J.LACAN                             gaogoa

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XVIII- d'un discours qui ne serait pas du semblant
       
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16 juin 1971

Je vais essayer aujourd’hui de fixer le sens de cette route par laquelle je vous ai mené cette année sous le titre D’un discours qui ne serait pas du semblant. Cette hypothèse, car c’est au conditionnel que ce titre vous est présenté, cette hypothèse est celle dont se justifie tout discours. N’omettez pas que l’année dernière j’ai essayé d’articuler en quatre discours typiques, ces discours qui sont ceux auxquels vous avez affaire, dans un certain ordre instaurés, qui bien sûr ne se justifie lui-même que de l’histoire. Si je les ai brisés en quatre, c’est ce que je crois avoir justifié du développement que je leur ai donné et de la forme que dans un écrit dit Radiophonie paradoxalement, pas tellement que ça si vous avez entendu ce que j’ai dit la dernière fois, un certain ordre donc dont cet écrit vous rappelle les termes et du glissement, du glissement toujours syncopé, du glissement de quatre termes dont il y a toujours deux qui font béance. Ces discours que j’ai désignés nommément du discours du maître, du discours universitaire, du discours que j’ai privilégié du terme de l’hystérique et du discours de l’analyste, que je les ai employés, ces discours ont la propriété de toujours avoir leur point d’ordonnance, qui est aussi celui d’ailleurs dont je les épingle, d’être à partir du semblant. Qu’est-ce que le discours analytique a de privilégié d’être celui qui nous permet, en somme, les articulant ainsi, de les répartir aussi en quatre dispositions fondamentales. C’est paradoxal, c’est singulier que, une pareille énonciation se présente comme au terme de ce que celui qui se trouve être à l’origine du discours analytique, à savoir Freud, a permis. Il ne l’a pas permis à partir de rien. Il l’a permis à partir de ce qui se présente; je l’ai bien des fois articulé comme étant le principe de ce discours du maître, à savoir ce qui se

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privilégie d’un certain savoir qui éclaire l’articulation au savoir de la vérité. Il est à proprement parler prodigieux que ceux-là mêmes qui, pris dans certaines perspectives, celles que nous pourrions définir de se poser comme au regard de la société, ceux donc qui, dans cette perspective se présentent comme des infirmes, soyons plus aimables, comme des boiteux, et l’on sait que beauté boite, à savoir les névrosés, et nommément les hystériques et les obsessionnels, ce soit d’eux que partit, que soit parti ce trait de lumière foudroyant qui traverse de long en large la demansion que conditionne le langage. La fonction qu’est la vérité, voire, à l’occasion voire, chacun sait la place que cela tient dans l’énonciation de Freud, voire cette cristallisation qu’est ce que nous connaissons sous sa forme moderne, ce que nous connaissons de la religion, et nommément la tradition judéo-chrétienne sur laquelle porte tout ce qu’a énoncé Freud à propos des religions.
Ceci est cohérent, je le rappelle, avec cette opération de subversion, de ce qui jusqu’alors s’était soutenu à travers toute une tradition sous le titre de la connaissance, et cette opération s’origine de la notion de symptôme. Il est important historiquement de s’apercevoir que ce n’est pas là que réside la nouveauté de l’introduction à la psychanalyse réalisée par Freud. La notion de symptôme, comme je l’ai plusieurs fois indiqué, et comme il est très facile de le repérer, à la lecture de celui qui en est responsable, à savoir de ~ Ce qu’il y a dans la théorie de la connaissance de fondamentale duperie, cette dimension du semblant qu’introduit la duperie dénoncée comme telle par la subversion marxiste, le fait que ce qui est dénoncé, c’est justement toujours dans une certaine tradition parvenue à son acmé avec le discours hégélien, que quelque semblant est instauré en fonction de poids et mesure si je puis dire, à tenir pour argent comptant, et ce n’est pas pour rien que j’emploie ces métaphores, puisque c’est autour de l’argent, autour du capital comme tel que joue le pivot de cette dénonciation qui fait résider dans le fétiche ce quelque chose, un retour de la pensée, à remettre à sa place, et très précisément en tant que semblant.
Le singulier de cette remarque est tout de même fait aussi pour nous faire apercevoir qu’il ne suffit pas que quelque chose s’énonce dans cette dénonciation qui se pose comme vérité, au nom de laquelle émerge, se promeut, la plus-value en étant le ressort, de ce qui réduisait à son semblant, ce qui jusque-là se soutenait d’un certain nombre de méconnaissances délibérées; il ne suffit pas, remarquai-je, et l’histoire le démontre, que cette irruption de la vérité se produise pour que pour autant soit abattu ce qui se soutient de ce discours. Ce discours que nous pourrions appeler dans l’occasion du capitaliste, en tant qu’il est détermination du discours du maître, y trouve bien en fait, et bien plutôt son

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complément. Il apparaît que, loin que le discours capitaliste se porte plus mal de cette reconnaissance comme telle de la fonction de la plus-value, il n’en subsiste pas moins puisque aussi bien un capitalisme repris dans un discours du maître est bien ce qui semble distinguer les suites politiques qui ont résulté sous forme d’une révolution politique, qui ont résulté de la dénonciation marxiste de ce qu’il en est d’un certain discours du semblant.
C’est bien en quoi je ne m’appesantirai pas ici sur ce qu’il en est de la mission historique par là dévouée, dans le marxisme, ou tout au moins dans ses manifestes, dévouée aux prolétaires. Il y a là, je dirais, un reste d’entification humaniste qui, en quelque sorte, prolifère sur celui qui assure ce qui, dans le capitalisme se trouve le plus dépouillé, n’en montre pas moins que quelque chose subsiste, qui le fait subsister effectivement dans cet état de dépouillement, et que le fait qu’il soit le support, le support de ce qui se produit sous l’espèce de la plus-value, n’est pas pour autant quelque chose qui d’aucune façon nous libère de l’articulation de ce discours.
C’est bien en quoi cette dénonciation nous reporte à une interrogation sur ce quelque chose qui pourrait être plus Originel, et qui se trouverait dans l’origine même de tout discours en tant qu’il est discours du semblant. C’est bien en quoi aussi ce que j’ai articulé sous le terme du plus-de-jouir vous reporte à ce qui est interrogé dans le discours freudien comme mettant en cause le rapport de quelque chose qui s’articule à proprement parler et à nouveau comme vérité, en opposition à un semblant, et cette vérité est cette opposition, et cette dialectique de la vérité et du semblant se trouve, si ce que Freud a dit a un sens, se situe au niveau de ce que j’ai désigné du terme de rapport sexuel.
J’ai en somme osé articuler, inciter à ce qu’on s’aperçoive que si cette révélation qui nous est fournie par le savoir du névrosé concernant quelque chose, n’est rien d’autre que ceci qui s’articule d’il n‘y a pas de rapport sexuel, qu’est-ce que cela veut dire ? Non pas certes que le langage, puisque déjà, déjà, je le dis, il n’y a pas de rapport sexuel, c’est quelque chose qui peut se dire puisque maintenant, c’est dit, mais bien sûr il ne suffit pas de le dire, il faut encore le motiver, et les motifs nous les prenons dans notre expérience prise du fil suivi de ce qui s’accroche à cette béance fondamentale et ce fil suivi se noue, là est son départ central, enroulé autour de ce vide, dans ce que je nomme le discours du névrosé.
La dernière fois, j’ai assez fait sentir, assez souligné, tenté d’amorcer d’un écrit comment peut se situer ce qu’il en est du point de départ de ce fil. J’ai l’intention aujourd’hui, non pas bien sûr, la chose est au-delà, à la limite de tout ce qui peut se dire dans cet espace limité d’un séminaire, non pas de ce que le névrosé indique

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de son rapport à cette distance, mais de ce que les mythes, les mythes dont s’est formé, si je puis dire, non pas toujours sous la dictée, mais en écho au discours du névrosé, le mythe que Freud a forgé. Pour pouvoir le faire dans un terme si court, il faut partir de ce point central, qui est aussi point d’énigme, du discours psychanalytique, du discours psychanalytique en tant qu’il n’est ici qu’à l’écoute de ce discours dernier, de celui qui ne serait pas le discours du semblant. Il est à l’écoute d’un discours qui ne serait pas et qui aussi bien n’est pas. Je veux dire que ce qui s’indique n’est que la limite imposée au discours, quand il s’agit du rapport sexuel. J’ai essayé, quant à moi, au point où j’en suis, où j’avance de tout ce qui pourrait s’en formuler plus avant, de vous dire que c’est de son échec au niveau d’une logique, d’une logique qui se soutienne de ce dont toute logique se soutient, à savoir de l’écriture. La lettre de l’œuvre de Freud est une oeuvre écrite. Mais aussi bien aussi que ce qu’elle dessine de ces écrits, c’est quelque chose qui entoure une vérité voilée, obscure, celle qui s’énonce de ceci que, un rapport sexuel, et tel qu’il passe dans un quelconque accomplissement, ne se soutient, ne s’assied, que de cette composition entre la jouissance et le semblant, qui s’appelle la castration. Que nous la voyons ressurgir à tout instant dans le discours du névrosé, mais sous la forme d’une crainte, d’un évitement, c’est justement en cela que la castration reste énigmatique, qu’aucune en somme de ses réalisations n’est aussi mouvante, chatoyante, ou aussi bien l’exploration de la psychopathologie des phénomènes analysables, tout au moins de cette psychopathologie, que les excursions dans l’ethnologie le permettent, il n’en reste pas moins que quelque chose dont se distingue tout ce qui est évoqué comme castration, nous le voyons, sous quelle forme ? sous la forme toujours d’un évitement. Si le névrosé, si je puis dire, témoigne de l’intrusion nécessaire de ce que j’ai appelé à l’instant cette composition de la jouissance et du semblant qui se présente comme la castration, c’est justement en ce qu’il s’y montre de quelque façon inapte, et si tout ce qu’il en est des rituels d’initiation qui, comme vous le savez, ou si vous ne le savez pas, reportez-vous aux ouvrages techniques, et pour en prendre deux qui sont produits de l’intérieur du champ analytique même, je vous désigne respectivement les Problèmes of Bisexuality as reflected in circuncision c’est-à-dire Problèmes de la bisexualité en tant que réfléchis dans la circoncision, d’Hermann Nunberg, paru à Englewoods, c’est-à-dire en fin de compte à l’Imago Publishing de Londres, et d’autre part, l’ouvrage intitulé Symbolic Wounds, Blessures symboliques, de Bruno Bettelheim. Vous y verrez déployée dans toute son ambiguïté, dans son flottement fondamental, l’hésitation, en quelque sorte, de la pensée analytique entre une ordonnance explicative qui fait d’une crainte de la castration laissée tout

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à fait opaque et en quelque sorte au petit bonheur, ou malheur, comme vous voudrez, des accidents par lesquels se présente quelque chose qui dans ce registre ne serait que l’effet d’on ne sait quel malentendu. Sur ce taillis de préjugés, de maladresses, de quelque chose de rectifiable, ou au contraire d’une pensée qui s’aperçoit qu’il y a bien là quelque chose de la constance, à tout le moins, un nombre immense de productions que nous pouvons enregistrer sur tous les registres, encore que les catalogues soient plus ou moins bien faits, que ce soit ceux de l’ethnologie ou de la psychopathologie, que j’évoquais tout à l’heure, il y en a d’autres, nous mettent en face de ceci que c’est de – et Freud l’exprime à l’occasion, c’est fort bien dit dans Malaise dans la civilisation —‘ c’est à propos de quelque chose qui après tout ne rend pas si nouveau ce que j’ai formulé de l’il n’y a pas de rapport sexuel, il dit que, il indique bien sûr comme je l’ai fait, en terme tout à fait clairs, que sans doute, là-dessus, très précisément à propos des rapports sexuels, quelque fatalité s’inscrit qui y rend nécessaire ce qui alors apparaît comme étant les moyens, les ponts, les passerelles, les édifices, les constructions, pour tout dire, qui à la carence, à la carence de ce rapport sexuel, pour autant qu’après tout, dans une sorte d’inversion respective, tout discours possible n’en apparaîtrait que comme le symptôme, à l’intérieur de ce rapport sexuel, ménage dans les conditions que comme à l’ordinaire nous reportons dans la préhistoire, dans les domaines extra-historiques, qui dans ces conditions-là, donne une sorte de réussite de ce qui pourrait s’établir d’artificiel, de suppléant, de suppléant à ce qui manque, inscrit en somme dans l’être parlant sans qu’on puisse savoir si c’est de ce qu’il soit parlant que c’en est ainsi, ou au contraire de ce que l’origine soit que le rapport n’est pas parlable, il faut que s’élabore pour tous ceux qui habitent le langage, il faut que pour eux s’élabore ce quelque chose qui rend possible sous la forme de la castration, la béance laissée dans ce quelque chose de pourtant essentiel, biologiquement essentiel, biologiquement essentiel à la reproduction de ces êtres comme vivants, à ce que leur race demeure féconde, tel est bien en effet le problème à quoi semble faire face tout ce qu’il en est des rituels d’initiation. Que ces rituels d’initiation comprennent des... appelons-les manipulations, opérations, incisions, circoncisions, qui visent et mettent leur marque très précisément sur l’organe que nous voyons fonctionner comme symbole dans ce qui par l’expérience analytique nous est présenté comme allant bien au-delà du privilège de l’organe, puisque c’est le phallus, et que le phallus, en tant que c’est à ce tiers que s’ordonne tout ce qui, en somme, met en impasse la jouissance, qui fait de l’homme et de la femme, en tant que nous les définirions d’un simple épinglage biologique, ces êtres qui très précisément sont avec la jouissance sexuelle et d’une

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façon élective parmi toutes les autres jouissances, en difficulté avec elle, c’est bien de cela qu’il s’agit et c’est de là que nous devons repartir si nous voulons que se maintienne un sens correct à ce qui s’inaugure du discours analytique.
Et que si c’est, on le suppose, quelque chose de défini, c’est ce que nous appelons la castration, [qui] aurait le privilège de parer à ce quelque chose dont l’indécidable fait le fond du rapport sexuel, pour autant que la jouissance, il la donne ordonnée, au regard de ceci qui me semble ne pas être évitable, je parle de ces énoncés, la dramaturgie de contrainte qui fait le quotidien du discours analytique est tout à fait contraire — ceci, c’est une remarque qui fait la valeur du second, celui de Bruno Bettelheim, que je vous ai pointé — qui est évidemment tout à fait contraire avec ceci qui est la seule chose importante, il ne s’agit pas de repousser dans la préhistoire ce qu’il en est des rituels d’initiation, les rituels d’initiation, comme tout ce que nous pouvons avoir envie de repousser dans la préhistoire, ils sont là, ils existent toujours, ils sont vivants de par le monde, il y a encore des Australiens qui se font circoncire ou sub-inciser, il y a des zones entières de la civilisation qui s’y soumettent, et méconnaître dans un siècle dit de lumière que ces pratiques non seulement subsistent mais sont fo-rides, se portent fort bien, et c’est évidemment de là qu’il faut partir, pour nous apercevoir que ce n’est d’aucune dramaturgie concevable de contrainte que ce soit, il n’y a pas d’exemple que ce soit seulement la contrainte, il s’agit encore de savoir ce que veut dire une contrainte; une contrainte n’est jamais que la production de quelque chose que la prétendue prévalence d’une prétendue supériorité physique ou autre, elle se supporte précisément de signifiants, et si c’est la loi, la règle, qui est ici telle, que tel sujet veuille bien se soumettre, c’est bien pour des raisons, et ces raisons, c’est ce qui nous importe. Et ce qui nous importe, et c’est là que nous devons bien plutôt interroger quelle est la complaisance pour employer un terme qui, pour nous mener tout droit à l’hystérique, et qui n’en est pas moins d’une portée extrêmement générale, cette complaisance qui fait que subsiste bel et bien et en des temps tout à fait historiques ce qu’il en est de ce qui se présente comme quelque chose dont à soi seul, l’image serait insupportable, elle est peut-être insupportable comme telle, c’est de cela dont il s’agit, c’est de savoir pourquoi.
C’est là que je reprends mon fil, c’est à suivre ce fil que nous donnons sens à ce qui s’articule dans le langage dans ce que j’appellerai cette parole inédite, car inédite jusqu’à une certaine époque, elle, bel et bien historique et à notre portée, cette parole inédite, et qui se présente, en somme, comme devant toujours pour une part le rester, il n’y a pas d’autre définition à donner de l’inconscient.

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Venons-en maintenant à l’hystérique puisqu’il me plaît de partir de l’hystérique, pour essayer de voir où nous conduit ce fil. L’hystérique, nous nous sommes demandé, n’est-ce pas, qu’est-ce que c’est, mais justement c’est cela le sens, c’est qu’à une pareille question: « Qu’est-ce que c’est ? », qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que ça veut dire, l’hystérique en personne? Il me semble avoir travaillé assez longtemps à partir de l’imaginaire, pour indiquer « qu’en personne », rappeler simplement, ce qui est déjà... inscrit dans les termes « en personne»... en masque, aucune réponse de départ ne peut être donnée de ce sens. A la question « Qu’est-ce que l’hystérique ? », la réponse du discours de l’analyste, c’est:
« Vous le verrez bien », vous le verrez bien, justement, à suivre où elle nous conduit. Sans l’hystérique, bien sûr, ne serait nulle part venu au jour ce qu’il en est de ce que j’inscris, de ce que j’inscris, enfin j’essaie de vous donner la première ébauche logique de ce dont il s’agit maintenant, de ce que j’écris F de x, qui est à savoir que la jouissance, cette variable dans la fonction inscrite en x, ne se situe de ce rapport avec ce grand F qui là désigne le phallus, découverte centrale, ou plutôt, redécouverte ou comme vous voudrez rebaptême puisque je vous ai indiqué pourquoi c’est du phallus en tant que semblant dévoilé dans les mystères que le terme est repris, non pas par hasard. Que c’est très précisément, en effet, que c’est au semblant du phallus qu’est rapporté le point pivot, le centre de tout ce qui peut s’ordonner, se contenir de la jouissance sexuelle, que dès les premières approches des hystériques, dès les Studien über Hysterie que Freud nous amène. J’ai, la dernière fois, articulé ceci, qu’en somme, à prendre les choses du point qui peut en effet être interrogé, de ce qu’il en est du discours le plus commun, que si nous voulons, non pas pousser à son terme ce que la linguistique nous indique, mais justement l’extrapoler, à savoir nous apercevoir que rien de ce que le langage nous permet de faire n’est jamais que métaphore, ou bien métonymie, que le quelque chose que toute parole quelle qu’elle soit prétend un instant dénommer ne peut jamais que renvoyer à une connotation, et que s’il y a quelque chose qui puisse au dernier terme s’indiquer comme ce qui de toute fonction appareillée du langage se dénote, je l’ai dit la dernière fois, il n’y a qu’une Bedeutung, die Bedeutung des Phallus, c’est là, seul, ce qui est du langage, dénoté, bien sûr, mais sans que jamais rien n’y réponde, puisque, s’il y a quelque chose qui caractérise le phallus, ça n’est, non pas d’être le signifiant du manque, comme certains ont cru pouvoir entendre certaines de mes paroles, mais d’être assurément en tout cas ce dont ne sort aucune parole. Sinn et Bedeutung, c’est de là, je l’ai rappelé la dernière fois, c’est de cette opposition articulée par le logicien vraiment inaugural qu’est Frege, Sinn et Bedeutung,

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définissent des modèles qui vont plus loin que ceux de connotation et de dénotation. Beaucoup de choses dans cet article dont Frege instaure les deux versants du Sinn et de la Bedeutung, beaucoup de choses sont à retenir, et spécialement pour un analyste.
Car assurément, sans une référence logique et qui bien sûr ne peut suffire, à la logique classique, à la logique aristotélicienne, sans une référence logique, il est impossible de trouver le point juste en les matières que j’avance. La remarque de Frege tourne toute entière autour de ceci, que portées à un certain point du discours scientifique, ce que nous constatons, c’est par exemple des faits comme celui-ci, que, est-ce la même chose que de dire Vénus ou de l’appeler de deux façons, comme elle fut longtemps désignée l’étoile du soir et l’étoile du matin? Est-ce la même chose de dire Sir Walter Scott et de dire l’auteur de Waverley ? Je préviens ceux qui l’ignoreraient qu’il est effectivement l’auteur de cet ouvrage qui s’appelle Waverley. C’est à l’examen de cette distinction que Frege s’aperçoit qu’il n’est pas possible en tous les cas de remplacer Sir Walter Scott par l’auteur de Waverley. C’est en cela qu’il distingue ceci que l’auteur de Waverley véhicule un sens, un Sinn, et que Sir Walter Scott désigne une Bedeutung. Il est clair que si l’on pose avec Leibnitz que, salva ventate, pour sauver la vérité, il faut poser qu~e tout ce qui se désigne comme ayant une Bedeutung équivalente et qui peut indifféremment se remplacer, et si on met la chose à l’épreuve comme je vais tout de suite la mettre à l’épreuve selon les voies tracées par Frege lui-même, que, peu importe que ce soit George III ou George IV, ça n’a en l’occasion que peu d’importance, demandait, s’informait, de savoir si Sir Walter était l’auteur de Waverley. Si nous remplaçons « l’auteur de Waverley » par « Sir Walter Scott», nous obtenons la phrase suivante: « Le Roi George III s’informait pour savoir si Sir Walter Scott était Sir Walter Scott. » Ce qui bien évidemment n’a absolument pas le même sens. C’est à partir de cette simple remarque, opération logique, que Frege instaure, inaugure sa distinction fondamentale du Sinn et de la Bedeutung. Il est tout à fait clair que cette Bedeutung renvoie bien sûr à une Bedeutung toujours plus lointaine, qui renvoie bien sûr à la distinction de ce qu’il appelle le discours oblique et le discours direct. C’est pour autant que c’est dans une subordonnée que c’est le Roi George III qui demande, que nous devons ici maintenir les Sinn dans leur droit et ne remplacer en aucun cas l’auteur de Waverley par Sir Walter Scott.
Mais ceci bien sûr est un artifice qui, pour nous, nous mène sur la voie de ceci, à savoir que Sir Walter Scott, dans l’occasion, c’est un nom. Et aussi bien que quand M. Carnap reprend la question de la Bedeutung, c’est par le terme

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nominatum qu’il le traduit. En quoi, justement, il glisse, là, où il n’aurait pas fallu glisser.
Car ceci que je commente, peut nous permettre d’aller plus loin, mais certainement pas dans la même direction que M. Carnap. C’est celle de ce que veut dire le nom, n.o.m., je le répète, comme la dernière fois. Il nous est très facile de faire ici le joint avec ce que j’ai indiqué tout à l’heure. Je vous ai fait remarquer que le phallus est ceci qui nous met sur la voie de ce point que je désigne ici accentué, c’est que le nom, le nom name, et le nom noun, mais on ne voit bien les choses qu’au niveau du nom propre, comme disait l’autre, le nom, c’est ce qui appelle, sans doute, mais à quoi? C’est ce qui appelle à parler. Et c’est bien ce qui fait le privilège du phallus, c’est qu’on peut l’appeler éperdument, il dira toujours rien.
Seulement ceci alors donne son sens, donne son sens à ce que j’ai appelé en son temps la métaphore paternelle et c’est là que conduit l’hystérique. La métaphore paternelle, bien sûr, là où je l’ai introduite, c’est-à-dire au niveau de mon article sur la Question préalable à tout traitement possible de la psychose, je l’ai insérée dans le schéma général extrait du rapprochement de ce que nous dit la linguistique sur la métaphore avec ce que l’expérience de l’inconscient nous donne de la condensation. J’ai écrit le S sur S1, multiplié par le S1 sur un petit s, je me suis, comme j’ai écrit également dans L’instance de la lettre, fortement appuyé sur cette face de la métaphore, qui est d’engendrer un sens. Si l’auteur de Waverley, c’est un Sinn, c’est très précisément parce que l’auteur de Waverley remplace quelque chose d’autre, qui est une Bedeutung spéciale, celle que Frege croit devoir épingler du nom de Sir Walter Scott. Mais enfin, il n’y a pas que sous cet angle que j’ai envisagé la métaphore paternelle. Si j’ai écrit quelque part que le Nom du Père, c’est le phallus — Dieu sait quel frémissement d’horreur ceci a évoqué chez quelques âmes pieuses — c’est précisément parce qu’à cette date, je ne pouvais pas l’articuler mieux. Ce qui est sûr c’est que c’est le phallus, bien sûr, mais que c’est tout de même le Nom du Père. Ce qui est nommé Père, le Nom du Père, si c’est un nom qui, lui, a une efficace, c’est précisément parce que quelqu’un se lève pour répondre. Sous l’angle de ce qui se passait dans la détermination psychotique de Schreber, c’est en tant que signifiant, signifiant capable de donner un sens au désir de la mère, qu’à juste titre je pouvais situer le Nom du Père. Mais au niveau de ce dont il s’agit quand c’est, disons, l’hystérique qui l’appelle, ce dont il s’agit c’est que quelqu’un parle. Je voudrais ici vous faire observer que si Freud a quelquefois essayé d’approcher d’un peu plus près cette fonction du Père qui est tellement essentielle au discours analytique, qu’on peut

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dire d’une certaine façon qu’elle en est le produit, si je vous écris le discours analytique: a / S2, c’est-à-dire l’analyste sur ce qu’il a de savoir par le névrosé, qui questionne le sujet pour produire quelque chose, on peut dire que le signifiant maître, jusqu’à présent, du discours analytique, c’est bien le Nom du Père. Il est extrêmement curieux qu’il ait fallu le discours analytique pour que là-dessus se posent les questions. Qu’est-ce qu’un Père ? Freud n’hésite pas à articuler que c’est le nom par essence qui implique la foi. C’est la façon dont il s’exprime. Nous pourrions peut-être tout de même en désirer un petit peu plus. Après tout, à prendre les choses au ras du niveau biologique, on peut parfaitement concevoir que la reproduction de l’espèce humaine — ça s’est déjà fait, c’est sorti déjà de l’imagination d’un romancier — se produise sans aucune espèce d’intervention elle-même désignée sous le nom du Père, l’insémination artificielle ne serait pas là pour rien. Qu’est-ce qui en somme fait présence — qui n’est pas d’hier —, n’est-ce pas de cette essence du père, et après tout, est-ce que nous-mêmes analystes, nous savons bien ce que c’est ? Je voudrais tout de même vous faire remarquer ceci, c’est que dans l’expérience analytique, le Père n’est jamais qu’un référentiel. Nous interprétons telle ou telle relation avec le père. Est-ce que nous analysons jamais quelqu’un en tant que père ? Qu’on m’apporte une observation. Le père est un terme de l’interprétation analytique. A lui se réfère quelque chose.
C’est à la lumière de ces remarques — il faut bien que j’abrège — que je voudrais quand même vous situer ce qu’il en est du mythe de l’Œdipe. Le mythe de l'Œdipe fait en quelque sorte tracas, n’est-ce pas, parce que soi-disant il instaure la primauté du père, qui serait une espèce de reflet patriarcal. Je voudrais vous faire sentir quelque chose qui, ce par quoi, à moi tout au moins, il ne me paraît pas du tout un reflet patriarcal. Bien loin de là. Il nous fait apparaître seulement ceci, un point d’abord par où la castration pourrait être serrée, d’un abord logique et, de cette façon, que je désignerai d’être numérale.
Le père, non seulement est castré, mais il est précisément castré au point de n’être qu’un numéro. Ceci s’indique tout à fait clairement dans les dynasties, tout à l’heure je parlais d’un roi, je ne savais plus comment l’appeler, George III ou George IV,... pensez bien c’est justement ce qui me paraît le plus typique, dans cette présentation de la paternité, à savoir que, en réalité, c’est comme ça que ça se passe, George I, George II, George III, George IV. Mais enfin, il est bien évident que ça n’épuise pas la question, parce que... il n’y a pas seulement le numéro, il y a un nombre. Pour tout dire, j’y vois le point d’aperception de la série des nombres naturels, comme on s’exprime. Et comme on s’exprime pas si

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mal, car après tout c’est très proche de la nature, je voudrais vous faire remarquer que puisqu’on évoque toujours à l’horizon de l’histoire ce qui, bien entendu, est une raison de suspicion extrême, je voudrais vous faire simplement remarquer ceci, c’est que le matriarcat, comme on s’exprime, n’a aucun besoin d’être repoussé à la limite de l’histoire.
Le matriarcat consiste essentiellement en ceci, c’est que, pour ce qui est de la mère comme production, il n’y a pas de doute. On peut à l’occasion perdre sa mère dans le métro, bien sûr, mais enfin il n’y a pas de doute sur qui est la mère. Il n’y a également aucun doute sur qui est la mère de la mère. Et ainsi de suite. La mère, dans sa lignée, je dirai, est innombrable. Elle est innombrable dans tous les sens propres du terme, elle n’est pas à numérer parce que il n’y a pas de point de départ. La lignée maternelle a beau être nécessairement en ordre, on ne peut la faire partir de nulle part. Je pourrai vous faire remarquer d’autre part ceci qui paraît être la chose qu’on touche le plus couramment du doigt, parce que après tout ce n’est pas rare, il n’est pas du tout rare qu’on puisse avoir pour père son grand-père. Je veux dire pour vrai père. Et même son arrière-grand-père. Oui! Parce que... les gens vivaient comme il nous est dit dans la première lignée des patriarches, aux environs de neuf cents ans, j’ai revu ça récemment, c’est très piquant, c’est d’un truquage absolument sensationnel. Tout est fait pour que les deux ancêtres les plus directs de Noé là, soient morts juste au moment où le déluge se produit. On voit ça, c’est fignolé, enfin mettons ça de côté, c’est simplement pour vous mettre dans la perspective de ce qu’il en est du père.
De ceci, voyez-vous, ce qui résulte — je suis forcé d’aller un peu vite, parce que l’heure s’avance — c’est que si nous définissons l’hystérique par ceci, définition qui ne lui est pas particulière, le névrosé, à savoir l’évitement de la castration, il y a plusieurs façons de l’éviter. L’hystérique a ce procédé simple, c’est qu’elle l’unilatéralise de l’autre côté, du côté du partenaire. Disons qu’à l’hystérique, il faut le partenaire châtré. Qu’il soit châtré, il est clair que c’est au principe de la possibilité de la jouissance de l’hystérique. Mais c’est encore trop. S’il était châtré, il aurait peut-être une petite chance, puisque la castration, c’est justement ce que j’ai émis tout à l’heure, comme étant ce qui permet le rapport sexuel, il faut qu’il soit seulement ce qui répond à la place du phallus.
Alors, puisque Freud lui-même nous indique, je ne vous dirai pas, tout de même, à quelle page, nous indique lui-même que tout ce qu’il élabore comme mythe — ceci est à propos du Moïse: «Je n’en ferai pas ici la critique», dit-il de ce qu’il a lui-même écrit, à la date où il le publie en 1938, sur son hypothèse historique, à savoir celle qu’il a rénovée de Sellin, « car tous les résultats acquis »,

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dit la traductrice, « constituent les déductions psychologiques qui en découlent et sans cesse s’y rapportent», comme vous le voyez, ça ne veut rien dire. En allemand, ça veut dire quelque chose, c’est « denn sie bilden die Voraussetzung », car ils forment la supposition, « der psychologischen Erörterungen », des manifestations psychologiques, qui, de ces données, « von ihnen ausgehren », découlent et toujours de nouveau, « auf sie zurückkommen », y font retour. C’est bien en effet sous la dictée de l’hystérique, que, non pas s’élabore, car jamais Œdipe n’a été par Freud véritablement élaboré, il est indiqué en quelque sorte, à l’horizon, dans la fumée, si l’on peut dire, de ce qui s’élève comme sacrifice de l’hystérique. Mais observons bien ce que veut dire maintenant cette nomination, cette réponse à l’appel du père dans l’Œdipe.
Si je vous ai dit tout à l’heure que ça introduit la série des nombres naturels, c’est que là, nous avons, ce qui à la plus récente élaboration logique de cette série, à savoir celle de Péano, s’est avéré nécessaire, c’est à savoir pas simplement le fait de la succession, quand on essaie d’axiomatiser la possibilité d’une telle série, on rencontre la nécessité du zéro pour poser le successeur. Les axiomes minimaux de Péano — je n’insiste pas sur ce qui a pu se produire en commentaire, en marge comme perfectionnement — mais la dernière formule, c’est celle qui pose le zéro comme nécessaire à cette série, faute de quoi, elle ne saurait d’aucune façon être axiomatisée, et faute de quoi elle serait donc innombrable, comme je disais tout à l’heure. L’équivalence logique de la fonction est très précisément ceci que cette fonction dont je me suis servi est trop souvent liée, je ne peux le faire qu’en marge et très rapidement, je vous ferai observer que nous entrerons dans le deuxième millénaire en l’an 2000 ,que je sache. Si simplement vous admettez ça — d’un autre côté, vous pouvez aussi bien ne pas l’admettre — mais si simplement vous admettez ça, je vous ferai remarquer que ça rend nécessaire qu’il y ait eu un an zéro, après la naissance du Christ. C’est ce que les auteurs du calendrier républicain avaient oublié. La première année, ils l’ont appelé l’an 1 de la République. Ce zéro est absolument essentiel à tout repérage chronologique naturel. Et alors nous comprenons ce que veut dire le meurtre du Père.1 Il est curieux, singulier, n’est-ce pas, que ce meurtre du Père n’apparaisse jamais même dans les drames, comme le fait remarquer avec pertinence quelqu’un qui a écrit là-dessus un pas mauvais chapitre, que même dans les drames, il n’y a jamais, aucun dramaturge n’a osé, s’exprime l’auteur, faire présenter, manifester, le meurtre délibéré d’un père par le fils. Faites bien attention à ça, même dans le théâtre grec, ça n’existe pas et un Père en tant que Père. Par contre, c’est tout de même le terme « meurtre du Père » qui paraît au centre de ce que Freud élabore

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à partir des données que constitue, du fait de l’hystérique, et de son bord, le refus de la castration. Est-ce que ce n’est pas justement en tant que le meurtre du Père, ici, est le substitut de cette castration refusée, que l’Œdipe a pu venir s’imposer à la pensée de Freud dans la filière de ces abords de l’hystérique ? Il est clair que dans la perspective hystérique, c’est le phallus qui féconde, et que ce qu’il engendre, c’est lui-même, si l’on peut dire. La fécondité est forgerie phallique, et c’est bien par là que tout enfant est reproduction du phallus, en tant qu’il est gros, si je puis m’exprimer ainsi, de son engendrement.
Mais alors, nous entrevoyons aussi, puisque c’est du papludun que je vous ai inscrit la possibilité logifiée du choix dans cette relation insatisfaite du rapport sexuel, que c’est du papludun que je vous l’ai désigné. C’est par-là que les incroyables complaisances de Freud pour un monothéisme dont il va chercher le modèle, chose très curieuse, bien ailleurs que dans sa tradition, il lui faut que ça soit Akhénaton. Rien n’est plus ambigu, je dirai, sur le plan sexuel, que ce monothéisme solaire, à le voir rayonner de tous ses rayons pourvus de petites mains qui iront chatouiller les naseaux d’innombrables menus humains, enfants, de l’un et l’autre sexe, dont il est, dans cette imagerie de la structure oedipienne, tout à fait frappant que, c’est le cas de le dire, ils se ressemblent comme des frères, et encore plus comme des sœurs. Si le mot sublime peut avoir un sens ambigu, c’est bien là. Puisque aussi bien ce n’est pas pour rien que les dernières images monumentales, celles que j’ai pu voir la dernière fois que j’ai quitté le sol égyptien, d’Akhenaton, sont des images non seulement châtrées mais carrément féminines.
Il est tout à fait clair que si la castration a un rapport au phallus, ça n’est pas là que nous pouvons le désigner. Je veux dire que si je fais le petit schéma qui correspondrait au pas tous ou au pas toutes, comme désignant un certain type de la relation au ? de x, c’est bien dans ce sens que c’est au ? de x que, tout de même, que se rapportent les élus. Le passage à la médiation, entre guillemets, n’est bien celle que de cet au moins un que je soulignai et que nous retrouverons dans Péano par ce n + 1 toujours répété, celui qui en quelque sorte suppose que le n qui le précède se réduit à zéro. Par quoi ? Précisément, par le meurtre du Père. Par cette... ce repérage de, si l’on peut dire, le détour, la façon pour employer le terme de Frege lui-même, c’est bien le cas de le dire, oblique, ungerade, dont le sens du meurtre du Père se rapporte à une autre Bedeutung, c’est là qu’il faudra bien que je me limite aujourd’hui, m’excusant de n’avoir pas pu pousser plus loin les choses. Ça sera donc pour l’année prochaine, je regrette que les choses se soient cette année, aient été ainsi forcément tronquées, mais vous pourrez voir

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que Totem et Tabou par contre, à savoir ce qui met du côté du Père la jouissance originelle, est quelque chose à quoi ne répond pas moins un évitement strictement équivalent de ce qu’il en est de la castration, strictement équivalent. Ce en quoi se marque bien ceci que l’obsessionnel, l’obsessionnel pour répondre à la formule : il n y a pas de x qui existe qui puisse s’inscrire dans la variable ? de x, l’obsessionnel, comment l’obsessionnel se dérobe. Il se dérobe simplement de ceci, de ne pas exister. C’est le quelque chose auquel, pourquoi pas, nous renouerons la suite de notre discours, l’obsessionnel en tant que, il est dans la dette de ne pas exister au regard de ce Père non moins mythique qui est celui de Totem et Tabou, comment? C’est là que s’attache, que s’attache réellement tout ce qu’il en est d’une certaine édification religieuse, et de ce en quoi elle n’est, hélas, pas réductible, et même pas de ce que Freud accroche à son second mythe, celui de Totem et Tabou, à savoir ni plus ni moins que sa seconde topique, c’est ce que nous pourrons développer ultérieurement. Car notez-le, la seconde topique, sa grande innovation, c’est le surmoi.
Quelle est l’essence du surmoi? C’est là-dessus que je pourrai finir en vous donnant quelque chose dans le creux de la main, que vous pourrez essayer de manipuler par vous-même, quelle est l’ordonnance du surmoi ? Précisément, elle s’origine de ce père originel, plus que mythique, de cet appel comme tel à la jouissance pure, c’est-à-dire aussi à la non-castration. Et qu’est-ce que ce Père en effet dit, au déclin de l’Œdipe ? Il dit ce que dit le surmoi. Ce que dit le surmoi – ce n’est pas pour rien que je ne l’ai encore jamais vraiment abordé – ce que dit le surmoi, c’est : « Jouis! »
Tel est l’ordre, l’ordre impossible à satisfaire, et qui comme tel est à l’origine de tout ce qui s’élabore, aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, aux termes de la conscience morale. Pour bien en sentir le jeu de définition, il faut que vous lisiez dans l’Ecclésiaste, sous le titre: « Jouis tant que tu es, jouis », dit l’auteur, énigmatique comme vous le savez, de ce texte étonnant, « Jouis avec la femme que tu aimes. » C’est bien le comble du paradoxe, parce que c’est justement de l’aimer que vient l’obstacle.

ANNEXES

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Annexe 1 *

Lituraterre
Ce mot se légitime de l’Ernout et Meillet: lino, litura, lituranius. Il m’est venu, pourtant, de ce jeu du mot dont il arrive qu’on fasse esprit: le contrepet revenant aux lèvres, le renversement à l’oreille.
Ce dictionnaire (qu’on y aille) m’apporte auspice d’être fondé d’un départ que je prenais (partir, ici est répartir) de l’équivoque dont Joyce (James Joyce, dis-je) glisse d’a letter à a litter, d’une lettre (je traduis) à une ordure.
On se souvient qu’une « messe-haine » à lui vouloir du bien, lui offrait une psychanalyse, comme on ferait d’une douche. Et de Jung encore...
Au jeu que nous évoquons, il n’y eût rien gagné, y allant tout droit au mieux de ce qu’on peut attendre de la psychanalyse à sa fin.
À faire litière de la lettre, est-ce saint Thomas encore qui lui revient, comme l’œuvre en témoigne tout de son long?
Ou bien la psychanalyse atteste-t-elle là sa convergence avec ce que notre époque accuse du débridement du lien antique dont se contient la pollution dans la culture.
J’avais brodé là-dessus, comme par hasard un peu avant le mai de 68, pour ne pas faire défaut au paumé de ces affluences que je déplace où je fais visite maintenant, à Bordeaux ce jour-là. La civilisation, y rappelai-je en prémisse, c’est l’égout.

Nous reproduisons ici le texte de la Leçon 7 tel qu’il a été publié dans le n° 3, d’octobre 1971, de la revue Littérature, éditée par la Librairie Larousse, consacrée au thème « Littérature et Psychanalyse».

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Il faut dire sans doute que j’étais las de la poubelle à laquelle j’ai rivé mon sort. On sait que je ne suis pas seul à, pour partage, l’avouer. L’avouer ou, prononcé à l’ancienne, l’avouère dont Beckett fait balance au doit qui fait déchet de notre être, sauve l’honneur de la littérature, et me relève du privilège que je croirais tenir de ma place.
La question est de savoir si ce dont les manuels semblent faire étal, soit que la littérature soit accommodation des restes, est affaire de collocation dans l’écrit de ce qui d’abord serait chant, mythe parlé, procession dramatique.
Pour la psychanalyse, qu’elle soit appendue à l’Œdipe, ne la qualifie en rien pour s’y retrouver dans le texte de Sophocle. L’évocation par Freud d’un texte de Dostoïewski ne suffit pas pour dire que la critique de textes, chasse jusqu’ici gardée du discours universitaire, ait reçu de la psychanalyse plus d’air.
Ici mon enseignement a place dans un changement de configuration qui s’affiche d’un slogan de promotion de l’écrit, mais dont d’autres témoignages, par exemple, que ce soit de nos jours qu’enfin Rabelais soit lu, montrent un déplacement des intérêts à quoi je m’accorde mieux.
J’y suis comme auteur moins impliqué qu’on n’imagine, et mes Ecrits, un titre plus ironique qu’on ne croit: quand il s’agit soit de rapports, fonction de Congrès, soit disons de « lettres ouvertes » où je fais question d’un pan de mon enseignement.
Loin en tout cas de me commettre en ce frotti-frotta littéraire dont se dénote le psychanalyste en mal d’invention, j’y dénonce la tentative immanquable à démontrer l’inégalité de sa pratique à motiver le moindre jugement littéraire.
Il est pourtant frappant que j’ouvre ce recueil d’un article que j’isole de sa chronologie, et qu’il s’y agisse d’un conte, lui-même bien particulier de ne pouvoir rentrer dans la liste ordonnée des situations dramatiques: celui de ce qu’il advient de la poste d’une lettre missive, d’au su de qui se passent ses renvois, et de quels termes s’appuie que je puisse la dire venue à destination, après que, des détours qu’elle y a subis, le conte et son compte se soient soutenus sans aucun recours à son contenu. Il n’en est que plus remarquable que l’effet qu’elle porte sur ceux qui tour à tour la détiennent, tout arguant du pouvoir qu’elle confère qu’ils soient pour y prétendre, puisse s’interpréter, ce que je fais, d’une féminisation.
Voilà le compte bien rendu de ce qui distingue la lettre du signifiant même qu’elle emporte. En quoi ce n’est pas faire métaphore de l’épistole. Puisque le conte consiste en ce qu’y passe comme muscade le message dont la lettre y fait péripétie sans lui.

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Ma critique, si elle a lieu d’être tenue pour littéraire, ne saurait porter, je m’y essaie, que sur ce que Poe fait d’être écrivain à former un tel message sur la lettre. Il est clair qu’à n’y pas le dire tel quel, ce n’est pas insuffisamment, c’est d’autant plus rigoureusement qu’il l’avoue.
Néanmoins l’élision n’en saurait être élucidée au moyen de quelque trait de sa psychobiographie: bouchée plutôt qu’elle en serait.
(Ainsi la psychanalyste qui a récuré les autres textes de Poe, ici déclare forfait de son ménage.)
Pas plus mon texte à moi ne saurait-il se résoudre par la mienne: le vœu que je formerais par exemple d’être lu enfin convenablement. Car encore faudrait-il pour cela qu’on développe ce que j’entends que la lettre porte pour arriver toujours à sa destination.
Il est certain que, comme d’ordinaire, la psychanalyste ici reçoit, de la littérature, si elle en prend du refoulement dans son ressort une idée moins psycho-biographique.
Pour moi si je propose à la psychanalyse la lettre comme en souffrance, c’est qu’elle y montre son échec. Et c’est par là que je l’éclaire: quand j’invoque ainsi les lumières, c’est de démontrer où elle fait trou. On le sait depuis longtemps: rien de plus important en optique, et la plus récente physique du photon s’en arme.
Méthode par où la psychanalyse justifie mieux son intrusion: car si la critique littéraire pouvait effectivement se renouveler, ce serait de ce que la psychanalyse soit là pour que les textes se mesurent à elle, l’énigme étant de son côté.
Mais ceux dont ce n’est pas médire à avancer que, plutôt qu’ils l’exercent, ils en sont exercés, à tout le moins d’être pris en corps —, entendent mal mes propos.
J’oppose à leur adresse vérité et savoir: c’est la première où aussitôt ils reconnaissent leur office, alors que sur la sellette, c’est leur vérité que j’attends. J’insiste à corriger mon tir d’un savoir en échec: comme on dit figure en abyme, ce n’est pas échec du savoir. J’apprends alors qu’on s’en croit dispensé de faire preuve d’aucun savoir.
- Serait-ce lettre morte que j’aie mis au titre d’un de ces morceaux que j’ai dit Ecrits,..., de la lettre l’instance, comme raison de l’inconscient?
N’est-ce pas désigner assez dans la lettre ce qui, à devoir insister, n’est pas là de plein droit si fort de raison que ça s’avance. La dire moyenne ou bien extrême, c’est montrer la bifidité où s’engage toute mesure, mais n’y a-t-il rien dans le réel qui se passe de cette médiation? La frontière certes, à séparer deux territoires,

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en symbolise qu’ils sont mêmes pour qui la franchit, qu’ils ont commune mesure. C’est le principe de l’Umwelt, qui fait reflet de l’Innenwelt. Fâcheuse, cette biologie qui se donne déjà tout de principe: le fait de l’adaptation notamment; ne parlons pas de la sélection, elle franche idéologie à se bénir d’être naturelle. La lettre n’est-elle pas... littorale plus proprement, soit figurant qu’un domaine tout entier fait pour l’autre frontière, de ce qu’ils sont étrangers, jusqu’à n’être pas réciproques.
Le bord du trou dans le savoir, voilà-t-il pas ce qu’elle dessine. Et comment la psychanalyse, si, justement ce que la lettre dit « à la lettre » par sa bouche, il ne lui fallait pas le méconnaître, comment pourrait-elle nier qu’il soit, ce trou, — de ce qu’à le combler, elle recoure à y invoquer la jouissance?
Reste à savoir comment l’inconscient que je dis être effet de langage, de ce qu’il en suppose la structure comme nécessaire et suffisante, commande cette fonction de la lettre.
Qu’elle soit instrument propre à l’écriture du discours, ne la rend pas impropre à désigner le mot pris pour un autre, voire par un autre, dans la phrase, donc à symboliser certains effets de signifiant, mais n’impose pas qu’elle soit dans ces effets primaire.
Un examen ne s’impose pas de cette primarité, qui n’est même pas à supposer, mais de ce qui du langage appelle le littoral au littéral.
Ce que j’ai inscrit, à l’aide de lettres, des formations de l’inconscient pour les récupérer de ce dont Freud les formule, à être ce qu’elles sont, des effets de signifiant, n’autorise pas à faire de la lettre un signifiant, ni à l’affecter, qui plus est, d’une primarité au regard du signifiant.
Un tel discours confusionnel n’a pu surgir que de celui qui m’importe. Mais il m’importe dans un autre que j’épingle, le temps venu, du discours universitaire, soit du savoir mis en usage à partir du semblant.
Le moindre sentiment que l’expérience à quoi je pare, ne peut se situer que d’un autre discours, eût dû garder de le produire, sans l’avouer de moi. Qu’on me l’épargne Dieu merci! n’empêche pas qu’à m’importer au sens que je viens de dire, on m’importune.
Si j’avais trouvé recevables les modèles que Freud articule dans une Esquisse à se forer de routes impressives, je n’en aurais pas pour autant pris métaphore de l’écriture. Elle n’est pas l’impression, ce n’en déplaise au bloc magique.
Quand je tire parti de la lettre à Fliess 52e, c’est d’y lire ce que Freud pouvait énoncer sous le terme qu’il forge du WZ, Wahrnehmungszeichen, de plus proche du signifiant, à la date où Saussure ne l’a pas encore reproduit (du signans

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stoïcien). Que Freud l’écrive de deux lettres, ne prouve pas plus que de moi, que la lettre soit primaire.
Je vais donc essayer d’indiquer le vif de ce qui me paraît produire la lettre comme conséquence, et du langage, précisément de ce que je dis: que l’habite qui parle.
J’en emprunterai les traits à ce que d’une économie du langage permet de dessiner ce que promeut à mon idée, que littérature peut-être vire à lituraterre.
On ne s’étonnera pas de m’y voir procéder d’une démonstration littéraire puisque c’est là marcher du pas dont la question se produit. En quoi pourtant peut s’affirmer ce qu’est une telle démonstration.
Je reviens d’un voyage que j’attendais de faire au Japon de ce que d’un premier j’avais éprouvé.., de littoral. Qu’on m’entende à demi-mot de ce que tout à l’heure de l’Umwelt j’ai répudié comme rendant le voyage impossible: d’un côté donc, selon ma formule, assurant son réel, mais prématurément, seulement d’en rendre, mais de maldonne, impossible le départ, soit tout au plus de chanter « Partons ».
J e ne noterai que le moment que j’ai recueilli d’une route nouvelle, à la prendre de ce qu’elle ne fut plus comme la première fois interdite. J’avoue pourtant que ce ne fut pas à l’aller le long du cercle arctique en avion, que me fit lecture ce que je voyais de la plaine sibérienne.
Mon essai présent, en tant qu’il pourrait s’intituler d’une sibériéthique, n’aurait donc pas vu le jour si la méfiance des Soviétiques m’avait laissé voir les villes, voire les industries, les installations militaires qui leur font prix de la Sibérie, mais ce n’est que condition accidentelle, quoique moins peut-être à la nommer occidentelle, à y indiquer l’accident d’un amoncellement de l’occire.
Seule décisive est la condition littorale, et celle-là ne jouait qu’au retour d’être littéralement ce que le Japon de sa lettre m’avait sans doute fait ce petit peu trop qui est juste ce qu’il faut pour que je le ressente, puisque après tout j’avais dit que c’est là ce dont sa langue s’affecte éminemment.
Sans doute ce trop tient-il à ce que l’art en véhicule: j’en dirai le fait de ce que la peinture y démontre de son mariage à la lettre, très précisément sous la forme de la calligraphie.
Comment dire ce qui me fascine dans ces choses qui pendent, kakémono que ça se jaspine, pendent aux murs de tout musée en ces lieux, portant inscrits des caractères, chinois de formation, que je sais un peu, mais qui, si peu que je les sache, me permettent de mesurer ce qui s’en élide dans la cursive, où le singulier de la main écrase l’universel, soit proprement ce que je vous apprends ne valoir

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que du signifiant: je ne l’y retrouve plus mais c’est que je suis novice. Là au reste n’étant pas l’important, car même à ce que ce singulier appuie une forme plus ferme, et y ajoute la dimension, la demansion, ai-je déjà dit, la demansion du papeludun, celle dont s’évoque ce que j’instaure du sujet dans le Hun-En-Peluce, à ce qu’il meuble l’angoisse de l’Achose, soit ce que je connote du petit a ici fait objet d’être enjeu de quel pari qui se gagne avec de l’encre et du pinceau?
Tel invinciblement m’apparut, cette circonstance n’est pas rien: d’entre-les nuages, le ruissellement, seule trace à apparaître, d’y opérer plus encore que d’en indiquer le relief en cette latitude, dans ce qui de la Sibérie fait plaine, plaine désolée d’aucune végétation que de reflets, lesquels poussent à l’ombre ce qui n’en miroite pas.
Le ruissellement est bouquet du trait premier et de ce qui l’efface. Je l’ai dit:
c’est de leur conjonction qu’il se fait sujet, mais de ce que s’y marquent deux temps. Il y faut donc que s’y distingue la rature.
Rature d’aucune trace qui soit d’avant, c’est ce qui fait terre du littoral. Litura pure, c’est le littéral. La produire, c’est reproduire cette moitié sans paire dont le sujet subsiste. Tel est l’exploit de la calligraphie. Essayez de faire cette barre horizontale qui se trace de gauche à droite pour figurer d’un trait l’un unaire comme caractère, vous mettrez longtemps à trouver de quel appui elle s’attaque, de quel suspens elle s’arrête. À vrai dire, c’est sans espoir pour un occidenté.
Il y faut un train qui ne s’attrape qu’à se détacher de quoi que ce soit qui vous raye.
Entre centre et absence, entre savoir et jouissance, il y a littoral qui ne vire au littéral qu’à ce que ce virage, vous puissiez le prendre le même à tout instant. C’est de ça seulement que vous pouvez vous tenir pour agent qui le soutienne.
Ce qui se révèle de ma vision du ruissellement, à ce qu’y domine la rature, c’est qu’à se produire d’entre les nuages, elle se conjugue à sa source, que c’est bien aux nuées qu’Aristophane me hèle de trouver ce qu’il en est du signifiant:
soit le semblant, par excellence, si c’est de sa rupture qu’en pleut, effet à ce qu’il s’en précipite, ce qui y était matière en suspension.
Cette rupture qui dissout ce qui faisait forme, phénomène, météore, et dont j’ai dit que la science s’opère à en percer l’aspect, n’est-ce pas aussi que ce soit d’en congédier ce qui de cette rupture ferait jouissance à ce que le monde ou aussi bien l’immonde, y ait pulsion à figurer la vie.
Ce qui de jouissance s’évoque à ce que se rompe un semblant, voilà ce qui dans le réel se présente comme ravinement.

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C’est du même effet que l’écriture est dans le réel le ravinement du signifié, ce qui a plu du semblant en tant qu’il fait le signifiant. Elle ne décalque pas celui-ci, mais ses effets de langue, ce qui s’en forge par qui la parle. Elle n’y remonte qu’à y prendre nom, comme il arrive à ces effets parmi les choses que dénomme la batterie signifiante pour les avoir dénombrées.
Plus tard de l’avion se virent à s’y soutenir en isobares, fût-ce à obliquer d’un remblai, d’autres traces normales à celles dont la pente suprême du relief se marquait de cours d’eau.
N’ai-je pas vu à Osaka comment les autoroutes se posent les unes sur les autres comme planeurs venus du ciel? Outre que là-bas l’architecture la plus moderne retrouve l’ancienne à se faire aile à s’abattre d’un oiseau.
Comment le plus court chemin d’un point à un autre se serait-il montré sinon du nuage que pousse le vent tant qu’il ne change pas de cap? Ni l’amibe, ni l’homme, ni la branche, ni la mouche, ni la fourmi n’en eussent fait exemple avant que la lumière s’avère solidaire d’une courbure universelle, celle où la droite ne se soutient que d’inscrire la distance dans les facteurs effectifs d’une dynamique de cascade.
Il y a de droite que d’écriture, comme d’arpentage que venu du ciel.
Mais écriture comme arpentage sont artefacts à n’habiter que le langage. Comment l’oublierions-nous quand notre science n’est opérante que d’un ruissellement de petites lettres et de graphiques combinés?
Sous le pont Mirabeau certes, comme sous celui dont une revue qui fut la mienne se fit enseigne, à l’emprunter ce pont-oreille à Horns-Apollo, sous le pont Mirabeau, oui, coule la Seine primitive, et c’est une scène telle qu’y peut battre le V romain de l’heure cinq (cf. l’Homme aux loups). Mais aussi bien n’en jouit-on qu’à ce qu’y pleuve la parole d’interprétation.
Que le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre politique, implique d’autre part que tout ce qui s’articule de cet ordre soit passible d’interprétation.
C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique. Et ceci pourrait n’être pas de tout repos pour ce qui de la politique a fait figure jusqu’ici, si la psychanalyse s’en avérait avertie.
Il suffirait peut-être, on se dit ça sans doute, que de l’écriture nous tirions un autre parti que de tribune ou de tribunal, pour que s’y jouent d’autres paroles à -nous en faire le tribut.
Il n’y a pas de métalangage, mais l’écrit qui se fabrique du langage est matériel peut-être de force à ce que s’y changent nos propos.

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Est-il possible du littoral de constituer tel discours qui se caractérise de ne pas s’émettre du semblant? Là est la question qui ne se propose que de la littérature dite d’avant-garde, laquelle est elle-même fait de littoral: et donc ne se soutient pas du semblant, mais pour autant ne prouve rien que la cassure, que seul un discours peut produire, avec effet de production.
Ce à quoi semble prétendre une littérature en son ambition de lituraterrir, c’est de s’ordonner d’un mouvement qu’elle appelle scientifique.
Il est de fait que l’écriture y a fait merveille et que tout marque que cette merveille n’est pas près de se tarir.
Cependant la science physique se trouve, va se trouver ramenée à la considération du symptôme dans les faits, par la pollution de ce que du terrestre on appelle, sans plus de critique de l’Umwelt, l’environnement: c’est l’idée d’Uxküll behaviourisée, c’est-à-dire crétinisée.
Pour lituraterrir moi-même, je fais remarquer que je n’ai fait dans le ravinement qui l’image, aucune métaphore. L’écriture est ce ravinement même, et quand je parle de jouissance, j’invoque légitimement ce que j’accumule d’auditoire: pas moins par là celles dont je me prive, car ça m’occupe.
Je voudrais témoigner de ce qui se produit d’un fait déjà marqué: à savoir celui d’une langue, le japonais, en tant que la travaille l’écriture.
Qu’il y ait inclus dans la langue japonaise un effet d’écriture, l’important est qu’il reste attaché à l’écriture et que ce qui est porteur de l’effet d’écriture y soit une écriture spécialisée en ceci qu’en japonais elle puisse se lire de deux prononciations différentes: en on-yomi, sa prononciation en caractère, le caractère se prononce comme tel distinctement, en kun-yomi la façon dont se dit en japonais ce qu’il veut dire.
Ça serait comique d’y voir désigner, sous prétexte que le caractère est lettre, les épaves du signifiant courant aux fleuves du signifié. C’est la lettre comme telle qui fait appui au signifiant selon sa loi de métaphore. C’est d’ailleurs: du discours, qu’il la prend au filet du semblant.
Elle est pourtant promue de là comme référent aussi essentiel que toute chose, et ceci change le statut du sujet. Qu’il s’appuie sur un ciel constellé, et non seulement sur le trait unaire, pour son identification fondamentale, explique qu’il ne puisse prendre appui que sur le Tu, c’est-à-dire sous toutes les formes grammaticales dont le moindre énoncé se varie des relations de politesse qu’il implique dans son signifié.
La vérité y renforce la structure de fiction que j’y dénote, de ce que cette fiction soit soumise aux lois de la politesse.

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Singulièrement ceci semble porter le résultat qu’il n’y ait rien à défendre de refoulé, puisque le refoulé lui-même trouve à se loger de la référence à la lettre.
En d’autres termes le sujet est divisé comme partout par le langage, mais un de ses registres peut se satisfaire de la référence à l’écriture et l’autre de la parole.
C’est sans doute ce qui a donné à Roland Barthes ce sentiment enivré que de toutes ces manières le sujet japonais ne fait enveloppe à rien. L’Empire des signes, intitule-t-il son essai voulant dire: empire des semblants.
Le Japonais, m’a-t-on dit, la trouve mauvaise. Car rien de plus distinct du vide creusé par l’écriture que le semblant. Le premier est godet prêt toujours à faire accueil à la jouissance, ou tout au moins à l’invoquer de son artifice.
D’après nos habitudes, rien ne communique moins de soi qu’un tel sujet qui en fin de compte ne cache rien. Il n’a qu’à vous manipuler: vous êtes un élément entre autres du cérémonial où le sujet se compose justement de pouvoir se décomposer. Le bunraku, théâtre des marionnettes, en fait voir la structure toute ordinaire pour ceux à qui elle donne leurs mœurs elles-mêmes.
Aussi bien, comme au bunraku tout ce qui se dit pourrait-il être lu par un récitant. C’est ce quia dû soulager Barthes. Le Japon est l’endroit où il est le plus naturel de se soutenir d’un ou d’une interprète, justement de ce qu’il ne nécessite pas l’interprétation.
C’est la traduction perpétuelle faite langage.
Ce que j’aime, c’est que la seule communication que j’y aie eue (hors les Européens avec lesquels je sais manier notre malentendu culturel), c’est aussi la seule qui là-bas comme ailleurs puisse être communication, de n’être pas dialogue: à savoir la communication scientifique.
Elle poussa un éminent biologiste à me démontrer ses travaux, naturellement au tableau noir. Le fait que, faute d’information, je n’y compris rien, n’empêche pas d’être valable ce qui restait écrit là. Valable pour les molécules dont mes descendants se feront sujets, sans que j’aie jamais eu à savoir comment je leur transmettais ce qui rendait vraisemblable qu’avec moi je les classe de pure logique, parmi les êtres vivants.
Une ascèse de l’écriture ne me semble pouvoir passer qu’à rejoindre un « c’est écrit » dont s’instaurerait le rapport sexuel.

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ANNEXE 2
Texte de la Leçon 9
écrit par Lacan

Nous donnons ci-après, et tel qu’il a été communiqué à l’époque par Lacan à Charles Melman, le texte écrit préalablement à son énonciation de la Leçon 9. Y figurent également les notes manuscrites de l’auteur.

[Ce texte a été scanné en mode « image » et peut demander quelques instants avant d’apparaître à l’écran]

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172 PAGE BLANCHE













































TABLE DES MATIERES

Note liminaire 7
Leçon 1(13 janvier 1971) 9
Leçon 2 (20 janvier 1971) 21
Leçon 3(10 février 1971) 35
Leçon 4 (17 février 1971) 49
Leçon 5(10 mars 1971) 71
Leçon 6 (17 mars 1971) 87
Leçon 7 (12 mai 1971). Lituraterre 101
Leçon 8(19 mai 1971) 115
Leçon 9 (9juin 1971) 131
Leçon 10(16 juin 1971) 145
Annexes 159
Annexe I. Lituraterre (texte publié) 161
Annexe II. Leçon 9 (texte écrit par Lacan) 171

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note : bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un émail.
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