XVIII- d'un discours qui ne serait pas 
  du semblant
          
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9juin 1971
Je vais m’étendre, aujourd’hui, sur 
  quelque chose que j’ai pris soin d’écrire. Voilà, 
  je ne dis pas ça, simplement comme ça, à la cantonade, 
  ce n’est pas superflu. Je me permettrai, comme ça éventuellement, 
  de ronronner quelque chose à propos de tel terme de l’écrit, 
  mais si vous avez suffisamment entendu ce que j’ai abordé cette 
  année de la fonction de l’écrit, eh bien! je n’aurai 
  pas besoin de justifier plus si ce n’est dans le fait en acte. Ce n’est 
  pas indifférent en effet que ce que je vais dire maintenant soit écrit. 
  Ça n’a pas du tout la même portée si simplement je 
  dis ou si je vous dis que j’ai écrit...
  — On n’entend pas!
  — Un homme — vous m’entendez? — et une femme peuvent 
  s’entendre, je ne dis pas non; ils peuvent comme tels s’entendre 
  crier. Ça serait un badinage si je ne l’avais pas écrit. 
  Ecrit suppose au moins soupçonné de vous, au moins de certains 
  d’entre vous, ce qu’en un temps j’ai dit du cri. Je ne peux 
  pas y revenir. Ceci arrive, qu’ils crient, dans le cas où ils ne 
  réussissent pas à s’entendre autrement, autrement, c’est-à-dire 
  sur une affaire qui est le gage de leur entente. Ces affaires ne manquent pas, 
  y compris à l’occasion, c’est la meilleure, l’entente 
  au lit. Ces affaires ne manquent pas, certes, donc, et c’est en cela qu’elles 
  manquent quelque chose, à savoir que s’entendre comme homme, comme 
  femme, ce qui voudrait dire sexuellement, l’homme et la femme ne s’entendraient-ils 
  ainsi qu’à se taire? Il n’en est même pas question, 
  car l’homme, la femme, n’ont aucun besoin de parler pour être 
  pris dans un discours. Comme tels, comme tels, du même terme que celui 
  que j’ai dit tout à l’heure, comme tels, ils sont des faits 
  de discours. Le sourire ici suffirait, semble-t-il, à avancer qu’ils 
  ne sont pas que ça.
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  Sans doute, qui ne l’accorde? mais qu’ils soient ça aussi, 
  effets de discours, fige le sourire et ce n’est qu’ainsi, figé 
  par cette remarque, qu’il a son sens, le sourire, sur les statues archaïques. 
  L’infatuation, elle, ricane. C’est donc dans un discours que les 
  étant hommes et femmes, naturels si l’on peut dire, ont à 
  se faire valoir comme tels.
  Il n’est discours que de semblant, si ça ne s’avouait pas 
  de soi, j’ai dénoncé la chose, j’en rappelle l’articulation. 
  Le semblant ne s’énonce qu’à partir de la vérité. 
  Sans doute n’évoque-t-on jamais celle-ci, la vérité, 
  dans la science. Ce n’est pas là raison de nous en faire plus de 
  souci. Elle se passe bien de nous. Pour qu’elle se fasse entendre, il 
  lui suffit de dire « Je parle », et on l’en croit parce que 
  c’est vrai, qui parle, parle. Il n’y a d’enjeu, je rappelle 
  ce que j’ai dit du pari en l’illustrant de Pascal, il n’y 
  a d’enjeu que de ce qu’elle dit. Comme vérité elle 
  ne peut dire que le semblant sur la jouissance, et c’est sur la jouissance 
  sexuelle qu’elle gagne à tous les coups.
  Je voulais ici, remettre au tableau à l’usage éventuel de 
  ceux qui ne sont pas venus les dernières fois, les figures algébriques 
  dont j’ai cru pouvoir ponctuer ce dont il s’agit concernant le coinçage 
  auquel on est amené, d’écrire ce qui concerne le rapport 
  sexuel. ?
  -?x. ?x -?x.-?x
Les deux barres mises sur les symboles qui sont à 
  gauche et dont se situe respectivement au regard de ce dont il s’agit 
  tout ce qui est capable de répondre au semblant de la jouissance sexuelle, 
  les deux barres dites de négation sont ici telles que justement elles 
  ne sont pas à écrire puisque de ce qui ne peut pas s’écrire, 
  on ne l’écrit pas, tout simplement. On peut dire qu’elles 
  ne sont pas à écrire, que ce n’est pas de tout x que puisse 
  être posée la fonction 1 de x, et que c’est de ce ce n’est 
  pas de tout que se pose la femme. Il n’existe pas de x tel qu’il 
  satisfasse à la fonction dont se définit la variable d’être 
  la fonction c1 de x, qu’il n’en existe pas, c’est de cela 
  que se formule ce qu’il en est de l’homme, du mâle, j’entends. 
  Mais justement ici la négation n’a que la fonction dite de la Verneinung, 
  c’est-à-dire qu’elle ne se pose qu’à avoir d’abord 
  avancé qu’il existe quelque homme, et que c’est par rapport 
  à toute femme qu’une femme se situe. C’est un rappel. Ça 
  ne fait pas partie de l’écrit que je reprends.
  Que je reprends, ce qui signifie que — je vois que c’est assez répandu, 
  vous faites bien en effet de prendre des notes, c’est le seul intérêt 
  de l’écrit, c’est que
  
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  par après, vous ayez à vous situer par rapport à lui. Bon! 
  eh bien! On fera bien de me suivre dans ma discipline du nom, n.o.m. J’aurai 
  à y revenir, spécialement la prochaine fois qui sera la séance 
  dont nous conclurons cette année. Le propre du nom, c’est d’être 
  nom propre, même pour un tombé entre autre à l’usage 
  de nom commun, ce n’est pas temps perdu que de lui retrouver un emploi 
  propret Et quand un nom est resté assez propre, n’hésitez 
  pas, prenez exemple, et appelez la chose par son nom, la chose freudienne par 
  exemple, comme j’ai fait, vous savez, j’aime à l’imaginer. 
  J’y reviendrai la prochaine fois. Nommer quelque chose, c’est un 
  appel, aussi bien dans ce que j’ai écrit, la chose en question, 
  freudienne, se lève et fait son numéro. Ce n’est pas moi 
  qui le lui dicte. Ça serait même de tout repos. De ce repos dernier 
  au semblant de quoi tant de vies s’astreignent. Si je n’étais 
  pas comme homme, masculin, exposé là sous le vent de la castration. 
  Relisez mon texte. Elle, la vérité, mon imbaisable partenaire, 
  elle est certes dans le même vent. Elle le porte même; être 
  dans le vent, c’est ça.. Mais ce vent ne lui fait ni chaud ni froid. 
  Pour la raison que la jouissance, c’est très peu pour elle. Puisque 
  la vérité, c’est qu’elle la laisse au semblant. Cet 
  semblant a un nom, lui aussi, repris du temps mystérieux de ce que s’y 
  jouassent les mystères, rien de plus, où il nommait le savoir 
  supposé à la fécondité et comme tel offert à 
  l’adoration sous la figure d’un semblant d’organe. Ce semblant 
  dénoncé par la vérité pure est, il faut le reconnaître, 
  assez phalle, assez intéressé dans ce qui pour nous s’amorce 
  par la vertu du coït à savoir la sélection des génotypes, 
  avec la reproduction du phénotype et tout ce qui s’ensuit, assez 
  intéressé donc pour mériter ce nom antique du phallus. 
  Bien qu’il soit clair que l’héritage qu’il couvre maintenant 
  se réduit à l’acéphalie de cette sélection, 
  soit l’impossibilité de subordonner la jouissance dite sexuelle 
  à ce qui sub rosa spécifierait le choix de l’homme et de 
  la femme pris comme porteurs chacun d’un lot précis de génotypes, 
  puisque, au meilleur cas, c’est le phénotype qui guide ce choix. 
  À la vérité, c’est le cas de le dire, un nom propre, 
  car ç’en est encore un, le phallus, n’est tout à fait 
  stable que sur la carte où il désigne un désert. C’est 
  les seules choses qui sur la carte ne changent pas de nom. Il est remarquable 
  que même les déserts produits au nom d’une religion, ce qui 
  n’est pas rare, ne soient jamais désignés du nom qui fut 
  pour eux dévastateur. Un désert ne se rebaptise qu’à 
  être fécondé. Ça n’est pas le cas pour la jouissance 
  sexuelle, que le progrès de la science ne semble pas conquérir 
  au savoir. C’est par contre du barrage qu’elle constitue à 
  l’avènement du rapport sexuel dans le discours que sa place s’y 
  est évidée jusqu’à devenir, dans la psychanalyse, 
  évidente.
  
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  Telle est, au sens que ce mot a dans le pas logique de Frege, die Bedeutung 
  des Phallus. C’est bien pourquoi — j’ai mes malices hein? 
  — c’est en allemand, parce qu’en Allemagne, que j’ai 
  porté le message à quoi répond dans mes Ecrits ce titre, 
  et ce, au nom du centenaire de la naissance de Freud. Il fut beau de toucher 
  en ce pays élu pour qu’y résonne ce message, la sidération 
  qu’il produisit. Vous pouvez pas avoir une idée, maintenant vous 
  vous baladez tous avec un machin comme ça sous le bras. À ce moment-là, 
  ça faisait un effet, die Bedeutung des Phallus. Dire que je m’attendais 
  à ça ne serait rien dire, au moins dans ma langue. Ma force est 
  de savoir ce qu’attendre signifie. Pour la sidération en question, 
  je ne mets pas ici dans le coup les vingt-cinq ans de crétinisation raciale. 
  Ça serait consacrer que les vingt-cinq ans triomphent partout. Plutôt 
  insisterai-je sur ce que die Bedeutung des Phallus est, en réalité, 
  un pléonasme. Il n’y a pas dans le langage d’autre Bedeutung 
  que le Phallus. Le langage, dans sa fonction d’existant, il y a deux virgules, 
  ne connote, en dernière analyse, j’ai dit, connote, hein? que l’impossibilité 
  de symboliser le rapport sexuel chez les êtres qui l’habitent, qui 
  habitent le langage, en raison de ce que c’est de cet habitat qu’ils 
  tiennent la parole. Et qu’on n’oublie pas ce que j’ai dit, 
  puisque la parole, dès lors, n’est pas leur privilège à 
  ces êtres qui l’habitent, qu’ils l’évoquent, 
  la parole, dans tout ce qu’ils dominent par l’effet du discours. 
  Ça commence à ma chienne, par exemple, celle dont j’ai longtemps 
  parlé, et ça va très très loin. Le silence éternel, 
  comme disait l’autre, des espaces infinis, n’aura, comme beaucoup 
  d’autres, d’autres éternités, duré plus qu’un 
  instant. Ça parle vachement dans la zone de la nouvelle astronomie, celle 
  qui s’est ouverte tout de suite après ce menu propos de Pascal. 
  C’est de ce que le langage n’est constitué que d’une 
  seule Bedeutung qu’il tire sa structure, laquelle consiste en ce qu’on 
  ne puisse, de ce qu’on l’habite, en user que pour la métaphore, 
  d’où résultent toutes les insanités mythiques dont 
  vivent ses habitants, pour la métonymie, dont ils prennent le peu de 
  réalité qui leur reste, sous la forme du plus de jouir.
  Or, ceci, ceci que je viens de dire, ne se signe que dans l’histoire, 
  et à partir de l’apparition de l’écriture, laquelle 
  n’est jamais simple inscription, fût-ce dans les apparences de ce 
  qui se promeut de l’audiovisuel. L’écriture n’est depuis 
  ses origines, jusqu’à ses derniers protéismes techniques, 
  que quelque chose qui s’articule comme os dont le langage serait la chair. 
  C’est bien en cela qu’elle démontre que la jouissance, la 
  jouissance sexuelle, n’a pas d’os, ce dont on se doutait par les 
  mœurs de l’organe qui en donne chez le mâle parlant la figure 
  comique. Mais l’écriture, elle, pas le langage, l’écriture 
  donne os à toutes les jouissances qui, de par le discours, s’avèrent 
  s’ouvrir à l’être parlant; leur donnant os, elle souligne
  
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  ce qui y était certes accessible, mais masquée, à savoir 
  que le rapport sexuel fait défaut au champ de la vérité, 
  en ce que le discours qui l’instaure ne procède que du semblant 
  à ne frayer la voie qu’à des jouissances qui parodient — 
  c’est le mot propre — celle qui y est effective mais qui lui demeure 
  étrangère. Tel est l’Autre de la jouissance, à jamais 
  interdit, celui dont le langage ne permet l’habitation qu’à 
  le fournir — pourquoi n’emploierai-je pas cette image? — de 
  scaphandre.
  Peut-être que ça vous dit quelque chose, cette image, hein? Il 
  y en a tout de même quelques-uns d’entre vous qui ne sont pas assez 
  occupés par la fonction de syndicat pour être tout de même 
  émus de nos exploits lunaires. Il y a longtemps que l’homme rêve 
  à la lune. Il y a mis le pied maintenant. Pour bien se rendre compte 
  de ce que ça veut dire, il faut faire comme j’ai fait avant de 
  revenir du Japon. C’est là qu’on se rend compte que rêver 
  à la lune, c’était vraiment une fonction. Un personnage, 
  dont je ne dirai pas le nom, je ne veux pas faire ici d’érudition, 
  qui est encore là, enfermé enfin! exactement lui. On se rend compte 
  de ce que ça veut dire persona, c’est la personne même, c’est 
  son masque qui est là enfermé dans une petite armoire japonaise, 
  on le montre aux visiteurs. On sait que c’est lui, que l’endroit 
  à l’y mettre, se montre, là, ça se trouve dans un 
  endroit qui s’appelle le Pavillon d’Argent, à Kyoto, il rêvait 
  à la lune. Nous aimons à croire qu’il la contemplait assez 
  phalliquement. Nous aimons à le croire, mais enfin, ça nous laisse 
  tout de même dans l’embarras. On ne se rend plus bien compte. Le 
  chemin parcouru, n’est-ce pas, pour l’inscrire, pour se tirer de 
  cet embarras, faut comprendre que c’est l’accomplissement du signifiant 
  de A barré de mon graphe, S (A).
  Tout ça est un badinage. C’est un badinage signal, signal pour 
  moi bien sûr. Il m’avertit que je frôle le structuralisme. 
  Si je suis forcé de le frôler, comme ça, naturellement, 
  c’est pas de ma faute. Je m’en déchargerai, c’est à 
  vous de juger, sur la situation que je subis. Le temps passe et naturellement 
  je vais être forcé d’abréger un peu, de sorte que 
  ça va devenir plus difficile à suivre, mon écrit. Mais 
  cette situation que je subis, je vais l’épingler, l’épingler 
  de quelque chose qui ne va pas vous apparaître tout de suite mais que 
  j’aurai à dire d’ici qu’on se quitte, dans huit jours 
  n’est-ce pas, c’est que je l’épinglerai du refus de 
  la performance. C’est une maladie, une maladie d’époque, 
  sous les fourches de laquelle il faut bien passer, puisque ce refus constitue 
  le culte de la compétence. C’est-à-dire de la certaine idéalité 
  dont je suis réduit avec, d’ailleurs, beaucoup de champs de la 
  science, à m’autoriser devant vous. Le résultat, ça 
  c’est des anecdotes n’est-ce pas; mes Ecrits sont par exemple... 
  on en traduit un en anglais, Fonction et Champ de la parole et du langage, on 
  le traduit par The language of
  
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  the Self Je viens d’apprendre qu’en espagnol, on a aussi quelque 
  chose dans ce genre-là, la traduction d’un certain nombre est intitulée: 
  Aspects structuralistes de Freud, quelque chose comme ça. Bon enfin, 
  laissons! La compétence néglige que c’est dans l’incompétence 
  qu’elle prend assiette, à se proposer sous forme d’idéalité 
  à son culte, c’est comme ça qu’elle va aux concessions, 
  et je vais vous en donner un exemple; la phrase par laquelle j’ai commencé: 
  l’homme et la femme peuvent s’entendre, je ne dis pas non, eh! bien 
  voilà! c’était pour vous dorer la pilule, mais la pilule 
  ça n’arrange rien. La notion forgée du terme de structuralisme 
  tente de prolonger la délégation faite un temps à certains 
  spécialistes, les spécialistes de la vérité, la 
  délégation d’un certain vide qui s’aperçoit 
  dans la raréfaction de la jouissance, c’est cela qu’avait 
  relevé sans faille l’existentialisme, après que la phénoménologie, 
  bien plus faux jeton, eût jeté le gant de ses exercices respiratoires. 
  Elle occupait les lieux laissés déserts par la philosophie parce 
  que c’était pas des lieux appropriés. Actuellement, ils 
  sont tout juste bons au mémorial de sa contribution, qui n’est 
  pas mince, à la philosophie, au discours du maître qu’elle 
  a définitivement stabilisé de l’appui de la science. Marx 
  ou pas, qu’il l’ait balancée sur les pieds ou sur la tête, 
  la philosophie, et il est certain que la philosophie en tous cas, elle, n’était 
  pas assez phalle. Qu’on ne compte pas sur moi pour structuraliser l’affaire 
  de la vie impossible, comme si ce n’était pas de là qu’elle 
  avait chance, la vie, de faire la preuve de son réel. Ma prosopopée 
  esbaudissante du «Je parle » dans l’écrit cité 
  tout à l’heure, La Chose freudienne, pour être mise au compte, 
  rhétorique, d’une vérité en personne ne me fait pas 
  choir là d’où je la tire. Rien n’est dit là 
  que ce que parler veut dire, la division sans remède de la jouissance 
  et du semblant. La vérité, c’est de jouir à faire 
  semblant, et de n’avouer en aucun cas que la réalité de 
  chacune de ces deux moitiés ne prédomine qu’à s’affirmer 
  d’être de l’autre, soit à mentir à jets alternés. 
  Tel est le mi-dit de la vérité. Son astronomie est équatoriale, 
  soit déjà tout à fait périmée quand elle 
  naquit du couple nuit-jour. Une astronomie, ça raisonne (résonne) 
  de se soumettre aux saisons, à s’assaisonner. Ceci est une allusion 
  à l’astronomie chinoise, qui, elle, était équatoriale 
  et qui n’a rien donné.
  La chose dont il s’agit, ce n’est pas sa compétence de linguiste 
  et pour cause, qui à Freud en a tracé les voies. Ce que je rappelle 
  moi, c’est que ces voies, il n’a pu les suivre qu’à 
  y faire preuve, et jusqu’à l’acrobatie, de performances de 
  langage. Et que là, seule la linguistique permet de les situer dans une 
  structure, en tant qu’elle s’attache, elle, à une compétence 
  qu’on appelle la conscience linguistique, qui est tout de même bien 
  remarquable, justement, de ne jamais se dérober à son enquête. 
  Donc, ma formule que l’inconscient est structuré comme
  
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  un langage implique qu’à minima, la condition de l’inconscient, 
  c’est le langage. Mais ça n’ôte rien à la portée 
  de l’énigme qui consiste en ce que l’inconscient en sache 
  plus long qu’il n’en a l’air, puisque c’est de cette 
  surprise qu’on était parti pour le nommer comme on l’a fait. 
  Il en sait des choses. Naturellement, tout de suite, ça tournait court 
  si on le coiffait, le dit inconscient, de tous les instincts, qui sont d’ailleurs 
  toujours là comme éteignoir. Lisez n’importe quoi qui se 
  publie hors de mon école. L’affaire était dans le sac, il 
  s’agissait plus que d’y mettre l’étiquette à 
  l’adresse de la vérité, précisément, laquelle 
  la saute assez de notre temps, si je puis dire, pour ne pas dédaigner 
  le marché noir. J’ai mis des bâtons dans l’ornière 
  de sa clandestinité, à marteler que le savoir en question ne s’analysait 
  que de se formuler comme un langage, soit dans une langue particulière, 
  fût-ce à métisser celle-ci, en quoi d’ailleurs il 
  ne fait rien de plus que ce que lesdites langues se permettent couramment, de 
  leur propre autorité.
  Personne ne m’a relancé sur ce que sait le langage, sait s.a.i.t., 
  à savoir die Bedeutung des Phallus, je l’avais dit mais personne 
  ne s’en était aperçu parce que c’était la vérité. 
  Alors, qu’est-ce qui s’intéresse à la vérité 
  ? Ben, des gens. Des gens dont j’ai dessiné la structure de l’image 
  grossière qu’on trouve dans la topologie à l’usage 
  des familles. Voilà comment ça se dessine, hein? Dans cette topologie 
  à l’usage des familles, c’est comme ça qu’on 
  désigne la bouteille de Klein. Il n’y a pas, j’y reviens, 
  un point de sa surface, qui ne soit partie topologique du rebroussement qui 
  se figure ici du cercle, ici dessiné, du cercle Bouteille de Klein seul 
  propre à donner à cette bouteille le cul dont les autres s’enorgueillissent 
  indûment, les autres bouteilles, parce qu’elles ont un cul, Dieu 
  sait pourquoi!
  Ainsi, n’est-ce pas là où on le croit, mais en sa structure 
  de sujet que l’hystérique — j’en viens à une 
  partie des gens que je désignai à l’instant — conjugue 
  la vérité de sa jouissance au savoir implacable qu’elle 
  a que l’Autre propre à la causer, c’est le phallus, soit 
  un semblant. Qui ne comprendrait la déception de Freud à saisir 
  que le pas-de-guérison à quoi il parvenait avec l’hystérique 
  n’allait à rien de plus qu’à lui faire réclamer 
  ce dit semblant soudain pourvu de vertus réelles, de l’avoir accroché 
  à ce point de rebroussement qui pour n’être pas introuvable 
  sur le corps, c’est évident, est une figuration topologiquement 
  tout
  
— 138 —
  
  à fait incorrecte de la jouissance chez une femme. Mais Freud le savait-il? 
  On peut se le demander. Dans la solution impossible de son problème, 
  c’est à en mesurer la cause au plus juste, soit à en faire 
  une juste cause que l’hystérique s’accorde sur ce qu’elle 
  feint être détenteur de ce semblant, au moins un, que j’écris, 
  ai-je besoin de le récrire l’hommoinzin, conforme à l’os 
  qu’il faut à sa jouissance pour qu’elle puisse le ronger. 
  Ses approches de l’hommoinzin, il y a trois façons de l’écrire; 
  il y a la façon orthographique commune, hein? puisque après tout 
  il faut bien que je vous explique, 1, et puis il y a ça, il y a cette 
  valeur expressive que je sais donner toujours au jeu scripturaire, 2, puis à 
  l’occasion vous pouvez quand même le rapprocher et l’écrire 
  a (u moins un) comme ça, 3, pour ne pas oublier qu’à l’occasion 
  il peut fonctionner comme objet a.
  au moins un
  hommoinzin
  a (u moinzin)
Ses approches de l’au moins un, ne pouvant se faire 
  qu’à avouer au dit point de mire qui le prend, au gré de 
  ses penchants, la castration délibérée qu’elle lui 
  réserve, ses chances sont limitées. Il faudrait pas croire que 
  son succès passe par quelqu’un de ces hommes, homme masculin, que 
  le semblant embarrasse plutôt, ou qui le préfèrent plus 
  franc. Ceux que je désigne ainsi, ce sont les sages, les masochistes. 
  Ça situe les sages. Il faut les ramener à leur juste place. Juger 
  ainsi du résultat est méconnaître ce qu’on peut attendre 
  de l’hystérique pour peu qu’elle veuille bien s’inscrire 
  dans un discours, car c’est à mater le maître qu’elle 
  est destinée, pour que grâce à elle, il se rejette dans 
  le savoir.
  Voilà! Je n’apporte ici rien de plus n’est-ce pas? C’est 
  l’intérêt de cet écrit, c’est qu’il engendre 
  des tas de choses, mais il faut bien savoir où sont les points à 
  retenir. Rien d’autre que de marquer que le danger est le même dans 
  ce carrefour que celui que je viens d’épingler d’en être 
  averti que c’est de là que j’étais parti tout à 
  l’heure, j’en reviens au même point, hein ? Je tourne en rond.
  Aimer la vérité, même celle que l’hystérique 
  incarne si on peut dire, soit lui donner ce qu’on n’a pas sous prétexte 
  qu’elle le désigne, c’est très spécifiquement 
  se vouer à un théâtre dont il est clair qu’il ne peut 
  plus être qu’une fête de charité. Je parle pas seulement 
  de l’hystérique. Je parle de ce quelque chose qui s’exprime 
  dans, vous dirais-je comme Freud, le malaise dans le théâtre. Pour 
  qu’il tienne encore debout, il faut... il faut Brecht, n’est-ce 
  pas, qui a compris que ça pouvait pas tenir sans une certaine distance, 
  un certain refroidissement. Cet il est clair que je viens de dire qui ne peut 
  plus être, etc., est à proprement parler justement, un effet d’Aufklärung, 
  à peine croyable en somme n’est-ce pas, lié à l’entrée 
  en scène si boiteuse qu’elle se soit faite, du discours de l’analyste.
  
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  Ça a suffit à ce que l’hystérique, l’hystérique 
  qualifiée, je suis en train, vous le sentez bien, d’approcher la 
  fonction pour vous, ça a suffit à ce que l’hystérique 
  renonce à la clinique luxuriante dont elle meublait la béance 
  du rapport sexuel. C’est à prendre, c’est à prendre 
  comme le signe, c’est peut-être à prendre comme le signe 
  fait à quelqu’un, je parle de l’hystérique hein?, 
  qu’elle va faire mieux que cette clinique. La seule chose importante ici 
  est ce qui passe inaperçu, à savoir que je parle de l’hystérique 
  comme de quelque chose qui supporte la quantification. Quelque chose s’inscrirait 
  à m’entendre d’un A renversé de x, c’est pour 
  ça que je l’ai écrit au tableau, toujours apte en son inconnue, 
  à fonctionner dans F de x, comme variable. C’est bien en effet 
  ce que j’écris et dont il serait facile à relire Aristote 
  de déceler quel rapport à la femme, précisément 
  identifiée par lui à l’hystérique — ce qui 
  met plutôt les femmes de son époque en très bon rang, à 
  tout le moins elles étaient pour les hommes stimulantes de déceler 
  quel rapport à la femme identifiée à l’hystérique 
  lui a permis, c’est un saut, lui a permis d’instaurer sa logique 
  en forme, en forme de ???, le choix de ???, ????, ???, le choix de ce vocable 
  plutôt que celui d’???????; pour désigner la proposition 
  universelle affirmative, comme négative d’ailleurs, enfin toute 
  cette pantalonnade de la première grande logique formelle, est tout à 
  fait essentiellement liée à l’idée qu’Aristote 
  se faisait de la femme. Il n’empêche pas que, justement, que la 
  seule formule universelle qu’il ne se serait pas permis de prononcer, 
  ça serait toutes les femmes. Il n’y en a pas trace. Ouvrez les 
  Premiers Analytiques. Pas plus que lui, alors que ses successeurs s’y 
  sont rués la tête la première, ne se serait permis d’écrire 
  cette incroyable énormité, dont vit la logique formelle depuis, 
  tous les hommes sont mortels. Ce qui préjuge tout à fait du sort 
  à venir de l’humanité. Tous les hommes sont mortels, ça 
  veut dire que tous les hommes, puisqu’il s’agit là de quelque 
  chose qui s’énonce en extension, tous les hommes en tant que tous, 
  sont destinés à la mort, c’est-à-dire le genre humain 
  à s’éteindre, ce qui est pour le moins hardi. Que ? x impose 
  le passage à un être, à un toute femme qu’un être 
  aussi sensible qu’Aristote n’ait bien, de fait, jamais commis ce 
  toute femme, c’est justement ce qui permet d’avancer que le toute 
  femme est l’énonciation dont se décide l’hystérique 
  comme sujet, et que c’est pour cela qu’une femme est solidaire d’un 
  papludun qui proprement la loge dans cette logique du successeur que Peano nous 
  a donnée comme modèle. L’hystérique n’est pas 
  une femme.
  Il s’agit de savoir si la psychanalyse telle que je la définis 
  donne accès à une femme ou si, qu’une femme advienne, c’est 
  affaire de doxa, c’est-à-dire si c’est comme la vertu l’était 
  au dire de gens qui dialoguèrent dans le Menon — vous vous rappelez 
  le Ménon, mais non, ménon ? — comme cette vertu l’était, 
  et c’est
  
— 140 —
  ce qui fait le prix, le sens de ce dialogue, cette vertu était ce qui 
  ne s’enseigne pas. Ç a se traduit, ce qui ne peut, d’elle, 
  d’une femme, telle que j’en définis là le pas, être 
  su dans l’inconscient, soit de façon articulée; car enfin 
  — là j’arrête —quelqu’un qui justement 
  en remet sur le théâtre, comme si c’était là 
  question digne d’absorber une grande activité, c’est un livre 
  très bien fait, une grande activité de l’analyste, comme 
  si c’était là vraiment ce dans quoi un analyste devrait 
  se spécialiser~ quelqu’un me fait mérite dans une note, 
  d’avoir introduit la distinction entre vérité et savoir. 
  Enorme! Enorme! Je viens de vous parler du Ménon n’est-ce pas? 
  Naturellement il l’a pas lu, il lit que du théâtre. Enfin 
  le Ménon, c’est avec ça que j’ai commencé de 
  franchir les premières phases de la crise qui m’a opposé 
  à un certain appareil analytique. La distinction entre la vérité 
  et le savoir, l’opposition entre l’épistémè 
  et la doxa vraie, celle qui peut fonder la vertu, vous la trouvez écrite, 
  toute crue, dans le Ménon. Ce que j’ai mis en valeur, c’est 
  justement le contraire, c’est leur jonction, à savoir que là, 
  là où ça se noue, en apparence, dans un cercle [particulier], 
  le savoir dont il s’agit dans l’inconscient, c’est celui qui 
  glisse, qui se prolonge, qui, à tout instant, s’avère savoir 
  de la vérité.
  Et c’est là que je pose à l’instant la question, est-ce 
  que ce savoir effectivement nous permet de progresser sur le Ménon, à 
  savoir si cette vérité en tant qu’elle s’incarne dans 
  l’hystérique est susceptible effectivement d’un glissement 
  assez souple pour qu’elle soit l’introduction à une femme. 
  Je sais bien, la question s’est élevée d’un degré 
  depuis que j’ai démontré qu’il y a du langagièrement 
  articulé qui n’est pas pour cela articulable en paroles, et que 
  c’est là simplement ce dont se pose le désir. C’est 
  facile pourtant de trancher, c’est justement de ce qu’il s’agisse 
  du désir, en tant qu’il met l’accent sur l’invariance 
  de l’inconnue, de l’inconnue qui est à gauche, celle qui 
  ne se produit que sous le chef d’une Verneinung, c’est justement 
  de ce qu’il met l’accent sur l’invariance de l’inconnue, 
  que l’évidement du désir par l’analyse ne saurait 
  l’inscrire dans aucune fonction de variable. C’est là la 
  butée, dont se sépare comme telle désir de l’hystérique, 
  de ce qui pourtant se produit, et qui permet à d’innombrables femmes 
  de fonctionner comme telles, c’est-à-dire en faisant fonction du 
  papludun de leur être pour toutes leurs variations situationnelles.
  L’hystérique, là, joue le rôle de schéma fonctionnel, 
  si vous savez ce que c’est. C’est la portée de ma formule 
  du désir dit insatisfait. Il s’en déduit que l’hystérique 
  se situe d’introduire le papludun dont s’institue chacune des femmes 
  par la voie du ce n ‘est pas de toute femme que se peut dire qu’elle 
  soit fonction du phallus. Que ce soit de toute femme, c’est là 
  ce qui fait son désir et
  
— 141 —
  c’est pourquoi ce désir se soutient d’être insatisfait, 
  c’est qu’une femme en résulte, mais qui ne saurait être 
  l’hystérique en personne. C’est bien en quoi elle incarne 
  ma vérité de tout à l’heure, celle qu’après 
  l’avoir fait parler j’ai rendue à sa fonction structuraliste.
  Le discours analytique s’instaure de cette restitution de sa vérité 
  à l’hystérique. Il a suffi à dissiper le théâtre 
  dans l’hystérie. C’est en ça que je dis qu’il 
  n’est pas sans rapport avec quelque chose qui change la face des choses 
  à notre époque. J’avais insisté sur le fait que quand 
  j’ai commencé à énoncer des choses qui portaient 
  tout ça en puissance, j’ai eu immédiatement comme écho 
  le splash d’un article sur Le théâtre chez l’hystérique. 
  La psychanalyse d’aujourd’hui n’a de recours que l’hystérique 
  pas à la page. Quand l’hystérique prouve que la page tournée 
  elle continue à écrire au verso et même sur la suivante, 
  on comprend pas; elle est logicienne. Ceci pose la question de la référence 
  faite au théâtre par la théorie freudienne, l’Œdipe 
  pas moins. Il est temps d’attaquer ce que du théâtre il a 
  paru nécessaire de maintenir pour le soutien de l’Autre scène, 
  celle dont je parle, dont j’ai parlé le premier. Après tout, 
  le sommeil suffit peut-être, et qu’il abrite à l’occasion, 
  ce sommeil, la gésine des fonctions fuchsiennes, comme vous savez que 
  c’est arrivé, peut justifier que fasse désir qu’il 
  se prolonge. Il peut se faire que les représentants signifiants du sujet 
  se passent toujours plus aisément d’être empruntés 
  à la représentation imaginaire. On en a des signes à notre 
  époque. Il est certain que la jouissance dont on a à se faire 
  châtrer n’a avec la représentation que des rapports d’appareil. 
  C’est bien en quoi l’Œdipe sophocléen, qui n’a 
  ce privilège pour nous que de ce que les autres Œdipes soient incomplets, 
  et le plus souvent perdus, est encore beaucoup trop riche et trop diffus pour 
  nos besoins d’articulation. La généalogie du désir 
  en tant que ce dont il est question, c’est de comment il se cause, relève 
  d’une combinatoire plus complexe que celle du mythe.
  C’est pourquoi nous n’avons pas à rêver sur ce à 
  quoi a servi le mythe dans le temps, comme on dit. C’est du métalangage 
  que de s’engager dans cette voie, et à cet égard, les Mythologies 
  de Lévi-Strauss sont d’un apport décisif. Elles manifestent 
  que la combinaison de formes dénommables du mythème, dont beaucoup 
  sont éteintes, s’opère selon des lois de transformation 
  précises mais d’une logique fort courte, ou tout au moins dont 
  il faut dire, c’est le moins qu’on puisse dire, que notre mathématique 
  l’enrichit, cette combinatoire. Peut-être conviendrait-il de remettre 
  en question si le discours psychanalytique n’a pas mieux à faire 
  que de se vouer à interpréter ces mythes sur un mode qui ne dépasse 
  pas Je commentaire courant, au reste parfaitement superflu, puisque ce
  
— 142 —
  qui intéresse l’ethnologue c’est la cueillette du mythe, 
  sa collation épinglée et sa recollation avec d’autres fonctions, 
  de rite, de production, recensées de même dans une écriture 
  dont les isomorphismes articulés lui suffisent. Pas de trace de supposition, 
  allais-je dire, sur la jouissance qui y est cernée. C’est tout 
  à fait vrai, même à tenir compte des efforts faits pour 
  nous suggérer l’opérance éventuelle d’obscurs 
  savoirs qui y seraient gisants. La note donnée par Lévi-Strauss 
  dans les Structures de l’action de parade exercée par ces structures 
  à l’endroit de l’amour ici tranche heureusement. Ça 
  n’empêche pas que ça a passé bien au-dessus des têtes 
  des analystes qui étaient en faveur à l’époque.
  En somme l’Œdipe a l’avantage de montrer en quoi l’homme 
  peut répondre à l’exigence du papludun qui est dans l’être 
  d’une femme. Il n’en aimerait lui-même papludune. Malheureusement 
  c’est pas la même; c’est toujours le même rendez-vous, 
  quand les masques tombent, ce n’était ni lui ni elle. Pourtant 
  cette fable ne se supporte que de ce que l’homme ne soit jamais qu’un 
  petit garçon. Et que l’hystérique n’en puisse démordre 
  est de nature à jeter un doute sur la fonction de dernier mot de sa vérité.
  Un pas dans le sérieux pourrait, me semble-t-il, ici se faire à 
  embrayer sur l’homme, dont on remarquera que je lui ai fait jusqu’à 
  ce point de mon exposé la part modeste. Encore que ç’en 
  soit un, votre serviteur, qui fasse ici partie de ce beau monde. Il me semble 
  impossible, ce n’est pas vain que je bute dès l’entrée 
  sur ce mot, de ne pas saisir la schize qui sépare le mythe d’Œdipe 
  de Totem et Tabou. J’abats tout de suite mes cartes, c’est que le 
  premier est dicté à Freud par l’insatisfaction de l’hystérique, 
  le second par ses propres impasses. Du petit garçon, ni de la mère, 
  ni du tragique du passage du père au fils — passage de quoi? sinon 
  du phallus — de cela qui fait l’étoffe du premier mythe, 
  pas trace dans le second. Là, Totem et Tabou, le père jouit, terme 
  qui est voilé dans le premier mythe par la puissance. Le père 
  jouit de toutes les femmes jusqu’à ce que ses fils l’abattent, 
  en ne s’y étant pas mis sans une entente préalable, après 
  quoi aucun ne lui succède en sa gloutonnerie de jouissance. Le terme 
  s’impose de ce qui arrive en retour, de ce que les fils le dévorent, 
  chacun nécessairement n’en ayant qu’une part et de ce fait 
  même le tout faisant une communion. C’est à partir de là 
  que se produit le contrat social, nul ne touchera, non pas à la mère 
  ici, il est bien précisé, dans le Moïse et le Monothéisme, 
  de la plume de Freud lui-même, que seuls parmi les fils, les plus jeunes 
  font encore liste dans le harem; ça n’est donc plus les mères, 
  mais les femmes du père, comme telles qui sont concernées par 
  l’interdit. La mère n’entre en jeu que pour justement, ses 
  bébés, qui sont de la graine de héros. Mais si c’est 
  ainsi que se fait, à entendre Freud, l’origine de la
  
— 143 —
  loi, ce n’est pas de la loi dite de l’inceste maternel, pourtant 
  donnée comme inaugurale en psychanalyse. Alors qu’en fait, c’est 
  une remarque, mise à part une certaine loi de Manou qui l’a puni 
  d’une castration réelle, tu t’en iras vers l’ouest 
  avec tes couilles dans la main, etc., cette loi de l’inceste maternel 
  est plutôt élidée partout. Je ne conteste pas du tout ici 
  le bien fondé prophylactique de l’interdit analytique, je souligne 
  qu’au niveau où Freud articule quelque chose de lui, Totem et Tabou, 
  et Dieu sait s’il y tenait, il ne justifie pas mythiquement cet interdit; 
  l’étrange commence au fait que Freud, ni d’ailleurs personne 
  d’autre non plus, ne semble s’en être aperçu.
  Je continue dans ma foulée n’est-ce pas ? La jouissance par Freud 
  est promue au rang d’un absolu qui ramène aux soins de l’homme, 
  je parle de Totem et Tabou, de l’homme originel, et c’est avoué 
  tout ça, du Père de la horde primitive, il est simple d’y 
  reconnaître le phallus, la totalité de ce qui fémininement 
  peut être sujet à la jouissance. Cette jouissance, je viens de 
  le remarquer, reste voilée dans le couple royal de l’Œdipe, 
  mais ce n’est pas que du premier mythe elle soit absente. Le couple royal 
  n’est même mis en question qu’à partir de ceci qui 
  est énoncé dans le drame, qu’il est le garant de la jouissance 
  du peuple, ce qui colle, au reste, avec ce que nous savons de toutes les royautés, 
  tant archaïques que modernes. Et la castration d’Œdipe n’a 
  pas d’autre fin que de mettre fin à la peste thébaine, c’est-à-dire 
  de rendre au peuple la jouissance dont d’autres vont être les garants, 
  ce qui bien sûr vu d’où l’on part n’ira pas sans 
  quelques péripéties amères pour tous.
  Dois-je souligner que la fonction clé du mythe s’oppose dans les 
  deux strictement? Loi d’abord dans le premier, tellement primordiale qu’elle 
  exerce ses rétorsions même quand les coupables n’y ont contrevenu 
  qu’innocemment, et c’est de la loi qu’est sortie la profusion 
  de la jouissance. Dans le second, jouissance à l’origine, loi ensuite, 
  dont on me fera grâce d’avoir à souligner les corrélats 
  de perversion, puisqu’en fin de compte, avec la promotion sur laquelle 
  on insiste assez du cannibalisme sacré, c’est bien toutes les femmes 
  qui sont interdites, de principe, à la communauté des mâles, 
  qui s’est transcendée comme telle dans cette communion. C’est 
  bien le sens de cette autre loi primordiale, sans quoi, qu’est-ce qui 
  la fonde? Etéocle et Polynice sont là, je pense, pour montrer 
  qu’il y a d’autres ressources. Il est vrai que, eux, procèdent 
  de la généalogie du désir. Faut-il que le meurtre du Père 
  ait constitué — pour qui ? pour Freud, pour ses lecteurs ? — 
  une fascination suprême, pour que personne n’ait même songé 
  à souligner que dans le premier mythe, il se passe, ce meurtre, à 
  l’insu du meurtrier, qui non seulement ne reconnaît pas qu’il 
  frappe le père, mais qui ne peut
  
— 144 —
  pas le reconnaître puisqu’il en a un autre, lequel, de toute antiquité 
  est son père, puisqu’il l’a adopté. C’est même 
  expressément pour ne pas courir le risque de frapper ledit père 
  qu’il s’est exilé. Ce dont le mythe est suggestif, c’est 
  de manifester la place que le père géniteur a, en une époque, 
  dont Freud souligne que tout comme dans la nôtre, ce père y est 
  problématique.
  Puisque aussi bien le serait-il, OEdipe, absous, s’il n’était 
  pas de sang royal, c’est-à-dire si OEdipe n’avait pas à 
  fonctionner comme le phallus, le phallus de son peuple, et pas de sa mère. 
  Et qu’un temps, c’est ça le plus étonnant, c’est 
  que ça a marché, à savoir que les Thébains étaient 
  tellement impliqués que c’est de Jocaste qu’a dû venir 
  le virage. Est-ce de ce qu’elle ait su ou de ce qu’elle ait ignoré? 
  Quoi de commun en tout cas avec le meurtre du second mythe qu’on laisse 
  entendre être de révolte, de besoin, à vrai dire impensable, 
  voire impensé, sinon comme procédant d’une conjuration.
  Il est évident que je n’ai fait là qu’approcher le 
  terrain sur lequel, enfin, disons, une conjuration aussi m’a empêché 
  de me délivrer de mon problème, c’est-à-dire au niveau 
  du Moïse et le Monothéisme, à savoir du point sur lequel 
  tout ce que Freud a articulé devient vraiment significatif. Je ne peux 
  même pas en indiquer ce qu’il faut pour vous ramener à Freud, 
  mais je peux dire qu’en nous révélant ici sa contribution 
  au discours analytique, il ne procède pas moins de la névrose 
  que ce qu’il a recueilli de l’hystérique sous la forme de 
  l’Œdipe. Il est curieux qu’il ait fallu que j’attende 
  ce temps pour qu’une pareille assertion, à savoir que le Totem 
  et Tabou est un produit névrotique, pour que je puisse l’avancer, 
  ce qui est tout à fait incontestable, sans que pour ça je mette 
  en rien en cause la vérité de la construction. C’est même 
  en ça qu’elle est témoignage de la vérité. 
  On ne psychanalyse pas une oeuvre, et encore moins celle de Freud qu’une 
  autre n’est-ce pas? On la critique, et bien loin qu’une névrose 
  rende suspecte sa solidité, c’est cela même qui la soude 
  dans ce cas. C’est au témoignage que l’obsessionnel apporte 
  de sa structure, à ce qui du rapport sexuel s’avère comme 
  impossible à formuler dans le discours, que nous devons le mythe de Freud.
  Je m’arrêterai là pour aujourd’hui. La prochaine fois 
  je donnerai à ça exactement sa portée, car je ne voudrais 
  pas qu’il y ait de malentendu, le fait d’articuler d’une certaine 
  façon ce qui est la contribution de Freud au mythe fondamental de la 
  psychanalyse, je le souligne, n’est pas du tout, parce qu’ainsi 
  en est soulignée l’origine, rendu suspect. Bien au contraire, il 
  s’agit seulement de savoir où cela peut nous conduire.
  
  145
note 
  : 
  bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou 
  si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance 
  de m'adresser un 
  émail.
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