XVIII- d'un discours qui ne serait pas 
  du semblant
          
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 12 mai 1971
  Lituraterre
Ce mot que je viens d’écrire intitule ce 
  que je vais vous offrir aujourd’hui. Parce qu’il faut bien, puisque 
  vous êtes convoqués là, que je vous lance quelque chose. 
  Il m’est évidemment inspiré par l’actualité. 
  C’est le titre dont je me suis efforcé de répondre à 
  une demande qui m’a été faite d’introduire un numéro 
  qui va paraître sur Littérature et Psychanalyse.
  Ce mot, lituraterre, que j’ai inventé, se légitime de l’Ernout 
  et Meillet, comme il y en a peut-être qui ici savent ce que c’est; 
  c’est un dictionnaire dit étymologique du latin. Cherchez à 
  lino, litura, et puis liturarius. Il est bien précisé que ça 
  n’a rien à faire avec littera, la lettre. Que ça n’ait 
  rien à faire, moi je m’en fous. Je ne me soumets pas forcément 
  à l’étymologie quand je me laisse aller à ce jeu 
  de mots dont on fait à l’occasion le mot d’esprit, le contrepet, 
  en l’occasion évident, m’en revenant aux lèvres et 
  le renversement à l’oreille. C’est pas pour rien que quand 
  vous apprenez une langue étrangère, vous mettez la première 
  consonne de ce que vous avez entendu la seconde, et la seconde, la première.
  Donc ce dictionnaire, qu’on s’y reporte, m’apporte auspices, 
  d’être fondé du même départ que je prenais d’un 
  premier mouvement, entendez départ au sens de réparti, départ 
  d’une équivoque dont Joyce, c’est James Joyce dont je parle, 
  glisse de a letter à a litter, d’une lettre, je traduis, à 
  une ordure.
  Il y avait, vous vous en souvenez peut-être, mais très probablement 
  vous n’en avez jamais rien su, y avait une mécène qui lui 
  voulait du bien, qui lui offrait une psychanalyse, et même que c’était 
  de Jung qu’elle la lui offrait. Au jeu que nous évoquons, il n’y 
  eût rien gagné puisqu’il allait tout droit, avec ce a letter, 
  a litter, tout droit au mieux de ce que l’on peut attendre de la psychanalyse 
  à sa fin.
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  À faire litière de la lettre, est-ce saint Thomas encore, vous 
  vous souvenez peut-être, si vous l’avez jamais su, sicut palea, 
  saint Thomas encore, qui revient à Joyce, comme son oeuvre en témoigne 
  tout au long? Ou bien est-ce la psychanalyse qui atteste sa convergence avec 
  ce que notre époque accuse d’un débridement du lien, du 
  lien antique dont se contient la pollution dans la culture?
  J’avais brodé là-dessus comme par hasard un peu avant le 
  mai de 68, pour ne pas faire défaut, ce jour-là, aux paumés 
  de ces affluences que je me trouve maintenant déplacer, quand je fais 
  visite quelque part, c’était à Bordeaux. La civilisation, 
  y rappelai-je en prémisse, c’est l’égout. Il faut 
  dire sans doute, que c’est peu après que ma proposition d’octobre 
  67 ait été accueillie comme on sait pour vous dire sans doute 
  que, en jouant de ça, j’étais un peu las de la poubelle 
  à laquelle j’ai rivé mon sort. Pourtant, on sait que je 
  ne suis pas seul à pour partage l’avouer, l’avouère, 
  pour prononcer à l’ancienne, l’avoir dont Beckett fait balance 
  au doit qui fait déchet de notre être. Cet avouère sauve 
  l’honneur de la littérature et, ce qui m’agrée assez, 
  me relève du privilège que je pourrais croire tenir de ma place.
  La question est de savoir, si ce dont les manuels semblent faire étal 
  depuis qu’ils existent, je parle des manuels de littérature, soit 
  que la littérature soit qu’accommodation des restes. Est-ce affaire 
  de connotation dans l’écrit, de ce qui d’abord primitivement 
  serait chant, mythe parlé, procession dramatique?
  Pour la psychanalyse, qu’elle soit appendue à l’OEdipe, à 
  l’OEdipe du mythe, ne la qualifie en rien pour s’y retrouver dans 
  le texte de Sophocle. C’est pas pareil. L’évocation par Freud 
  d’un texte de Dostoïevski ne suffit pas pour dire que la critique 
  de texte, jusqu’ici chasse gardée du discours universitaire, ait 
  reçu de la psychanalyse plus d’air.
  Si, pourtant, mon enseignement prend place dans un changement de configuration 
  qui, actuellement, sous couleur d’actualité, actuellement s’affiche 
  d’un slogan de promotion de l’écrit. Mais, ce changement, 
  dont ce témoignage par exemple, que ce soit de nos jours qu’enfin 
  Rabelais soit lu, montre qu’il repose peut-être sur un déplacement 
  littéraire à quoi je m’accorde mieux.
  Je suis comme auteur moins impliqué qu’on n’imagine. Mes 
  Ecrits, un titre plus ironique qu’on ne croit puisqu’il s’agit 
  en somme soit de rapports, qui sont fonction de congrès, soit disons, 
  j’aimerais bien qu’on les entende comme ça, des lettres ouvertes 
  où je fais sans doute question à chaque fois d’un pan de 
  mon enseignement, mais enfin, ça en donne le ton.
  Loin en tout cas de me commettre dans ce frotti-frotta littéraire, dont 
  se dénote le psychanalyste en mal d’invention, j’y dénonce 
  la tentative
  
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  immanquable à démontrer l’inégalité de sa 
  pratique à motiver le moindre jugement littéraire. -
  Il est pourtant frappant que ce recueil de mes Ecrits, je l’ai ouvert 
  d’un article que j’isole en l’extrayant de sa chronologie, 
  la chronologie y fait règle, et que là, il s’agisse d’un 
  conte lui-même il faut le dire bien particulier de ne pouvoir entrer dans 
  la liste ordonnée, vous savez qu’on l’a faite, des situations 
  dramatiques.
  Enfin laissons ça, lui, le conte, il se fait de ce qu’il advient 
  de la poste d’une lettre missive au su de qui se passe, c’est faire 
  suivre et de quoi terme s’appuie que je puisse moi, dire cette lettre, 
  dire à propos d’elle qu’une lettre toujours en vient à 
  sa destination. Et ceci après des détours qu’elle a subis 
  dans le conte, le compte, si je puis dire, soit rendu sans aucun recours au 
  contenu de la lettre. C’est cela qui rend remarquable l’effet qu’elle 
  porte sur ceux qui tour à tour s’en font les détenteurs, 
  tout ardents qu’ils puissent être du pouvoir qu’elle confère 
  pour y prétendre que cet effet d’illusion ne puisse s’articuler, 
  ce que je fais moi, que comme un effet de féminisation. C’est là, 
  je m’excuse d’y revenir, bien distinguer, je parle de ce que je 
  fais, la lettre du signifiant maître en tant qu’ici elle l’emporte, 
  elle l’emporte dans son enveloppe, puisqu’il s’agit d’une 
  lettre au sens du mot épistole. Or, je prétends que je ne fais 
  pas là du mot lettre usage métaphorique, puisque justement le 
  conte consiste en ce qu’y passe comme muscade le message dont c’est 
  l’écrit, donc proprement la lettre, qui fait seule péripétie.
  Ma critique, si elle a lieu d’être tenue pour littéraire, 
  ne saurait là donc porter, je m’y essaie, que sur ce que Poe fait, 
  d’être écrivain lui-même, à former un tel message 
  sur la lettre. Il est clair qu’à ne pas le dire tel quel, tel que 
  je le dis, moi, ce n’est pas insuffisamment, c’est d’autant 
  plus rigoureusement qu’il l‘avoue.
  Néanmoins, l’élision, l’élision de ce message 
  n’en saurait être élucidée au moyen de quelque trait 
  que ce soit de sa psycho-biographie; bouchée plutôt qu’elle 
  en serait, cette élision. Une psychanalyste qui, on s’en souvient 
  peut-être, a récuré les autres textes de Poe, ici déclare 
  forfait de sa serpillière. Elle y touche pas, la Marie! Voilà, 
  pour le texte de Poe.
  Mais pour le mien de texte, est-ce qu’il ne pourrait pas se résoudre 
  par ma psycho-biographie à moi? Le vœu que je formerais par exemple, 
  d’être lu un jour convenablement. Mais, pour ça, pour que 
  ça vaille, il faudrait d’abord qu’on développe, que 
  celui qui s’y emploierait à cette interprétation, développe 
  ce que j’entends que la lettre porte pour arriver toujours, je le dis, 
  à sa destination.
  
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  C’est là peut-être que je suis pour l’instant en cheville 
  avec les dévots de l’écriture. Il est certain que comme 
  d’ordinaire la psychanalyse ici reçoit de la littérature 
  et elle pourrait d’abord en prendre cette graine qui serait du ressort 
  du refoulement une idée moins psycho-biographique. Pour moi, si je propose 
  le texte de Poe, avec ce qu’il y a derrière, à la psychanalyse, 
  c’est justement dé ce qu’elle ne puisse l’aborder qu’à 
  y montrer son échec. C’est par là que je l’éclaire, 
  la psychanalyse, et on le sait, on sait que je sais que j’invoque ainsi, 
  c’e~t au dos de mon volume, j’invoque ainsi les lumières. 
  Pourtant je l’éclaire de démontrer où elle fait trou, 
  la psychanalyse. Ça n’a rien d’illégitime. Ça 
  a déjà porté son fruit on le sait depuis longtemps, en 
  optique et la plus récente physique, celle du photon, s’en arme. 
  C’est par cette méthode que la psychanalyse pourrait mieux justifier 
  son intrusion dans la critique littéraire. Ça voudrait dire que 
  la critique littéraire viendrait effectivement à se renouveler 
  de ce que la psychanalyse soit là pour que les textes se mesurent à 
  elle, justement de ce que l’énigme reste de son côté, 
  qu’elle soit coite. Mais ceux, ceux des psychanalystes dont ce n’est 
  pas médire que d’avancer que plutôt qu’ils ne l’exercent 
  la psychanalyse, ils en sont exercés, entendent mal mes propos à 
  tout le moins d’être pris en corps.
  J’oppose à leur adresse vérité et savoir. C’est 
  la première, où aussitôt ils reconnaissent leur office, 
  alors que sur la sellette, c’est leur vérité que j’attends. 
  J’insiste, à corriger mon tir, de dire savoir en échec, 
  voilà où la psychanalyse se montre au mieux. Savoir en échec 
  comme on dit figure en abîme, ça ne veut pas dire échec 
  du savoir. Aussitôt j’apprends qu’on s’en croit dispensé 
  de faire preuve d’aucun savoir.
  Serait-ce lettre morte que j’ai mis au titre d’un de ces morceaux 
  que j’ai dit Ecrits, de La lettre l’instance comme raison de l’inconscient? 
  N’est-ce pas désigner assez dans la lettre ce qui, à devoir 
  insister, n’est pas là de plein droit, si fort de raison que ça 
  s’avance. Dire cette raison moyenne ou extrême c’est bien 
  montrer, je l’ai fait déjà à l’occasion, la 
  bifidité où s’engage toute mesure. Mais n’y a-t-il 
  rien dans le réel, qui se passe de cette médiation? Ce pourrait 
  être la frontière. La frontière, à séparer 
  deux territoires, n’a qu’un défaut, mais il est de taille. 
  Elle symbolise qu’ils sont de même tabac, si je puis dire, en tout 
  cas, pour quiconque la franchit. Je ne sais pas si vous vous y êtes arrêtés, 
  mais c’est le principe dont un jour un nommé von Uxküll a 
  fabriqué le terme d’Umwelt. C’est fait sur le principe qu’il 
  est le reflet de l’Innenwelt, c’est la promotion de la frontière 
  à l’idéologie. C’est évidemment un départ 
  fâcheux qu’une biologie, car c’était une biologie qu’il 
  voulait avec ça fonder, von Uxküll, une biologie qui se
  
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  donne déjà tout au départ, le fait de l’adaptation, 
  notamment, qui fait le fond de ce couplage Umwelt-Innenwelt. Evidemment, la 
  sélection, la sélection ça ne vaut pas mieux au titre de 
  l’idéologie. C’est pas parce qu’elle se bénit 
  elle-même d’être naturelle qu’elle l’est moins.
  Je vais vous proposer quelque chose, comme ça, tout brutalement pour 
  venir après a letter, a litter. Moi je vais vous dire, la lettre n’est-elle 
  pas le littéral à fonder dans le littoral? Car ça, c’est 
  autre chose qu’une frontière. D’ailleurs, vous avez pu remarquer 
  que ça ne se confond jamais. Le littoral, c’est ce qui pose un 
  domaine, tout entier comme faisant à un autre, si vous voulez, frontière, 
  mais justement de ceci qu’ils n’ont absolument rien en commun, même 
  pas une relation réciproque. La lettre, n’est-elle pas proprement 
  littorale? Le bord du trou dans le savoir que la psychanalyse désigne 
  justement quand elle l’aborde, de la lettre, voilà-t-il pas ce 
  qu’elle dessine?
  Le drôle, c’est de constater comment la psychanalyse s’oblige 
  en quelque sorte de son mouvement même à méconnaître 
  le sens de ce que pourtant la lettre dit à la lettre, c’est le 
  cas de le dire, quand toutes ses interprétations se résument à 
  la jouissance. Entre la jouissance et le savoir, la lettre ferait le littoral. 
  Tout ça n’empêche pas que ce que j’ai dit de l’inconscient 
  restant là ait quand même la précédence, sans quoi 
  ce que j’avance n’aurait absolument aucun sens. Il reste à 
  savoir comment l’inconscient, que je dis être effet de langage puisqu’il 
  en suppose la structure comme nécessaire et suffisante, comment il commande 
  cette fonction de la lettre.
  Qu’elle soit instrument propre à l’inscription du discours 
  ne la rend pas du tout impropre à servir à ce que j’en fais, 
  quand dans L’instance de la lettre, par exemple, dont je parlais tout 
  à l’heure, je l’emploie à montrer le jeu de ce que 
  l’autre appelle, un nommé Jean Tardieu, le mot pris pour un autre, 
  voire le mot pris par un autre, autrement dit, la métaphore et la métonymie, 
  comme effet de la phrase. Elle symbolise donc aisément tous ces effets 
  de signifiants, mais ça n’impose nullement qu’elle soit, 
  elle, la lettre, dans ces effets mêmes, pour lesquels elle me sert d’instrument, 
  qu’elle soit primaire. L’examen s’impose moins de cette primarité, 
  qui n’est même pas à supposer, mais de ce qui du langage 
  appelle le littoral au littéral.
  Rien de ce que j’ai inscrit à l’aide de lettres des formations 
  de l’inconscient pour les récupérer de ce dont Freud les 
  formule, les énonce, plus simplement des faits de langage, rien ne permet 
  de confondre comme il s’est fait, la lettre avec le signifiant. Ce que 
  j’ai inscrit à l’aide de lettres des formations de l’Inconscient 
  n’autorise pas à faire de la lettre un signifiant et à l’affecter, 
  qui plus est, d’une primarité au regard du signifiant.
  
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  Un tel discours confusionnel n’a pu surgir que de celui, du discours qui 
  m’importe, et justement, qui m’importe dans un autre discours que 
  j’épingle au temps venu du discours universitaire; soit comme je 
  l’ai souligné assez depuis un an et demi, je pense, soit du savoir 
  mis en usage à partir du semblant.
  Le moindre sentiment de l’expérience à quoi je pare, ne 
  peut se situer que d’un autre discours que de celui-là. J’eus 
  dû le garder le produit de ce discours que je désigne pas plus, 
  sans l’avouer de moi. On me l’a épargné, Dieu merci, 
  n’empêche qu’à m’importer, au sens que j’ai 
  dit tout à l’heure, on m’importune.
  Si j’avais trouvé recevables les modèles que Freud articule 
  dans une esquisse d’où décrire le frayage, le forage de 
  routes imprécises, je n’en aurais pas pour autant pris la métaphore 
  de l’écriture. Et justement, c’est sur ce point de l’Esquisse 
  que je ne la trouve pas recevable. L’écriture n’est pas l’impression, 
  n’en déplaise à tout ce qui s’est fait comme bla-bla 
  sur le fameux Wunderblock.
  Quand je tire parti de la lettre appelée cinquante-deuxième, c’est 
  d’y lire ce que ~ pouvait énoncer sous le terme qu’il forge 
  du WZ, Wahrnehmungszeichen, et de repérer que c’est ce qu’il 
  pouvait trouver de plus proche du signifiant à la date où Saussure 
  ne l’avait pas encore remis au jour, ce fameux signifiant, qui ne date 
  quand même pas de lui, puisqu’il date des Stoïciens. Que Freud 
  l’écrive là de deux lettres, comme moi ailleurs je ne l’écris 
  que d’une, ça ne prouve en rien que la lettre soit primaire.
  Je vais donc essayer, pour vous aujourd’hui, d’indiquer le vif de 
  ce qui nous paraît produire la lettre comme conséquence, et du 
  langage, précisément de ce que je dis, que l’habite qui 
  parle. J’en emprunterai les traits à ce que d’une économie 
  de langage permet de dessiner ce que promeut, à mon idée que littérature 
  peut être en train de virer à lituraterre. N’allez pas vous 
  étonner de m’y voir procéder d’une démonstration 
  littérale puisque c’est là marcher du même pas dont 
  la question elle-même s’avance. On pourra peut-être y voir, 
  voir s’affirmer ce que peut être une telle démonstration 
  que j’appelle littéraire. Je suis toujours un peu au bord. Pourquoi 
  pas, cette fois-ci, m’y lancer?
  Je reviens d’un voyage que j’attendais de faire au Japon, de ce 
  que d’un premier, d’un premier voyage, j’avais éprouvé 
  de littoral. On peut m’entendre de ce que j‘ai dit tout à 
  l’heure de l’Umwelt que j ‘ai répudié, justement 
  de ça, de rendre le voyage impossible, ce qui, si vous suivez mes formules, 
  serait assurer son réel. Seulement, voilà, c’est prématuré. 
  C’est le départ que ça rend impossible, sauf à chanter: 
  « Partons, partons! » Ça se fait d’ailleurs beaucoup. 
  Je ne noterai qu’un moment de ce voyage, celui qu’il se trouve que 
  j’ai recueilli, de quoi, d’une route nouvelle, qu’il s’est 
  trouvé que j’ai prise simplement de ceci que la première 
  fois
  
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  que j’y suis allé, elle était simplement interdite. Il faut 
  que j’avoue que ce ne fut pas à l’aller, le long du cercle 
  arctique, qui trace cette route pour l’avion, que je fis lecture de quoi? 
  De ce que je voyais de la plaine sibérienne.
  Je suis en train de vous faire un essai de sibériétique. Cet essai 
  n’aurait pas vu le jour si la méfiance des Soviétiques, 
  c’était pas pour moi, c’était pour les avions, m’avait 
  laissé voir les industries, les installations militaires, qui font le 
  prix de la Sibérie. Mais enfin, cette méfiance, c’est là 
  une condition que nous appellerons accidentelle. Pourquoi même pas occidentelle, 
  si on y met de l’occire un peu; l’amoncellement du Sud Sibérien 
  c’est ça qui nous pend au nez!
  La seule condition décisive est ici la condition de littoral justement, 
  pour moi, parce que je suis un peu dur de la feuille, elle n’a joué 
  qu’au retour d’être littéralement ce que le Japon, 
  de sa lettre, m’ait s’en doute fait, ce petit peu trop de chatouillement, 
  qui est juste ce qu’il faut pour que je le ressente. Je dis que je le 
  ressens parce que bien sûr, pour le repérer, le prévoir, 
  j’avais déjà fait ça ici, quand je vous ai parlé 
  un petit peu de la langue japonaise; de ce qui, cette langue proprement la fait, 
  c’est l’écriture, je vous ai déjà dit ça.
  Il a fallu sans doute pour ça, que ce petit peu trop qu’il me fallait 
  de ce qu’on appelle l’art, représente quelque chose. Ça 
  tient dans le fait de ce que la peinture japonaise y démontre de son 
  mariage à la lettre, et très précisément sous la 
  forme de la calligraphie. Ça me fascine, les choses qui pendent, kakemono, 
  c’est comme ça que ça se jaspine, les choses qui pendent 
  au mur de tout musée là-bas, portant inscrits des caractères, 
  chinois de formation, que je sais un peu, très peu, mais qui si peu que 
  je les sache me permettent de mesurer ce qui s’en élide dans la 
  cursive où le singulier de la main écrase l’universel, soit 
  reprenant ce que je vous apprends ne valoir que du signifiant. Vous vous rappelez? 
  un trait est toujours vertical. C’est toujours vrai s’il n’y 
  a pas de trait.
  Donc, dans la cursive, le caractère, je ne l’y retrouve pas parce 
  que je suis novice; mais ce n’est pas l’important, car ce que j’appelle 
  ce singulier peut appuyer une forme plus ferme. L’important c’est 
  ce qu’il y ajoute. C’est une dimension, ou encore, comme je vous 
  ai appris à jouer de ça, une demansion, là où demeure 
  ce que je vous ai déjà introduit je crois dans quelque avant ou 
  avant dernier séminaire, un mot que j’écris pour m’amuser 
  le papludun. C’est la demansion dont vous savez qu’elle me permet, 
  on a beau dire tout ça, du petit jeu de mathématique de Peano, 
  etc., et de la façon dont il faut que Frege s’y prend pour réduire 
  la série des nombres naturels, entre guillemets, à la logique, 
  celle donc, dont j’instaure le sujet dans ce que je vais appeler aujourd’hui 
  encore, puisque je fais de la littérature et que je suis gai, vous allez 
  le reconnaître, je
  
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  l’avais écrit sous une forme, ces derniers temps, celle-ci le Hun-en-peluce. 
  Ça sert beaucoup Hun, ça se met à la place de ce que j’appelle 
  l’Achose avec un grand A et ça la bouche du petit a dont ce n’est 
  peut-être pas par hasard qu’il peut se réduire comme ça, 
  comme moi je le désigne, à une lettre. Au niveau de la calligraphie, 
  c’est cette lettre qui fait l’enjeu d’un pari, mais lequel 
  ? qui se gagne avec de l’encre et du pinceau.
  Voilà, c’est comme ça qu’invinciblement m’apparut 
  dans une circonstance qui est à y retenir, à ça y faut 
  donc que s’y distingue la rature, à savoir d’entre les nuages, 
  m’apparut le ruissellement qui est seule trace à apparaître 
  d’y opérer plus encore que d’en indiquer le relief sous cette 
  latitude dans ce qu’on appelle la plaine sibérienne; plaine vraiment 
  désolée, au sens propre, d’aucune végétation 
  que de reflets, reflets de ce ruissellement lesquels poussent à l’ombre 
  ce qui ne miroite pas.
  Qu‘est-ce que c’est que ça, le ruissellement? C’est 
  un bouquet. Ça fait bouquet, de ce qu’ailleurs j’ai distingué 
  du trait premier et de ce qu’il efface. Je l’ai dit en son temps, 
  mais on oublie toujours une partie de la chose, je l’ai dit à propos 
  du trait unaire, c’est de l’effacement du trait que se désigne 
  le sujet. Ça se remarque donc en deux temps. Il y faut donc que s’y 
  distingue la rature.
  Litura, lituraterre. Rature d’aucune trace qui soit d’avant, c’est 
  ce qui fait terre du littoral. Litura pure, c’est le littéral. 
  Là, produire cette rature, c’est reproduire cette moitié 
  dont le sujet subsiste. Ceux qui sont là depuis un bout de temps, mais 
  il doit y en avoir de moins en moins, doivent se souvenir de ce qu’un 
  jour j’ai fait récit des aventures d’une moitié de 
  poulet. Produire la rature, seule, définitive, c’est ça 
  l’exploit de la calligraphie. Vous pouvez toujours essayer, essayer de 
  faire simplement ce que je ne vais pas faire parce que je la raterai, d’abord 
  parce que je n’ai pas de pinceau, essayer de faire cette barre horizontale, 
  qui se trace de gauche à droite, pour figurer d’un trait l’un 
  unaire comme caractère, franchement. Vous mettrez très longtemps 
  à trouver de quelle rature ça s’attaque et de quel suspens 
  ça s’arrête, de sorte que ce que vous ferez sera lamentable, 
  c’est sans espoir pour un occidenté. Il faut un train différent 
  qui ne s’attrape qu’à se détacher, de quoi que ce 
  soit qui vous raye.
  Entre centre et absence, entre savoir et jouissance, il y a littoral qui ne 
  vire au littéral qu’à ce que ce virage, vous puissiez le 
  prendre le même à tout instant. C’est de ça seulement 
  que vous pouvez vous tenir pour agent qui le soutienne.
  Ce qui se révèle de ma vision de ruissellement, à ce qui 
  domine la rature, c’est qu’à se produire d’entre les 
  nuages, elle se conjugue à sa source; c’est bien aux nuées 
  qu’Aristophane me hèle de trouver ce qu’il en est du signifiant, 
  soit le
  
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  semblant par excellence, si c’est de sa rupture qu’en pleut cet 
  effet à ce qu’il s’en précipite, ce qui y était 
  matière en suspension.
  Il faut dire que la peinture japonaise dont tout à l’heure je vous 
  ai dit qu’elle s’entremêle si bien de calligraphie, pourquoi? 
  et que là le nuage, il n’y manque pas. C’est de là 
  où j’étais à cette heure que j’ai vraiment 
  bien compris quelle fonction avaient ces nuages d’or qui littéralement 
  bouchent, cachent toute une partie des scènes qui dans des lieux, des 
  lieux qui sont des choses qui se déroulent dans un autre sens, celles-là 
  on les appelle makemono, [elles] président à la répartition 
  des petites scènes. Pourquoi? comment se peut-il que ces gens qui savent 
  dessiner, éprouvent-ils le besoin de les entremêler de ces amas 
  de nuages, si ce n’est précisément que c’est ça 
  qui introduit la dimension de signifiant; et la lettre qui fait rature, s’y 
  distingue d’être rupture donc, du semblant, qui dissout ce qui faisait 
  forme, phénomène, météore, c’est ça, 
  je vous l’ai déjà dit, que la science opère au départ 
  de la façon la plus sensible sur des formes perceptibles. Mais du même 
  coup ça doit être aussi que ce soit d’en congédier 
  ce qui de cette rupture ferait jouissance, c’est-à-dire d’en 
  dissiper ce qu’elle soutient de cette hypothèse pour m’exprimer 
  ainsi de la jouissance, qui fait le monde en somme, car l’idée 
  de monde, c’est ça. Penser qu’il soit fait de pulsions telles 
  qu’aussi bien s’en figure le vide.
  Eh bien! ce qui de jouissance s’évoque à ce que se rompe 
  un semblant, voilà, ce qui, dans le réel, c’est là 
  le point important, dans le réel, se présente comme ravinement. 
  C’est là vous définir par quoi l’écriture peut 
  être dite dans le réel le ravinement du signifié, soit ce 
  qui a plu du semblant en tant que c’est ça qui fait le signifié. 
  L’écriture ne décalque pas le signifiant. Elle n’y 
  remonte qu’à prendre nom, mais exactement de la même façon 
  que ça arrive à toutes choses que vient à dénommer 
  la batterie signifiante après qu’elle les a dénombrées. 
  Comme bien entendu, je ne suis pas sûr que mon discours s’entende, 
  il va falloir quand même que j’y fasse épingle d’une 
  opposition. L’écriture, la lettre, c’est dans le réel 
  et le signifiant, dans le symbolique. Comme ça, ça pourra faire 
  pour vous ritournelle.
  J’en reviens à un moment plus tard dans l’avion. On va avancer 
  un peu, comme ça; je vous ai dit que c’était au voyage de 
  retour. Alors, là, c’est ça qui est frappant, c’est 
  de les voir apparaître. Il y a d’autres traces qu’on voit 
  se soutenir en isobares, elles; évidemment, des traces qui sont de l’ordre 
  d’un remblai, enfin, en gros, isobares, ça les fait normales à 
  celles dont la pente qu’on peut appeler suprême du relief se marque 
  des courbes.
  Là, où j’étais, c’était très 
  clair, j’avais déjà vu à Osaka comment des autoroutes 
  paraissent descendre du ciel, il n’y a que là qu’elles ont 
  pu se poser comme ça,
  
— 110 —
  les unes au-dessus des autres. Il y a une certaine architecture japonaise, la 
  plus moderne, qui sait très bien retrouver l’ancienne. L’architecture 
  japonaise ça consiste essentiellement en un battement d’une aile 
  d’oiseau. Ça m’a aidé à comprendre de voir 
  tout de suite que le plus court chemin d’un point à un autre, ce 
  ne serait jamais montré à personne, s’il n’y avait 
  pas le nuage qui prend carrément l’aspect d’une route ? Jamais 
  personne au monde ne suit la ligne droite, ni l’homme, ni l’amibe, 
  ni la mouche, ni la branche, ni rien du tout. Aux dernières nouvelles, 
  on sait que le trait de lumière non plus ne la suit pas, tout à 
  fait solidaire de la courbure universelle.
  La droite, là-dedans, ça inscrit tout de même quelque chose. 
  Ça inscrit la distance, mais la distance, [selon les] lois de Newton, 
  ça n’est absolument rien qu’un facteur effectif d’une 
  dynamique que nous appellerons de cascade, celle qui fait que tout ce qui choit 
  suit une parabole.
  Donc, il n’y a de droite que d’écriture, d’arpentage 
  que du ciel.
  Mais ce sont l’un et l’autre, en tant que tels pour soutenir la 
  droite, ce sont artefacts à n’habiter que le langage. Il ne faudrait 
  quand même pas l’oublier. Notre science n’est opérante 
  que d’un ruissellement de petites lettres et de graphiques combinés.
  Sous le pont Mirabeau, comme sous celui d’une revue qui fut la mienne 
  là où j’avais foutu comme enseigne un pont-oreille emprunté 
  à Horus Apollon, sous le pont Mirabeau coule la Seine [scène] 
  primitive, c’est une scène telle, ne l’oubliez pas, à 
  relire Freud que peut y battre le V romain de l’heure cinq. C’est 
  dans l’Homme aux loups. Mais qu’aussi bien on n’en jouit pas, 
  [c’est le malheur de] l’interprétation. -
  Que le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre 
  politique, c’est là le pas qu’elle a franchi, implique d’autre 
  part que tout ce qui s’articule de cet ordre soit passible d’interprétation. 
  C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la 
  politique. Et ceci pourrait n’être pas de tout repos, pour ce qui 
  de la politique a fait figure jusqu’ici, si la psychanalyse s’avérait 
  plus avertie.
  Il suffirait peut-être, pour mettre notre espoir ailleurs, ce que font 
  mes littérateurs, si je peux les faire mes compagnons, il suffirait que 
  de l’écriture, nous tirions un autre parti que de tribune ou tribunal 
  pour que s’y jouent d’autres paroles à nous en faire nous-mêmes, 
  à nous en faire le tribut.
  Je l’ai dit, et je ne l’oublie jamais: il n’y a pas de métalangage. 
  Toute logique est faussée de prendre départ du langage-objet, 
  comme immanquablement elle le fait jusqu’à ce jour. Il n’y 
  a donc pas de métalangage, mais l’écrit qui se fabrique 
  du langage pourrait, peut-être, être matériel de force à 
  ce que s’y
  
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  changent nos propos. Je ne vois pas d’autre espoir pour ceux qui actuellement 
  écrivent.
  Est-il possible en somme du littoral de constituer tel discours qui se caractérise, 
  comme j’en pose la question cette année, de ne pas s’émettre 
  du semblant? C’est évidemment la question qui ne se propose que 
  de la littérature dite d’avant-garde, laquelle elle-même 
  est un fait de littoral et, donc, ne se soutient pas du semblant, mais pour 
  autant ne prouve rien, sinon, à montrer la cassure que seul un discours 
  peut produire. Je dis produire, mettre en avant avec effet de production, c’est 
  le schéma de mes quadripodes de l’année dernière.
  Ce à quoi semble prétendre une littérature en son ambition, 
  c’est ce que j’épingle de lituraterrir, c’est de s’ordonner 
  d’un mouvement qu’elle appelle scientifique. Il est de fait que 
  dans la science, l’écriture a fait merveille, et que tout marque 
  que cette merveille n’est pas près de se tarir. Cependant, la science 
  physique se trouve, va se trouver ramenée à la considération 
  du symptôme dans les faits par la pollution. Il y a déjà 
  des scientifiques qui y sont sensibles par la pollution de ce que du terrestre, 
  on appelle, sans plus de critique, environnement. C’est l’idée 
  de Uxküll: Umwelt, mais béhaviourisée, c’est-à-dire 
  complètement crétinisée.
  Pour litturaterrir moi-même, je fais remarquer que je n’ai fait 
  ici dans le ravinement, image certes, mais aucune métaphore: l’écriture 
  est ce ravinement. Ce que j’ai écrit là y est compris. Quand 
  je parle de jouissance, j’invoque légitimement ce que j’accumule 
  d’auditoire, et pas moins naturellement ce dont je me prive; ça 
  m’occupe, votre affluence. Le ravinement, je l’ai préparé.
  Qu’il y ait inclus dans la langue japonaise, c’est là que 
  je reprends, un effet d’écriture, l’important, c’est 
  ce qui nous y offre ressource de faire exemple à lituratterrir. L’important, 
  c’est que l’effet d’écriture reste attaché à 
  l’écriture. Que ce qui est porteur de l’effet d’écriture 
  y soit une écriture spécialisée en ceci qu’en japonais, 
  cette écriture spécialisée puisse se lire de deux prononciations 
  différentes. En oniomi — je ne suis pas en train de vous jeter 
  de la poudre aux yeux, je vous dirai le moins de japonais [possible] — 
  on-yomi, c’est comme ça que ça s’appelle, et sa prononciation 
  en caractère, ça se prononce comme tel distinctement en kun-yomi, 
  la façon dont se dit en japonais ce que le caractère veut dire.
  Mais naturellement vous allez vous foutre dedans, c’est-à-dire 
  que sous le prétexte que le caractère est lettre, vous allez croire 
  que je suis en train de dire qu’en japonais, les épaves du signifiant 
  courent sur le fleuve du signifié. C’est la lettre et non pas le 
  signe qui ici fait appui au signifiant, mais comme n’importe quoi d’autre 
  à suivre la loi de métaphore dont j’ai rappelé ces 
  derniers temps
  
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  qu’elle fait l’essence du langage, c’est toujours d’ailleurs 
  de là où il est, le langage, du discours, qu’il prend quoi 
  que ce soit au filet du signifiant, donc l’écriture elle-même.
  Seulement voilà, elle est promue de là à la fonction d’un 
  référent, aussi essentiel que toutes choses et c’est ça 
  qui change le statut du sujet. C’est par là qu’il s’appuie 
  sur un ciel constellé et non seulement sur le trait unaire pour son identification 
  fondamentale. Eh bien! justement, il y en a trop, trop d’appuis, c’est 
  la même chose que de ne pas en avoir. C’est pour ça qu’il 
  prend appui, ailleurs, sur le tu. C’est qu’en japonais, on voit 
  toutes les formes grammaticales pour le moindre énoncé; pour dire 
  quelque chose, comme ça, n’importe quoi, il y a des manières 
  plus ou moins polies de le dire, (...) selon la façon dont je l’implique 
  dans le tu. Je l’implique si je suis japonais. Comme je ne suis pas japonais, 
  je ne le fais pas, ça me fatiguerait.
  Quand vous aurez vu, c’est vraiment à la portée de tout 
  le monde d’apprendre le japonais, que la moindre chose y est sujet aux 
  variations dans l’énoncé, qui sont des variations de politesse, 
  vous aurez appris quelque chose. Vous aurez appris qu’en japonais, la 
  vérité renforce la structure de fiction que j’y dénote, 
  justement, d’y ajouter les lois de la politesse.
  Singulièrement, ça semble porter le résultat de ce qu’il 
  n’y ait rien à défendre du refoulé, puisque le refoulé 
  lui-même trouve à se loger de cette référence à 
  la lettre.
  En d’autres termes, le sujet est divisé par le langage, mais un 
  de ses registres peut se satisfaire de la référence à l’écriture 
  et l’autre de l’exercice de la parole.
  C’est sans doute ce qui a donné à mon cher ami Roland Barthes 
  ce sentiment enivré que, de toutes ses bonnes manières, le sujet 
  japonais ne fait enveloppe à rien, du moins est-ce ce qu’il dit 
  d’une façon que je vous recommande, car c’est une oeuvre 
  sensationnelle, L’Empire des signes, intitule-t-il ça. Dans les 
  titres, on fait des termes souvent un usage impropre. On fait ça pour 
  les éditeurs. Ce qui veut dire évidemment que c’est l’empire 
  des semblants. Il suffit de lire le texte pour s’en apercevoir.
  Le Japonais mythique, le petit Japonais du commun, m’a-t-on dit, la trouve 
  mauvaise, du moins c’est ce que j’ai entendu là-bas. Et en 
  effet, quelque excellent qu’est l’écrit de Roland Barthes, 
  j’y opposerai ce que je dis aujourd’hui à savoir que rien 
  n’est plus distinct du vide creusé par l’écriture 
  que le semblant, en ceci d’abord qu’il est le premier de mes godets 
  à être toujours prêt à faire accueil à la jouissance, 
  ou tout au moins, à l’invoquer de son artifice. D’après 
  nos habitudes, rien ne communique moins de soi qu’un tel sujet qui, en 
  fin de
  
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  compte, ne cache rien. Il n’a qu’à vous manipuler, et je 
  vous assure qu’il ne s’en prive pas. C’est pour moi un délice, 
  car j’adore ça. Vous êtes un élément entre 
  autres du cérémonial où le sujet se compose justement de 
  pouvoir se décomposer. Le bunraleu, peut-être certains d’entre 
  vous ont vu ça il y a un certain temps quand ils sont passés à 
  Paris, j’ai été le revoir là-bas, je l’avais 
  déjà vu la première fois, eh bien! le bunraku c’est 
  là son ressort, il fait voir la structure toute ordinaire pour ceux à 
  qui elle donne leurs mœurs elles-mêmes. Vous savez qu’on voit 
  à côté de la marionnette exactement à découvert 
  les gens qui y opèrent, aussi bien comme au bunraku, tout ce qui se dit 
  dans une conversation japonaise pourrait être lu par un récitant. 
  C’est là ce qui a dû soulager Barthes. Le Japon est l’endroit 
  où il est le plus naturel de se soutenir (...) d’une interprète, 
  on est tout à fait heureux, on peut se doubler d’une interprète, 
  ça ne nécessite en aucun cas une interprétation. Vous vous 
  rendez compte, si j’étais soulagé! Le japonais, c’est 
  la traduction perpétuelle des faits de langage.
  Ce que j’aime, c’est que la seule communication que j’y ai 
  eue, hors les Européens bien sûr avec lesquels je sais m’entendre 
  selon notre malentendu habituel, la seule que j’ai eue avec un Japonais 
  c’est aussi la seule qui, là-bas comme ailleurs, puisse être 
  une communication, de n’être pas dialogue, c’est la communication 
  scientifique.
  J’ai été voir un éminent biologiste que je ne nommerai 
  pas, en raison des règles de la politesse japonaise, ça l’a 
  poussé à me montrer ses travaux, naturellement, là où 
  ça se fait, au tableau noir. Le fait que faute d’information, je 
  n’y compris rien, n’empêche nullement ce qu’il a écrit, 
  ses formules, d’être entièrement valables, valables pour 
  les molécules dont mes descendants se feront sujet sans que j’aie 
  jamais eu à savoir comment je leur transmettrai ce qui rendait vraisemblable 
  que moi je les classe parmi les êtres vivants.
  Une ascèse de l’écriture, ça n’ôte rien 
  aux avantages que nous pouvons prendre de la critique littéraire. Ça 
  me semble, pour fermer la boucle sur quelque chose de plus cohérent, 
  en raison de ce que j’ai déjà avancé, ça me 
  semble pouvoir passer qu’à rejoindre ce « c’est écrit 
  » impossible dont s’instaurera peut-être un jour le rapport 
  sexuel.
note 
  : 
  bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou 
  si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance 
  de m'adresser un 
  émail.
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