c’était qu’un postulat, et 
  que ça n’a pas d’autre définition que ceci, c’est 
  que c’est... dans la demande, dans la demande qu’on fait à 
  l’auditeur, pour ne pas tout de suite dire « crochet », dans 
  cette demande, c’est ce qui ne s’impose pas au discours, du seul 
  fait du graphe.
  Les Grecs semblent donc avoir eu un maniement très astucieux, une réduction 
  subtile de ce qui déjà courait le monde sous les espèces 
  de l’écriture. Ça servait vachement. Il est tout à 
  fait clair qu’il n’est pas question d’empire, et si vous me 
  permettez le mot, même du moindre empirisme, sans le support de l’écriture. 
  Si vous me permettez, là, une extrapolation par rapport à la veine 
  que je suis, je veux dire que, je vais vous indiquer l’horizon, la visée 
  lointaine, qui guide tout ça. Bien sûr, ça ne se justifie 
  que si les lignes perspectives s’avèrent converger effectivement. 
  C’est la suite qui vous le montrera. Au commencement, ?? ???? hein? comme 
  ils disent, ce qui n’a rien à faire avec quelque temporalité 
  que ce soit, puisqu’elle en découle, au commencement est la parole. 
  Mais la parole, il y a tout de même bien des chances que pendant des temps 
  qui n’étaient pas encore des siècles, figurez-vous, ce ne 
  sont des siècles que pour nous, grâce au carbone radiant et à 
  quelques autres histoires de cette espèce, rétroactives, qui partent 
  de l’écriture, enfin pendant un bout de quelque chose qu’on 
  peut appeler — pas le temps — l’????, l’???? des ???? 
  comme ils disent, il y avait un temps où on se gargarisait avec des trucs 
  comme ça. Ils avaient bien leurs raisons, ils étaient plus près 
  que nous. Enfin la parole a fait des choses. Des choses qui étaient sûrement 
  de moins en moins discernables d’elle, parce qu’elles étaient 
  ses effets.
  
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  Qu’est-ce que ça veut dire l’écriture? Faut quand 
  même cerner un peu. Il est tout à fait clair et certain quand on 
  voit ce qu’il est courant d’appeler l’écriture, que 
  c’est quelque chose qui en quelque sorte se répercute sur la parole. 
  Sur l’habitat de la parole, nous avons je pense, assez déjà 
  les dernières fois, dit des choses, pour voir que notre découverte, 
  à tout le moins, ça s’articule étroitement avec le 
  fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel, tel que je l’ai défini. 
  Ou si vous voulez, que le rapport sexuel, c’est la parole elle-même. 
  Avouez que quand même, ça laisse un peu à désirer, 
  d’ailleurs, je pense que vous en savez un bout.
  Qu’il n’y ait pas de rapport sexuel, je l’ai déjà 
  fixé sous cette forme qu’il n’y a [pour la] relation aucun 
  mode [de l’écrire] actuellement. Qui sait, il y a des gens qui 
  rêvent qu’un jour ça s’écrira; pourquoi pas, 
  hein ? les progrès de la biologie, M. Jacob est tout de même là, 
  hein? Peut-être qu’un jour, il n’y aura plus la moindre question 
  sur le spermato, et l’ovule, ils sont faits l’un pour l’autre, 
  ça sera écrit, comme on dit, c’est là-dessus que 
  j’ai terminé la leçon de la dernière fois. À 
  ce moment-là vous m’en direz des nouvelles, n’est-ce pas 
  ? On peut faire de la science-fiction, hein ? Essayez celle-là, c’est 
  difficile à écrire. Pourquoi pas, c’est comme ça 
  qu’on fait avancer les choses.
  Quoi qu’il en soit actuellement, c’est ce que je veux dire, c’est 
  que ça ne peut pas s’écrire sans faire entrer en fonction 
  quelque chose d’un peu drôle parce que justement, on ne sait rien 
  de son sexe, ce qui s’appelle le phallus. Si tout ce qu’on arrive 
  à écrire — je remercie la personne qui m’a donné 
  la page où dans mes Ecrits il y a ce qu’il en est du désir 
  de l’homme, écrit ? (a), ?, c’est le signifiant phallus, 
  ceci pour les personnes qui croient que le phallus, c’est le manque de 
  signifiant, je sais que ça se discute, dans les cafés [ou cartels]. 
  Voilà, et le désir de la femme,..., je m’en fous moi des 
  Ecrits, hein? le désir de la femme, ça s’écrit A 
  barré (?), qui est le phallus là où on s’imagine 
  qu’il est, le petit pipi.
  Voilà ce qu’on arrive à écrire de mieux après, 
  mon Dieu! quelque chose que nous appellerons simplement de ce que serait, comme 
  ça, le fait d’être parvenu à, à un certain 
  moment scientifique. Un moment scientifique, ça se caractérise 
  par un certain nombre de coordonnées écrites au premier rang desquelles 
  la formule que monsieur Newton a écrite, concernant ce dont il s’agit 
  sous le nom de champ de la gravitation, qui n’est qu’un pur écrit. 
  Personne n’est encore arrivé à donner un support substantiel 
  quelconque, une ombre de vraisemblance à ce qu’énonce cet 
  écrit, qui semble jusqu’à présent être un peu 
  dur car on n’arrive pas à le résorber dans un schéma 
  d’autres champs où, comme ça, on a des idées plus 
  substantielles; le champ électromagnétique, ça fait image, 
  hein ? Le magnétisme, c’est toujours un peu animal; le champ de 
  la gravitation lui, l’est pas. C’est
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un drôle de machin. Quand je pense que ces messieurs-là, 
  et bientôt ces messieurs-dames qui se baladaient dans cet endroit absolument 
  sublime, qui est certainement une des incarnations de l’objet sexuel, 
  la lune, quand je pense qu’ils y vont simplement portés par un 
  écrit, ça laisse beaucoup d’espoir. Même dans le champ 
  où ça pourrait nous servir, à savoir le désir. Enfin, 
  c’est pas pour demain, hein? Malgré la psychanalyse, c’est 
  pas pour demain.
  Voilà donc l’écrit, en tant que c’est quelque chose 
  dont on peut parler. En quoi? Il y a une chose dont je m’étonne, 
  encore que justement, ça vient sous la plume dans un sacré bouquin 
  qui est paru chez Armand Colin, enfin c’est vraiment tout ce qu’il 
  y a de plus facile à trouver, c’est dans je ne sais quel combientième 
  Congrès de Synthèse, et ça s’appelle, tout simplement 
  et gentiment L’écriture. C’est une suite de rapports qui 
  commence par un de Métraux, ce cher et défunt Métraux qui 
  était un homme excellent et vraiment astucieux. Ça commence par 
  un truc de Métraux où il parle beaucoup de l’écriture 
  de l’île de Pâques, enfin, c’est ravissant. Il part 
  simplement du fait qu’il n’y a vraiment absolument rien compris 
  quant à lui, mais qu’il y en a quelques autres qui ont un peu mieux 
  réussi, que naturellement c’est discutable mais enfin que ses efforts, 
  qui manifestement ont été absolument sans succès, soient 
  là ce qui l’autorise à parler en effet de ce que les autres 
  ont pu en tirer avec un succès discutable, c’est tout à 
  fait une introduction merveilleuse et bien faite pour vous placer sur le plan 
  de la modestie, à la suite de quoi, d’innombrables communications 
  portent sur chacune des écritures. Et après tout mon Dieu, c’est 
  assez sensé. C’est assez sensé, c’est certainement, 
  enfin, ça n’est pas venu tout de suite, et nous allons voir pourquoi 
  ça n’est pas venu tout de suite qu’on dise des choses assez 
  sensées sur l’écriture. Il a fallu sûrement, pendant 
  ce temps-là, de sérieux effets d’intimidation qui sont de 
  ceux qui résultent de cette sacrée aventure que nous appelons 
  la science, et il n’y a pas un seul d’entre nous dans cette salle, 
  moi y compris, bien sûr, qui peut avoir la moindre espèce d’idée 
  de ce qui va en arriver. Bon! enfin, passons. On va s’agiter un petit 
  peu comme ça autour de la pollution, de l’avenir, un certain nombre 
  de foutaises comme ça, et la science joue quelques petites farces, pour 
  lesquelles il ne serait pas tout à fait inutile de voir bien par exemple 
  quel est son rapport avec l’écriture, ça pourrait servir.
  Quoi qu’il en soit, la lecture de ce grand recueil qui date déjà 
  d’une bonne dizaine d’années, sur l’écriture, 
  est quelque chose, au regard de ce qui se pond dans la linguistique, de véritablement 
  aéré, on respire. C’est pas la connerie absolue. C’est 
  même très salubre. Il n’est même pas question, au sortir 
  delà, qu’il vous vienne à l’idée que l’affaire 
  de l’écriture ne consiste pas en ceci qui n’a l’air
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de rien, mais comme c’est écrit partout et 
  que personne ne le lit, ça vaut quand même la peine d’être 
  dit, que l’écriture, c’est des représentations de 
  mots. Ça devrait quand même vous dire quelque chose Wortvorstellung. 
  Freud écrit ça, et il dit que — mais naturellement tout 
  le monde rigole, et on voit bien que Freud n’est pas d’accord avec 
  Lacan — c’est le processus secondaire. C’est quand même 
  embêtant que, comme ça, dans la circulation peut-être dans 
  vos pensées, bien sûr vous avez des pensées, vous avez même, 
  certains, un peu arriérés, des connaissances. Alors vous vous 
  imaginez que vous vous représentez des mots... c’est à se 
  tordre! parce que soyons sérieux! La représentation de mots, c’est 
  l’écriture.
  Et cette chose simple comme bonjour, il me semble qu’on n’en a pas 
  tiré les conséquences qui sont pourtant là visibles, c’est 
  que de toutes les langues qui usent de quelque chose qu’on peut prendre 
  pour des figures, et alors qu’on appelle je ne sais comment, moi, des 
  pictogrammes, des idéogrammes, c’est incroyable, ça a abouti 
  à des conséquences absolument folles, il y a des gens qui se sont 
  imaginé qu’avec de la logique, c’est-à-dire de la 
  manipulation de l’écriture, on trouverait un moyen pour avoir quoi? 
  new ideas, de nouvelles idées. Comme s’il n’y en avait pas 
  déjà assez comme ça. Quel qu’il soit, ce pictogramme, 
  cet idéogramme, si nous étudions une écriture, c’est 
  uniquement en ceci, il n’y a aucune exception, c’est que du fait 
  de ce qu’il a l’air de figurer, il se prononce comme ça. 
  Du fait qu’il a l’air de figurer votre maman
  avec deux tétines, il se prononce wu. Et après ça, vous 
  en -faites tout ce que vous voulez. Tout ce qui se prononce
  wu alors, qu’est-ce que ça peut foutre, qu’il ait deux tétines 
  et qu’il soit votre maman en figure? II y a un nommé, je ne sais 
  plus comment, Fu-hsien [voir note p. 69], ça date pas d’hier, vous 
  comprenez, vous trouverez ça à peu près au début 
  de l’ère chrétienne, ça s’appelle le Chouo-wen, 
  c’est-à-dire, justement, le Ce qui se dit, en tant qu’écrit. 
  Car wen, c’est « écrit », hein? Voilà, tâchez 
  quand même de l’écrire, parce que pour les Chinois c’est 
  le signe de la civilisation. Et en plus, c’est vrai. Alors, représentation 
  de mot, ça veut dire quelque chose, ça veut dire que le mot est
  déjà là, et avant que vous en fassiez la représentation 
  écrite, avec tout ce qu’elle comporte. Ce qu’elle comporte, 
  c’est ce que le monsieur du Chouo-wen avait déjà découvert, 
  au début de notre âge, c’est que l’un des ressorts 
  [versants] les
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  plus essentiels de l’écriture, c’est ce qu’il appelle, 
  ce qu’il croit devoir appeler, parce qu’il a encore des préjugés, 
  le cher mignon, il s’imagine qu’il y a des signes écrits 
  qui ressemblent à la chose que le mot désigne. Ça, par 
  exemple, il faudrait que j’ai de la place pour l’écrire. 
  Ça, ça hein? Qu’est-ce que c’est ça? C’est 
  un homme. Ah! ce qu’ils en savent! On leur en a appris des choses! C’est 
  évident, c’est un homme, ça pour vous. Qu’est-ce qu’il 
  y a de représenté? Ce que je veux dire c’est, en quoi c’est 
  une image de l’homme ? Il y a la tête et les jambes. Moi je veux 
  bien! Et pourquoi pas? Il y a des rêveurs. Moi j’y vois plutôt 
  un entrejambe... Pourquoi pas ?...
  Il y a une chose marrante, hein? C’est que quand même on les a, 
  ces signes, depuis les yin. Les yin, y a une paie, hein ? ça fait encore 
  alors là deux mille ans de décrochés, mais d’avant, 
  hein? Et on en a encore de ces signes. Ce qui prouve que quand même pour 
  l’écriture, ils en savaient un bout. On les trouve sur les écailles 
  de tortues, il y avait des gens, des devins, des gens comme nous, qui grafouillaient 
  ça, comme ça, à côté d’autres choses 
  qui s’étaient passées sur l’écaille de tortue, 
  pour le... pour le commenter en écrit. Ça a probablement donné 
  plus d’effet que vous ne croyez. Enfin qu’importe. Mais il y a quelque 
  chose en effet qui ressemble vaguement — je ne sais pas pourquoi je vous 
  raconte ça, je vous raconte ça parce que je me laisse entraîner, 
  j’ai encore des trucs à vous dire, je me laisse entraîner 
  quand même là; enfin tant pis! c’est fait, bon! — alors 
  il y a quelque chose que vous voyez comme ça, qui pourrait bien passer, 
  hein ? Ah! qu’il est mignon! Bon, on le suit parce que, vous savez, l’écriture, 
  ça ne vous lâche pas du jour au lendemain, si vous comptez sur 
  l’audiovisuel, vous pouvez vous accrocher, hein! vous en avez pour encore 
  un bout de l’écriture puisque je vous dis que c’est le support 
  de la science, la science va pas quitter son support comme ça, c’est 
  quand même dans des petits grafouillages que va se jouer votre sort, comme 
  au temps des yin, des petits grafouillages que les types font dans leur coin, 
  des types dans mon genre, il y en a des tas. Alors vous me suivez, vous me suivez 
  époque par époque, vous descendez aux Tchou, aux Tchou, hein? 
  et puis après ça, vous avez les Tsin, hein? l’époque 
  où on brûle les livres. Ça c’était un type. 
  Il faisait brûler les livres. Il avait compris des trucs ce Tsin, c’était 
  un empereur, ça a pas duré vingt ans. Aussitôt l’écriture 
  repartait, et d’autant plus soignée, enfin je vous
  
— 81 —
  passe les formes diverses d’écriture chinoise, parce que c’est 
  absolument superbe le rapport essentiel de l’écriture à 
  ce qui sert à inscrire, le calame. Enfin, je ne veux pas anticiper sur 
  ce que ça nous donne quant à la valeur d’instrument, le 
  calame. Ben, on suit ça hein, et puis alors au bout, qu’est-ce 
  qu’on trouve? On trouve pas du tout celui que vous attendiez, le cher 
  petit mignon, là, qu’on appelle le jen. Je prononce bien ou je 
  prononce mal, en tout cas j’ai pas mis le ton, je m’en excuse n’est-ce 
  pas, s’il y a un Chinois ici, ils sont très sensibles à 
  ça, le ton, c’est même ce qui prouve la... une des façons 
  de prouver la primauté de la parole, c’est que sur les quatre façons 
  courantes actuellement, hein, ça veut pas dire que dans le monde chinois, 
  les quatre façons courantes de dire —justement, ça tombe 
  bien — de dire i, ben ça veut dire quatre choses à la fois, 
  et qui ne sont pas du tout sans
  rapport. Enfin je vais pas me laisser entraîner, peut-être que je 
  vous le dirai, j’en ferai souvent état, quand je me serai bien 
  exercé à leurs quatre prononciations de yi; il y a i, i, il y 
  a i, voilà. Et ça a pas du tout le même sens, mais je tiens 
  d’un homme fort lettré que ça tient de la place dans la 
  conscience linguistique. Je veux dire que le ton lui-même, et c’est 
  en ça qu’il faut regarder ça plus d’une fois, avant 
  de parler d’arbitraire, que le ton lui-même — tu m’entends, 
  Jenny ? — que le ton lui-même a pour eux une valeur indicative, 
  substantielle, et pourquoi répugner à ça, quand il y a 
  une langue beaucoup plus à notre portée, l’anglais, dont 
  les effets modulatoires sont évidemment tout à fait séduisants.
  Bien sûr naturellement, ça serait tout à fait abusif de 
  dire que ça a un rapport avec le sens, seulement pour ça faut 
  accorder au mot sens, un poids qu’il n’a pas, puisque le miracle, 
  la merveille de quelque chose qui prouve que du langage, il y a quelque chose 
  à faire, je veux dire le mot d’esprit, ça repose sur le 
  non-sens précisément. Parce qu’enfin si on se réfère 
  à quelques autres écrits qui ont été là poubelliqués, 
  on aurait peut-être pu se dire que c’est quand même pas pour 
  rien que j’ai écrit L’Instance de la lettre dans l’Inconscient. 
  J’ai pas dit: l’instance du signifiant, ce cher signifiant lacanien, 
  qu’on dit, qu’on dit, qu’on dit, quand on veut dire que je 
  l’ai ravi indûment à Saussure. Oui! Que le rêve soit 
  un rébus, dit Freud, naturellement c’est pas ça qui me fera 
  démordre un seul instant que l’inconscient est structuré 
  comme un langage, seulement c’est un langage au milieu de quoi est apparu 
  son écrit. Ça veut pas dire, bien sûr, qu’il faut 
  faire la
  
—82 —
  moindre foi, et quand la ferions-nous n’est-ce pas? à ces figures 
  qui se baladent dans les rêves, dès que nous savons que ce sont 
  des représentations de mots, puisque c’est un rébus, ça 
  se traduit, überträgt, dans ce que Freud appelle les pensées. 
  Les pensées, die Gedanken, de l’Inconscient.
  Et qu’est-ce que ça peut vouloir dire, qu’est-ce que ça 
  peut vouloir dire qu’un lapsus, un acte manqué, ratage, [de quelque] 
  psychopathologie de la vie quotidienne, non mais qu’est-ce que ça 
  peut vouloir dire, que vous appeliez au moins trois fois dans les mêmes 
  cinq minutes... Je sais pas pourquoi je vous dis ça, parce que c’est 
  quand même pas un exemple où je dévoile un de mes patients, 
  mais enfin, c’est en effet, il n’y a pas longtemps, qu’un 
  de mes patients m’a, pendant cinq minutes, à chaque fois en se 
  reprenant et en rigolant, mais ça ne lui fait ni chaud ni froid, hein, 
  a appelé sa mère: « ma femme », « C’est 
  pas ma femme, parce que ma femme... » etc., et il a continué pendant 
  cinq minutes, il l’a bien répété vingt fois. Mais, 
  qu’est-ce que ça a de manqué cette parole, alors que ce 
  que je me tue à vous dire, c’est que c’est vraiment la parole 
  réussie, quand même! Et c’était comme ça parce 
  que sa mère était sa femme, quoi! Il l’appelait comme il 
  fallait. Alors il n’y a manqué que par rapport à quoi? Par 
  rapport à ce que les [menus astucieux] de « l’archiécriture 
  », l’écriture qui est là depuis toujours dans le monde, 
  préfigurent de la parole. Drôle d’exercice, hein? Moi je 
  veux bien... C’est une fonction du discours universitaire, [de brouiller 
  les cartes comme ça]. Alors chacun remplit sa fonction, moi aussi la 
  mienne, elle a aussi ses effets... Bon alors nous avons une nouvelle figure 
  du progrès qui est l’issue dans le monde, l’émergence, 
  c’est un substitut donné à cette idée de l’évolution 
  qui aboutit comme vous le savez, au haut de l’échelle animale, 
  à cette conscience qui nous caractérise, grâce à 
  quoi nous brillons de l’éclat que vous savez. Alors, il apparaît 
  dans le monde de la programmation, je ne m’emparerai de cette remarque, 
  en effet, qu’il n’y aurait pas de programmation concevable sans 
  écriture, que pour faire remarquer d’un autre côté 
  que le symptôme, lapsus, acte manqué, psychopathologie de la vie 
  quotidienne, n’a, ne se soutient, n’a de sens, que si vous partez 
  de l’idée que ce que vous avez à dire est programmé, 
  c’est-à-dire à écrire. Bien sûr s’il 
  écrit « ma femme » au lieu de « ma mère », 
  ça ne fait aucun doute qu’il y a un lapsus, mais il n’y a 
  de lapsus que calami, même quand c’est un lapsus linguae. Parce 
  que la langue elle, elle sait très bien ce qu’elle a à faire. 
  C’est un petit phallus tout à fait gentiment chatouillant. Quand 
  elle a à dire quelque chose, ben, elle le dit. C’est déjà 
  un nommé Esope qui avait dit que c’était à la fois 
  la meilleure et la plus mauvaise. Ça veut dire bien des choses.
  
— 83—
  Quoi qu’il en soit, vous m’en croirez si vous voulez, étant 
  donné l’état de fatigue où vous me sentez certainement, 
  après m’être tapé les machins sur l’écriture, 
  de bout en bout, hein, parce que je fais ça, hein ? Je me crois obligé 
  de faire ça, la seule chose dont je n’ai jamais traité, 
  c’est du Surmoi. Je me crois obligé de lire ça de bout en 
  bout. C’est comme ça! Pour être sûr, sûr de choses 
  que m’affirme, que me démontre mon expérience de la vie 
  quotidienne, mais enfin quand même, j’ai du respect pour les savants. 
  Il y en a peut-être bien qui auraient dégotté quelque chose 
  là, qui irait contre, et en effet pourquoi pas, une expérience 
  si limitée, si étroite, si courte, limitée au cabinet analytique, 
  en fin de compte, il y a peut-être quand même un certain besoin 
  de savoir [ou s’informer]. Enfin, ça, je dois dire que je ne peux 
  l’imposer à personne, mais dans l’ensemble, c’est mal 
  vu.
  Il y a un autre truc, Le Débat sur les écritures et les hiéroglyphes 
  au XVIIle et au XVIIIe siècle.
  Vous allez j’espère vous ruer. Mais vous n’allez peut-être 
  pas le trouver parce que moi-même, j’ai dû me le faire venir 
  d’une bibliothèque, c’est une chose qui est de la Bibliothèque 
  générale de l’Ecole pratique des Hautes Etudes, 6e section, 
  et je vois l’indication S.E.V.P.E.N., c’est-à-dire ça 
  doit être une organisation d’édition, 13 rue du Four, Paris, 
  si, tout de même ça existe. Eh bien! cet ouvrage de Madeleine David, 
  — faudrait aussi que de temps en temps vous vous donniez la peine de lire 
  quelque chose, vous pourriez lire ça, enfin passons — parce que 
  pour ce que je vais achever de vous dire, ce que je vais achever de vous dire, 
  que l’écriture, c’est là que nous en resterons pour 
  aujourd’hui, que l’écriture en somme est quelque chose qui 
  se trouve, du fait d’être cette représentation de la parole 
  sur laquelle, vous le voyez bien, je n’ai pas insisté, représentation, 
  ça signifie aussi répercussion, parce qu’il n’est 
  pas du tout sûr que sans l’écriture, il y aurait des mots. 
  C’est peut-être la représentation qui les fait, en tant que 
  telle, ces mots.
  Quand vous vous serez un peu frottés à une langue comme celle 
  que je suis en train d’apprendre aussi là, et en effet dont je 
  ne suis pas après tout absolument sûr dans ce cas-là que 
  c’est un effet de Surmoi, la langue japonaise, eh bien! vous vous apercevrez 
  alors de ce qu’une écriture, ça peut travailler une langue. 
  Et telle qu’elle est faite, cette langue mélodieuse, qui est merveilleuse 
  de souplesse et d’ingéniosité, quand je pense que c’est 
  une langue où les adjectifs se conjuguent, et que j’ai attendu 
  jusqu’à mon âge pour avoir ça à ma disposition, 
  je ne sais vraiment pas ce que j’ai fait jusqu’ici. Moi, je n’aspirai 
  qu’à ça, que les adjectifs se conjuguent. Et une langue 
  où les flexions ont ceci d’absolument merveilleux qu’elles 
  se promènent toutes seules. Ce qu’on appelle le monème,
  
—84 —
  là, au milieu, lui vous pouvez le changer. Vous lui foutez une prononciation 
  chinoise, tout à fait différente de la prononciation japonaise, 
  de sorte que, quand vous êtes en présence d’un caractère 
  chinois, vous avez, si vous êtes initié, mais naturellement il 
  n’y a que les naturels qui le savent, vous le prononcez oniomo ou kuniomi 
  selon les cas, qui sont toujours très précis, et pour le type 
  qui arrive la, comme moi, pas question de savoir lequel des deux il faut choisir; 
  en plus, vous pouvez avoir deux caractères chinois. Si vous les prononcez 
  kuniomi, c’est-à-dire à la japonaise, vous êtes absolument 
  hors d’état de dire auquel de ces caractères chinois appartient 
  la première syllabe de ce que vous dites, et auquel appartient la dernière, 
  celle du milieu, bien sûr, encore bien moins n’est-ce pas, c’est 
  l’ensemble des deux caractères chinois qui vous dicte la prononciation 
  japonaise à plusieurs syllabes, qu’on entend elle parfaitement, 
  prononciation qui répond aux deux caractères à la fois, 
  car ne vous imaginez pas, sous prétexte qu’un caractère 
  chinois ça correspond en principe à une syllabe, quand vous le 
  prononcez à la chinoise, oniomi, si vous le lisez à la japonaise, 
  on ne voit en effet pas pourquoi cette représentation de mots on se croirait 
  obligé de [la] décomposer en syllabes. Enfin, ça vous en 
  apprend beaucoup. Ça vous apprend beaucoup sur ceci que, que la langue 
  japonaise, elle s’est nourrie de son écriture. Elle s’est 
  nourrie en quoi? au titre linguistique bien sûr, c’est-à-dire 
  au point où la linguistique atteint la langue, c’est-à-dire 
  toujours dans l’écrit.
  Parce qu’il faut bien vous dire que naturellement, que ceci qui saute 
  aux yeux, c’est que si M. de Saussure s’est trouvé relativement 
  en état de qualifier d’arbitraire les signifiants, c’est 
  uniquement en raison de ceci qu’il s’agissait de figurations écrites; 
  comment est-ce qu’il aurait pu faire sa petite barre avec le truc du dessous 
  et les trucs du dessus, dont j’ai suffisamment usé et abusé, 
  s’il y avait pas d’écriture? Tout ceci pour vous rappeler 
  que, quand je dis qu’il y a pas de métalangage, ça saute 
  aux yeux, il suffit que je vous fasse une démonstration mathématique, 
  vous verrez bien que je suis forcé de discourir dessus parce que c’est 
  un écrit, sans ça, ça ne passerait pas. Si j’en parle, 
  c’est pas du tout du métalangage, ce qu’on appelle, ce que 
  les mathématiciens eux-mêmes, quand ils exposent une théorie 
  logique, appellent le discours, le discours commun, le discours ordinaire, c’est 
  la fonction de la parole, en tant bien sûr qu’elle s’applique, 
  non pas d’une façon tout à fait illimitée, indisciplinée, 
  c’est ce que j’ai appelé tout à l’heure « 
  démontrer », bien sûr, mais le langage, c’est là 
  ce dont il s’agit, l’écriture est ce dont il s’agit, 
  ce dont on parle. Il n’y a aucun métalangage en ce sens où 
  on ne parle jamais du langage qu’à partir de l’écriture.
  
  -85-
  Alors, je vous dis tout ça, tout ça, je dois dire que ça 
  ne me fatigue pas quoi, si vous voulez, ça me fatigue quand même 
  un peu. Vous m'en croirez si vous voulez, ce que je me suis dit ce matin en 
  me réveillant, après avoir lu Madeleine David jusqu'à une 
  heure, je me suis dit que quand même ce n'était pas absolument 
  pour rien que mes Écrits commençaient par le séminaire 
  sur La Lettre volée. La lettre, c'est pris là, dans un autre sens 
  que celui de L'Instance de la lettre dans l'inconscient, la lettre, l'épistole. 
  Je suis pas frais, je me suis couché tard, après minuit; enfin, 
  Gloria vous témoignera que je me suis tapé de huit heures à 
  neuf heures et demie la relecture du séminaire sur La Lettre volée. 
  C'est une chose qui valait la peine, c'est une chose un peu astucieuse. Je me 
  relis jamais, mais quand je me relis, vous pouvez pas savoir ce que je m'admire! 
  Évidemment je me suis donné de la peine, j'avais fait un truc 
  assez chiadé, qui était pas mal, qui est passé, qui est 
  passé, quand je l'ai fait, je sais plus il y a la date, c'était 
  toujours devant la... la canaille de Sainte-Anne. Enfin, j'ai chiadé 
  ça dans un endroit que je mets à la fin, je suis consciencieux, 
  San Casciano, aux environs de Florence, ça m'a bien gâché 
  mes vacances. Enfin, vous savez j'ai un penchant à ça, à 
  gâcher mes vacances. Écoutez, il est tard n'est-ce pas, et après 
  tout, je crois que ça vaut mieux que je vous en parle la prochaine fois.
  Mais enfin peut-être qui sait, ça vous tentera de le lire, et malgré 
  tout, vaudrait mieux pas vous dire où il faut aller tout de suite, j 
  e vais le faire quand même, parce que, il y en a qui pourraient ne pas 
  s'en apercevoir, que à la fin, en parlant de la Lettre volée, 
  quand je parle de ça, la fonction de la lettre, vous vous souvenez peut-être, 
  cette lettre que la Reine reçoit, vous avez peut-être lu le conte 
  de Poe en question, la Reine reçoit..., c'est une lettre un peu drôle, 
  quand même. On ne saura jamais ce qu'il y a dedans. C'est justement ça 
  qui est essentiel, c'est ce qu'on ne saura jamais, ce qu'il y a dedans. Et que 
  même, rien ne contredit ceci qu'il n'y a qu'elle qui le sache en fin de 
  compte. D'ailleurs, pour lancer la police là-dessus, vous comprenez, 
  il faut quand même que, elle ait bien l'idée qu'en aucun cas, ça 
  ne peut donner de renseignements à personne. Il n'y a qu'un truc, c'est 
  qu'il est certain que ça a un sens. Et comme ça vient d'un certain 
  Duc de je-ne-sais-pas-quoi qui s'est adressé à elle, si le Roi 
  son bon Maître, met la main là-dessus, même s'il n'y comprend 
  rien lui non plus, il se dira: « Quand même! il y a quelque chose 
  de louche! » et Dieu sait où ça peut conduire. Je regrette 
  les vieilles histoires que ça faisait autrefois, ça conduisait 
  une Reine à l'échafaud, des machins comme ça. Bon! Alors 
  là-dessus, là-dessus, je peux pas vous faire le machin que j'ai 
  fait sur ce qu'a fait Poe, sous le titre The purloined letter, que j'ai traduit 
  comme ça, approximativement, la lettre en souffrance. Eh bien! lisez 
  ça
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  d’ici la prochaine fois hein? Parce que ça me permettra peut-être 
  de continuer à sortir, à vous appuyer, ce que vous voyez converger 
  dans mon discours d’aujourd’hui, de la page 31 des Ecrits, jusqu’à 
  la fin.
  Ce dont je parle, en parlant de ce dont il s’agit, vous avez peut-être 
  vaguement entendu parler de l’effet des déplacements de cette lettre, 
  de ses changements de mains, vous savez, le ministre l’a barbotée 
  à la Reine, après quoi Dupin, Dupin, le génie poïen, 
  n’est-ce pas, le futé des futés, qui n’est pas tellement 
  futé que ça; mais Poe lui est futé, c’est-à-dire 
  que Poe, lui, c’est le narrateur de l’histoire... Je vous pose une 
  petite question, là j’ouvre une parenthèse, le narrateur 
  de l’histoire, ça a une portée très générale, 
  est-il celui qui l’écrit? Posez-vous cette question par exemple 
  en lisant Proust. C’est très nécessaire de la poser, parce 
  que sans ça vous êtes foutus, vous croyez que le narrateur de l’histoire 
  est un simple quidam, comme ça, un peu asthmatique, et somme toute assez 
  con dans ses aventures, quoi! Il faut bien le dire, quoi! Seulement vous n’avez 
  pas du tout l’impression quand vous avez pratiqué Proust, que ce 
  soit con du tout. Ce n’est pas ce que Proust dit du narrateur, c’est 
  autre chose qu’il écrit, enfin passons. De la page 31 à 
  telle page, vous verrez quand je parle de la lettre, de sa véhiculation, 
  de la façon dont le ministre l’a prise à la Reine ou que 
  Dupin prend le relais du ministre, et de ce qu’il y a comme conséquence 
  d’être le détenteur de cette lettre; c’est un drôle 
  de mot hein? Ça veut peut-être dire: avoir la possibilité 
  de la détente, cette lettre, vous verrez que de cette page à cette 
  p age, ce dont je parle, je suis celui qui l’a écrite, est-ce que 
  je savais ce que je faisais? Ben, je vous le dirai pas. Ce dont je parle, c’est 
  du phallus. Et je dirai même mieux, personne n’en a jamais mieux 
  parlé. C’est pour ça que je vous prie de vous y reporter, 
  ça vous apprendra quelque chose.
  
note 
  : 
  bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou 
  si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance 
  de m'adresser un 
  émail.
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