XVIII- d'un discours qui ne serait pas 
  du semblant
          
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16 juin 1971
Je vais essayer aujourd’hui de fixer le sens de 
  cette route par laquelle je vous ai mené cette année sous le titre 
  D’un discours qui ne serait pas du semblant. Cette hypothèse, car 
  c’est au conditionnel que ce titre vous est présenté, cette 
  hypothèse est celle dont se justifie tout discours. N’omettez pas 
  que l’année dernière j’ai essayé d’articuler 
  en quatre discours typiques, ces discours qui sont ceux auxquels vous avez affaire, 
  dans un certain ordre instaurés, qui bien sûr ne se justifie lui-même 
  que de l’histoire. Si je les ai brisés en quatre, c’est ce 
  que je crois avoir justifié du développement que je leur ai donné 
  et de la forme que dans un écrit dit Radiophonie paradoxalement, pas 
  tellement que ça si vous avez entendu ce que j’ai dit la dernière 
  fois, un certain ordre donc dont cet écrit vous rappelle les termes et 
  du glissement, du glissement toujours syncopé, du glissement de quatre 
  termes dont il y a toujours deux qui font béance. Ces discours que j’ai 
  désignés nommément du discours du maître, du discours 
  universitaire, du discours que j’ai privilégié du terme 
  de l’hystérique et du discours de l’analyste, que je les 
  ai employés, ces discours ont la propriété de toujours 
  avoir leur point d’ordonnance, qui est aussi celui d’ailleurs dont 
  je les épingle, d’être à partir du semblant. Qu’est-ce 
  que le discours analytique a de privilégié d’être 
  celui qui nous permet, en somme, les articulant ainsi, de les répartir 
  aussi en quatre dispositions fondamentales. C’est paradoxal, c’est 
  singulier que, une pareille énonciation se présente comme au terme 
  de ce que celui qui se trouve être à l’origine du discours 
  analytique, à savoir Freud, a permis. Il ne l’a pas permis à 
  partir de rien. Il l’a permis à partir de ce qui se présente; 
  je l’ai bien des fois articulé comme étant le principe de 
  ce discours du maître, à savoir ce qui se
  
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  privilégie d’un certain savoir qui éclaire l’articulation 
  au savoir de la vérité. Il est à proprement parler prodigieux 
  que ceux-là mêmes qui, pris dans certaines perspectives, celles 
  que nous pourrions définir de se poser comme au regard de la société, 
  ceux donc qui, dans cette perspective se présentent comme des infirmes, 
  soyons plus aimables, comme des boiteux, et l’on sait que beauté 
  boite, à savoir les névrosés, et nommément les hystériques 
  et les obsessionnels, ce soit d’eux que partit, que soit parti ce trait 
  de lumière foudroyant qui traverse de long en large la demansion que 
  conditionne le langage. La fonction qu’est la vérité, voire, 
  à l’occasion voire, chacun sait la place que cela tient dans l’énonciation 
  de Freud, voire cette cristallisation qu’est ce que nous connaissons sous 
  sa forme moderne, ce que nous connaissons de la religion, et nommément 
  la tradition judéo-chrétienne sur laquelle porte tout ce qu’a 
  énoncé Freud à propos des religions.
  Ceci est cohérent, je le rappelle, avec cette opération de subversion, 
  de ce qui jusqu’alors s’était soutenu à travers toute 
  une tradition sous le titre de la connaissance, et cette opération s’origine 
  de la notion de symptôme. Il est important historiquement de s’apercevoir 
  que ce n’est pas là que réside la nouveauté de l’introduction 
  à la psychanalyse réalisée par Freud. La notion de symptôme, 
  comme je l’ai plusieurs fois indiqué, et comme il est très 
  facile de le repérer, à la lecture de celui qui en est responsable, 
  à savoir de ~ Ce qu’il y a dans la théorie de la connaissance 
  de fondamentale duperie, cette dimension du semblant qu’introduit la duperie 
  dénoncée comme telle par la subversion marxiste, le fait que ce 
  qui est dénoncé, c’est justement toujours dans une certaine 
  tradition parvenue à son acmé avec le discours hégélien, 
  que quelque semblant est instauré en fonction de poids et mesure si je 
  puis dire, à tenir pour argent comptant, et ce n’est pas pour rien 
  que j’emploie ces métaphores, puisque c’est autour de l’argent, 
  autour du capital comme tel que joue le pivot de cette dénonciation qui 
  fait résider dans le fétiche ce quelque chose, un retour de la 
  pensée, à remettre à sa place, et très précisément 
  en tant que semblant.
  Le singulier de cette remarque est tout de même fait aussi pour nous faire 
  apercevoir qu’il ne suffit pas que quelque chose s’énonce 
  dans cette dénonciation qui se pose comme vérité, au nom 
  de laquelle émerge, se promeut, la plus-value en étant le ressort, 
  de ce qui réduisait à son semblant, ce qui jusque-là se 
  soutenait d’un certain nombre de méconnaissances délibérées; 
  il ne suffit pas, remarquai-je, et l’histoire le démontre, que 
  cette irruption de la vérité se produise pour que pour autant 
  soit abattu ce qui se soutient de ce discours. Ce discours que nous pourrions 
  appeler dans l’occasion du capitaliste, en tant qu’il est détermination 
  du discours du maître, y trouve bien en fait, et bien plutôt son
  
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  complément. Il apparaît que, loin que le discours capitaliste se 
  porte plus mal de cette reconnaissance comme telle de la fonction de la plus-value, 
  il n’en subsiste pas moins puisque aussi bien un capitalisme repris dans 
  un discours du maître est bien ce qui semble distinguer les suites politiques 
  qui ont résulté sous forme d’une révolution politique, 
  qui ont résulté de la dénonciation marxiste de ce qu’il 
  en est d’un certain discours du semblant.
  C’est bien en quoi je ne m’appesantirai pas ici sur ce qu’il 
  en est de la mission historique par là dévouée, dans le 
  marxisme, ou tout au moins dans ses manifestes, dévouée aux prolétaires. 
  Il y a là, je dirais, un reste d’entification humaniste qui, en 
  quelque sorte, prolifère sur celui qui assure ce qui, dans le capitalisme 
  se trouve le plus dépouillé, n’en montre pas moins que quelque 
  chose subsiste, qui le fait subsister effectivement dans cet état de 
  dépouillement, et que le fait qu’il soit le support, le support 
  de ce qui se produit sous l’espèce de la plus-value, n’est 
  pas pour autant quelque chose qui d’aucune façon nous libère 
  de l’articulation de ce discours.
  C’est bien en quoi cette dénonciation nous reporte à une 
  interrogation sur ce quelque chose qui pourrait être plus Originel, et 
  qui se trouverait dans l’origine même de tout discours en tant qu’il 
  est discours du semblant. C’est bien en quoi aussi ce que j’ai articulé 
  sous le terme du plus-de-jouir vous reporte à ce qui est interrogé 
  dans le discours freudien comme mettant en cause le rapport de quelque chose 
  qui s’articule à proprement parler et à nouveau comme vérité, 
  en opposition à un semblant, et cette vérité est cette 
  opposition, et cette dialectique de la vérité et du semblant se 
  trouve, si ce que Freud a dit a un sens, se situe au niveau de ce que j’ai 
  désigné du terme de rapport sexuel.
  J’ai en somme osé articuler, inciter à ce qu’on s’aperçoive 
  que si cette révélation qui nous est fournie par le savoir du 
  névrosé concernant quelque chose, n’est rien d’autre 
  que ceci qui s’articule d’il n‘y a pas de rapport sexuel, 
  qu’est-ce que cela veut dire ? Non pas certes que le langage, puisque 
  déjà, déjà, je le dis, il n’y a pas de rapport 
  sexuel, c’est quelque chose qui peut se dire puisque maintenant, c’est 
  dit, mais bien sûr il ne suffit pas de le dire, il faut encore le motiver, 
  et les motifs nous les prenons dans notre expérience prise du fil suivi 
  de ce qui s’accroche à cette béance fondamentale et ce fil 
  suivi se noue, là est son départ central, enroulé autour 
  de ce vide, dans ce que je nomme le discours du névrosé.
  La dernière fois, j’ai assez fait sentir, assez souligné, 
  tenté d’amorcer d’un écrit comment peut se situer 
  ce qu’il en est du point de départ de ce fil. J’ai l’intention 
  aujourd’hui, non pas bien sûr, la chose est au-delà, à 
  la limite de tout ce qui peut se dire dans cet espace limité d’un 
  séminaire, non pas de ce que le névrosé indique
  
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  de son rapport à cette distance, mais de ce que les mythes, les mythes 
  dont s’est formé, si je puis dire, non pas toujours sous la dictée, 
  mais en écho au discours du névrosé, le mythe que Freud 
  a forgé. Pour pouvoir le faire dans un terme si court, il faut partir 
  de ce point central, qui est aussi point d’énigme, du discours 
  psychanalytique, du discours psychanalytique en tant qu’il n’est 
  ici qu’à l’écoute de ce discours dernier, de celui 
  qui ne serait pas le discours du semblant. Il est à l’écoute 
  d’un discours qui ne serait pas et qui aussi bien n’est pas. Je 
  veux dire que ce qui s’indique n’est que la limite imposée 
  au discours, quand il s’agit du rapport sexuel. J’ai essayé, 
  quant à moi, au point où j’en suis, où j’avance 
  de tout ce qui pourrait s’en formuler plus avant, de vous dire que c’est 
  de son échec au niveau d’une logique, d’une logique qui se 
  soutienne de ce dont toute logique se soutient, à savoir de l’écriture. 
  La lettre de l’œuvre de Freud est une oeuvre écrite. Mais 
  aussi bien aussi que ce qu’elle dessine de ces écrits, c’est 
  quelque chose qui entoure une vérité voilée, obscure, celle 
  qui s’énonce de ceci que, un rapport sexuel, et tel qu’il 
  passe dans un quelconque accomplissement, ne se soutient, ne s’assied, 
  que de cette composition entre la jouissance et le semblant, qui s’appelle 
  la castration. Que nous la voyons ressurgir à tout instant dans le discours 
  du névrosé, mais sous la forme d’une crainte, d’un 
  évitement, c’est justement en cela que la castration reste énigmatique, 
  qu’aucune en somme de ses réalisations n’est aussi mouvante, 
  chatoyante, ou aussi bien l’exploration de la psychopathologie des phénomènes 
  analysables, tout au moins de cette psychopathologie, que les excursions dans 
  l’ethnologie le permettent, il n’en reste pas moins que quelque 
  chose dont se distingue tout ce qui est évoqué comme castration, 
  nous le voyons, sous quelle forme ? sous la forme toujours d’un évitement. 
  Si le névrosé, si je puis dire, témoigne de l’intrusion 
  nécessaire de ce que j’ai appelé à l’instant 
  cette composition de la jouissance et du semblant qui se présente comme 
  la castration, c’est justement en ce qu’il s’y montre de quelque 
  façon inapte, et si tout ce qu’il en est des rituels d’initiation 
  qui, comme vous le savez, ou si vous ne le savez pas, reportez-vous aux ouvrages 
  techniques, et pour en prendre deux qui sont produits de l’intérieur 
  du champ analytique même, je vous désigne respectivement les Problèmes 
  of Bisexuality as reflected in circuncision c’est-à-dire Problèmes 
  de la bisexualité en tant que réfléchis dans la circoncision, 
  d’Hermann Nunberg, paru à Englewoods, c’est-à-dire 
  en fin de compte à l’Imago Publishing de Londres, et d’autre 
  part, l’ouvrage intitulé Symbolic Wounds, Blessures symboliques, 
  de Bruno Bettelheim. Vous y verrez déployée dans toute son ambiguïté, 
  dans son flottement fondamental, l’hésitation, en quelque sorte, 
  de la pensée analytique entre une ordonnance explicative qui fait d’une 
  crainte de la castration laissée tout
  
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  à fait opaque et en quelque sorte au petit bonheur, ou malheur, comme 
  vous voudrez, des accidents par lesquels se présente quelque chose qui 
  dans ce registre ne serait que l’effet d’on ne sait quel malentendu. 
  Sur ce taillis de préjugés, de maladresses, de quelque chose de 
  rectifiable, ou au contraire d’une pensée qui s’aperçoit 
  qu’il y a bien là quelque chose de la constance, à tout 
  le moins, un nombre immense de productions que nous pouvons enregistrer sur 
  tous les registres, encore que les catalogues soient plus ou moins bien faits, 
  que ce soit ceux de l’ethnologie ou de la psychopathologie, que j’évoquais 
  tout à l’heure, il y en a d’autres, nous mettent en face 
  de ceci que c’est de – et Freud l’exprime à l’occasion, 
  c’est fort bien dit dans Malaise dans la civilisation —‘ c’est 
  à propos de quelque chose qui après tout ne rend pas si nouveau 
  ce que j’ai formulé de l’il n’y a pas de rapport sexuel, 
  il dit que, il indique bien sûr comme je l’ai fait, en terme tout 
  à fait clairs, que sans doute, là-dessus, très précisément 
  à propos des rapports sexuels, quelque fatalité s’inscrit 
  qui y rend nécessaire ce qui alors apparaît comme étant 
  les moyens, les ponts, les passerelles, les édifices, les constructions, 
  pour tout dire, qui à la carence, à la carence de ce rapport sexuel, 
  pour autant qu’après tout, dans une sorte d’inversion respective, 
  tout discours possible n’en apparaîtrait que comme le symptôme, 
  à l’intérieur de ce rapport sexuel, ménage dans les 
  conditions que comme à l’ordinaire nous reportons dans la préhistoire, 
  dans les domaines extra-historiques, qui dans ces conditions-là, donne 
  une sorte de réussite de ce qui pourrait s’établir d’artificiel, 
  de suppléant, de suppléant à ce qui manque, inscrit en 
  somme dans l’être parlant sans qu’on puisse savoir si c’est 
  de ce qu’il soit parlant que c’en est ainsi, ou au contraire de 
  ce que l’origine soit que le rapport n’est pas parlable, il faut 
  que s’élabore pour tous ceux qui habitent le langage, il faut que 
  pour eux s’élabore ce quelque chose qui rend possible sous la forme 
  de la castration, la béance laissée dans ce quelque chose de pourtant 
  essentiel, biologiquement essentiel, biologiquement essentiel à la reproduction 
  de ces êtres comme vivants, à ce que leur race demeure féconde, 
  tel est bien en effet le problème à quoi semble faire face tout 
  ce qu’il en est des rituels d’initiation. Que ces rituels d’initiation 
  comprennent des... appelons-les manipulations, opérations, incisions, 
  circoncisions, qui visent et mettent leur marque très précisément 
  sur l’organe que nous voyons fonctionner comme symbole dans ce qui par 
  l’expérience analytique nous est présenté comme allant 
  bien au-delà du privilège de l’organe, puisque c’est 
  le phallus, et que le phallus, en tant que c’est à ce tiers que 
  s’ordonne tout ce qui, en somme, met en impasse la jouissance, qui fait 
  de l’homme et de la femme, en tant que nous les définirions d’un 
  simple épinglage biologique, ces êtres qui très précisément 
  sont avec la jouissance sexuelle et d’une
  
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  façon élective parmi toutes les autres jouissances, en difficulté 
  avec elle, c’est bien de cela qu’il s’agit et c’est 
  de là que nous devons repartir si nous voulons que se maintienne un sens 
  correct à ce qui s’inaugure du discours analytique.
  Et que si c’est, on le suppose, quelque chose de défini, c’est 
  ce que nous appelons la castration, [qui] aurait le privilège de parer 
  à ce quelque chose dont l’indécidable fait le fond du rapport 
  sexuel, pour autant que la jouissance, il la donne ordonnée, au regard 
  de ceci qui me semble ne pas être évitable, je parle de ces énoncés, 
  la dramaturgie de contrainte qui fait le quotidien du discours analytique est 
  tout à fait contraire — ceci, c’est une remarque qui fait 
  la valeur du second, celui de Bruno Bettelheim, que je vous ai pointé 
  — qui est évidemment tout à fait contraire avec ceci qui 
  est la seule chose importante, il ne s’agit pas de repousser dans la préhistoire 
  ce qu’il en est des rituels d’initiation, les rituels d’initiation, 
  comme tout ce que nous pouvons avoir envie de repousser dans la préhistoire, 
  ils sont là, ils existent toujours, ils sont vivants de par le monde, 
  il y a encore des Australiens qui se font circoncire ou sub-inciser, il y a 
  des zones entières de la civilisation qui s’y soumettent, et méconnaître 
  dans un siècle dit de lumière que ces pratiques non seulement 
  subsistent mais sont fo-rides, se portent fort bien, et c’est évidemment 
  de là qu’il faut partir, pour nous apercevoir que ce n’est 
  d’aucune dramaturgie concevable de contrainte que ce soit, il n’y 
  a pas d’exemple que ce soit seulement la contrainte, il s’agit encore 
  de savoir ce que veut dire une contrainte; une contrainte n’est jamais 
  que la production de quelque chose que la prétendue prévalence 
  d’une prétendue supériorité physique ou autre, elle 
  se supporte précisément de signifiants, et si c’est la loi, 
  la règle, qui est ici telle, que tel sujet veuille bien se soumettre, 
  c’est bien pour des raisons, et ces raisons, c’est ce qui nous importe. 
  Et ce qui nous importe, et c’est là que nous devons bien plutôt 
  interroger quelle est la complaisance pour employer un terme qui, pour nous 
  mener tout droit à l’hystérique, et qui n’en est pas 
  moins d’une portée extrêmement générale, cette 
  complaisance qui fait que subsiste bel et bien et en des temps tout à 
  fait historiques ce qu’il en est de ce qui se présente comme quelque 
  chose dont à soi seul, l’image serait insupportable, elle est peut-être 
  insupportable comme telle, c’est de cela dont il s’agit, c’est 
  de savoir pourquoi.
  C’est là que je reprends mon fil, c’est à suivre ce 
  fil que nous donnons sens à ce qui s’articule dans le langage dans 
  ce que j’appellerai cette parole inédite, car inédite jusqu’à 
  une certaine époque, elle, bel et bien historique et à notre portée, 
  cette parole inédite, et qui se présente, en somme, comme devant 
  toujours pour une part le rester, il n’y a pas d’autre définition 
  à donner de l’inconscient. 
  
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  Venons-en maintenant à l’hystérique puisqu’il me plaît 
  de partir de l’hystérique, pour essayer de voir où nous 
  conduit ce fil. L’hystérique, nous nous sommes demandé, 
  n’est-ce pas, qu’est-ce que c’est, mais justement c’est 
  cela le sens, c’est qu’à une pareille question: « Qu’est-ce 
  que c’est ? », qu’est-ce que c’est, qu’est-ce 
  que ça veut dire, l’hystérique en personne? Il me semble 
  avoir travaillé assez longtemps à partir de l’imaginaire, 
  pour indiquer « qu’en personne », rappeler simplement, ce 
  qui est déjà... inscrit dans les termes « en personne»... 
  en masque, aucune réponse de départ ne peut être donnée 
  de ce sens. A la question « Qu’est-ce que l’hystérique 
  ? », la réponse du discours de l’analyste, c’est:
  « Vous le verrez bien », vous le verrez bien, justement, à 
  suivre où elle nous conduit. Sans l’hystérique, bien sûr, 
  ne serait nulle part venu au jour ce qu’il en est de ce que j’inscris, 
  de ce que j’inscris, enfin j’essaie de vous donner la première 
  ébauche logique de ce dont il s’agit maintenant, de ce que j’écris 
  F de x, qui est à savoir que la jouissance, cette variable dans la fonction 
  inscrite en x, ne se situe de ce rapport avec ce grand F qui là désigne 
  le phallus, découverte centrale, ou plutôt, redécouverte 
  ou comme vous voudrez rebaptême puisque je vous ai indiqué pourquoi 
  c’est du phallus en tant que semblant dévoilé dans les mystères 
  que le terme est repris, non pas par hasard. Que c’est très précisément, 
  en effet, que c’est au semblant du phallus qu’est rapporté 
  le point pivot, le centre de tout ce qui peut s’ordonner, se contenir 
  de la jouissance sexuelle, que dès les premières approches des 
  hystériques, dès les Studien über Hysterie que Freud nous 
  amène. J’ai, la dernière fois, articulé ceci, qu’en 
  somme, à prendre les choses du point qui peut en effet être interrogé, 
  de ce qu’il en est du discours le plus commun, que si nous voulons, non 
  pas pousser à son terme ce que la linguistique nous indique, mais justement 
  l’extrapoler, à savoir nous apercevoir que rien de ce que le langage 
  nous permet de faire n’est jamais que métaphore, ou bien métonymie, 
  que le quelque chose que toute parole quelle qu’elle soit prétend 
  un instant dénommer ne peut jamais que renvoyer à une connotation, 
  et que s’il y a quelque chose qui puisse au dernier terme s’indiquer 
  comme ce qui de toute fonction appareillée du langage se dénote, 
  je l’ai dit la dernière fois, il n’y a qu’une Bedeutung, 
  die Bedeutung des Phallus, c’est là, seul, ce qui est du langage, 
  dénoté, bien sûr, mais sans que jamais rien n’y réponde, 
  puisque, s’il y a quelque chose qui caractérise le phallus, ça 
  n’est, non pas d’être le signifiant du manque, comme certains 
  ont cru pouvoir entendre certaines de mes paroles, mais d’être assurément 
  en tout cas ce dont ne sort aucune parole. Sinn et Bedeutung, c’est de 
  là, je l’ai rappelé la dernière fois, c’est 
  de cette opposition articulée par le logicien vraiment inaugural qu’est 
  Frege, Sinn et Bedeutung,
  
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  définissent des modèles qui vont plus loin que ceux de connotation 
  et de dénotation. Beaucoup de choses dans cet article dont Frege instaure 
  les deux versants du Sinn et de la Bedeutung, beaucoup de choses sont à 
  retenir, et spécialement pour un analyste.
  Car assurément, sans une référence logique et qui bien 
  sûr ne peut suffire, à la logique classique, à la logique 
  aristotélicienne, sans une référence logique, il est impossible 
  de trouver le point juste en les matières que j’avance. La remarque 
  de Frege tourne toute entière autour de ceci, que portées à 
  un certain point du discours scientifique, ce que nous constatons, c’est 
  par exemple des faits comme celui-ci, que, est-ce la même chose que de 
  dire Vénus ou de l’appeler de deux façons, comme elle fut 
  longtemps désignée l’étoile du soir et l’étoile 
  du matin? Est-ce la même chose de dire Sir Walter Scott et de dire l’auteur 
  de Waverley ? Je préviens ceux qui l’ignoreraient qu’il est 
  effectivement l’auteur de cet ouvrage qui s’appelle Waverley. C’est 
  à l’examen de cette distinction que Frege s’aperçoit 
  qu’il n’est pas possible en tous les cas de remplacer Sir Walter 
  Scott par l’auteur de Waverley. C’est en cela qu’il distingue 
  ceci que l’auteur de Waverley véhicule un sens, un Sinn, et que 
  Sir Walter Scott désigne une Bedeutung. Il est clair que si l’on 
  pose avec Leibnitz que, salva ventate, pour sauver la vérité, 
  il faut poser qu~e tout ce qui se désigne comme ayant une Bedeutung équivalente 
  et qui peut indifféremment se remplacer, et si on met la chose à 
  l’épreuve comme je vais tout de suite la mettre à l’épreuve 
  selon les voies tracées par Frege lui-même, que, peu importe que 
  ce soit George III ou George IV, ça n’a en l’occasion que 
  peu d’importance, demandait, s’informait, de savoir si Sir Walter 
  était l’auteur de Waverley. Si nous remplaçons « l’auteur 
  de Waverley » par « Sir Walter Scott», nous obtenons la phrase 
  suivante: « Le Roi George III s’informait pour savoir si Sir Walter 
  Scott était Sir Walter Scott. » Ce qui bien évidemment n’a 
  absolument pas le même sens. C’est à partir de cette simple 
  remarque, opération logique, que Frege instaure, inaugure sa distinction 
  fondamentale du Sinn et de la Bedeutung. Il est tout à fait clair que 
  cette Bedeutung renvoie bien sûr à une Bedeutung toujours plus 
  lointaine, qui renvoie bien sûr à la distinction de ce qu’il 
  appelle le discours oblique et le discours direct. C’est pour autant que 
  c’est dans une subordonnée que c’est le Roi George III qui 
  demande, que nous devons ici maintenir les Sinn dans leur droit et ne remplacer 
  en aucun cas l’auteur de Waverley par Sir Walter Scott.
  Mais ceci bien sûr est un artifice qui, pour nous, nous mène sur 
  la voie de ceci, à savoir que Sir Walter Scott, dans l’occasion, 
  c’est un nom. Et aussi bien que quand M. Carnap reprend la question de 
  la Bedeutung, c’est par le terme
  
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  nominatum qu’il le traduit. En quoi, justement, il glisse, là, 
  où il n’aurait pas fallu glisser.
  Car ceci que je commente, peut nous permettre d’aller plus loin, mais 
  certainement pas dans la même direction que M. Carnap. C’est celle 
  de ce que veut dire le nom, n.o.m., je le répète, comme la dernière 
  fois. Il nous est très facile de faire ici le joint avec ce que j’ai 
  indiqué tout à l’heure. Je vous ai fait remarquer que le 
  phallus est ceci qui nous met sur la voie de ce point que je désigne 
  ici accentué, c’est que le nom, le nom name, et le nom noun, mais 
  on ne voit bien les choses qu’au niveau du nom propre, comme disait l’autre, 
  le nom, c’est ce qui appelle, sans doute, mais à quoi? C’est 
  ce qui appelle à parler. Et c’est bien ce qui fait le privilège 
  du phallus, c’est qu’on peut l’appeler éperdument, 
  il dira toujours rien.
  Seulement ceci alors donne son sens, donne son sens à ce que j’ai 
  appelé en son temps la métaphore paternelle et c’est là 
  que conduit l’hystérique. La métaphore paternelle, bien 
  sûr, là où je l’ai introduite, c’est-à-dire 
  au niveau de mon article sur la Question préalable à tout traitement 
  possible de la psychose, je l’ai insérée dans le schéma 
  général extrait du rapprochement de ce que nous dit la linguistique 
  sur la métaphore avec ce que l’expérience de l’inconscient 
  nous donne de la condensation. J’ai écrit le S sur S1, multiplié 
  par le S1 sur un petit s, je me suis, comme j’ai écrit également 
  dans L’instance de la lettre, fortement appuyé sur cette face de 
  la métaphore, qui est d’engendrer un sens. Si l’auteur de 
  Waverley, c’est un Sinn, c’est très précisément 
  parce que l’auteur de Waverley remplace quelque chose d’autre, qui 
  est une Bedeutung spéciale, celle que Frege croit devoir épingler 
  du nom de Sir Walter Scott. Mais enfin, il n’y a pas que sous cet angle 
  que j’ai envisagé la métaphore paternelle. Si j’ai 
  écrit quelque part que le Nom du Père, c’est le phallus 
  — Dieu sait quel frémissement d’horreur ceci a évoqué 
  chez quelques âmes pieuses — c’est précisément 
  parce qu’à cette date, je ne pouvais pas l’articuler mieux. 
  Ce qui est sûr c’est que c’est le phallus, bien sûr, 
  mais que c’est tout de même le Nom du Père. Ce qui est nommé 
  Père, le Nom du Père, si c’est un nom qui, lui, a une efficace, 
  c’est précisément parce que quelqu’un se lève 
  pour répondre. Sous l’angle de ce qui se passait dans la détermination 
  psychotique de Schreber, c’est en tant que signifiant, signifiant capable 
  de donner un sens au désir de la mère, qu’à juste 
  titre je pouvais situer le Nom du Père. Mais au niveau de ce dont il 
  s’agit quand c’est, disons, l’hystérique qui l’appelle, 
  ce dont il s’agit c’est que quelqu’un parle. Je voudrais ici 
  vous faire observer que si Freud a quelquefois essayé d’approcher 
  d’un peu plus près cette fonction du Père qui est tellement 
  essentielle au discours analytique, qu’on peut
  
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  dire d’une certaine façon qu’elle en est le produit, si je 
  vous écris le discours analytique: a / S2, c’est-à-dire 
  l’analyste sur ce qu’il a de savoir par le névrosé, 
  qui questionne le sujet pour produire quelque chose, on peut dire que le signifiant 
  maître, jusqu’à présent, du discours analytique, c’est 
  bien le Nom du Père. Il est extrêmement curieux qu’il ait 
  fallu le discours analytique pour que là-dessus se posent les questions. 
  Qu’est-ce qu’un Père ? Freud n’hésite pas à 
  articuler que c’est le nom par essence qui implique la foi. C’est 
  la façon dont il s’exprime. Nous pourrions peut-être tout 
  de même en désirer un petit peu plus. Après tout, à 
  prendre les choses au ras du niveau biologique, on peut parfaitement concevoir 
  que la reproduction de l’espèce humaine — ça s’est 
  déjà fait, c’est sorti déjà de l’imagination 
  d’un romancier — se produise sans aucune espèce d’intervention 
  elle-même désignée sous le nom du Père, l’insémination 
  artificielle ne serait pas là pour rien. Qu’est-ce qui en somme 
  fait présence — qui n’est pas d’hier —, n’est-ce 
  pas de cette essence du père, et après tout, est-ce que nous-mêmes 
  analystes, nous savons bien ce que c’est ? Je voudrais tout de même 
  vous faire remarquer ceci, c’est que dans l’expérience analytique, 
  le Père n’est jamais qu’un référentiel. Nous 
  interprétons telle ou telle relation avec le père. Est-ce que 
  nous analysons jamais quelqu’un en tant que père ? Qu’on 
  m’apporte une observation. Le père est un terme de l’interprétation 
  analytique. A lui se réfère quelque chose.
  C’est à la lumière de ces remarques — il faut bien 
  que j’abrège — que je voudrais quand même vous situer 
  ce qu’il en est du mythe de l’Œdipe. Le mythe de l'Œdipe 
  fait en quelque sorte tracas, n’est-ce pas, parce que soi-disant il instaure 
  la primauté du père, qui serait une espèce de reflet patriarcal. 
  Je voudrais vous faire sentir quelque chose qui, ce par quoi, à moi tout 
  au moins, il ne me paraît pas du tout un reflet patriarcal. Bien loin 
  de là. Il nous fait apparaître seulement ceci, un point d’abord 
  par où la castration pourrait être serrée, d’un abord 
  logique et, de cette façon, que je désignerai d’être 
  numérale.
  Le père, non seulement est castré, mais il est précisément 
  castré au point de n’être qu’un numéro. Ceci 
  s’indique tout à fait clairement dans les dynasties, tout à 
  l’heure je parlais d’un roi, je ne savais plus comment l’appeler, 
  George III ou George IV,... pensez bien c’est justement ce qui me paraît 
  le plus typique, dans cette présentation de la paternité, à 
  savoir que, en réalité, c’est comme ça que ça 
  se passe, George I, George II, George III, George IV. Mais enfin, il est bien 
  évident que ça n’épuise pas la question, parce que... 
  il n’y a pas seulement le numéro, il y a un nombre. Pour tout dire, 
  j’y vois le point d’aperception de la série des nombres naturels, 
  comme on s’exprime. Et comme on s’exprime pas si
  
— 155 —
  mal, car après tout c’est très proche de la nature, je voudrais 
  vous faire remarquer que puisqu’on évoque toujours à l’horizon 
  de l’histoire ce qui, bien entendu, est une raison de suspicion extrême, 
  je voudrais vous faire simplement remarquer ceci, c’est que le matriarcat, 
  comme on s’exprime, n’a aucun besoin d’être repoussé 
  à la limite de l’histoire.
  Le matriarcat consiste essentiellement en ceci, c’est que, pour ce qui 
  est de la mère comme production, il n’y a pas de doute. On peut 
  à l’occasion perdre sa mère dans le métro, bien sûr, 
  mais enfin il n’y a pas de doute sur qui est la mère. Il n’y 
  a également aucun doute sur qui est la mère de la mère. 
  Et ainsi de suite. La mère, dans sa lignée, je dirai, est innombrable. 
  Elle est innombrable dans tous les sens propres du terme, elle n’est pas 
  à numérer parce que il n’y a pas de point de départ. 
  La lignée maternelle a beau être nécessairement en ordre, 
  on ne peut la faire partir de nulle part. Je pourrai vous faire remarquer d’autre 
  part ceci qui paraît être la chose qu’on touche le plus couramment 
  du doigt, parce que après tout ce n’est pas rare, il n’est 
  pas du tout rare qu’on puisse avoir pour père son grand-père. 
  Je veux dire pour vrai père. Et même son arrière-grand-père. 
  Oui! Parce que... les gens vivaient comme il nous est dit dans la première 
  lignée des patriarches, aux environs de neuf cents ans, j’ai revu 
  ça récemment, c’est très piquant, c’est d’un 
  truquage absolument sensationnel. Tout est fait pour que les deux ancêtres 
  les plus directs de Noé là, soient morts juste au moment où 
  le déluge se produit. On voit ça, c’est fignolé, 
  enfin mettons ça de côté, c’est simplement pour vous 
  mettre dans la perspective de ce qu’il en est du père.
  De ceci, voyez-vous, ce qui résulte — je suis forcé d’aller 
  un peu vite, parce que l’heure s’avance — c’est que 
  si nous définissons l’hystérique par ceci, définition 
  qui ne lui est pas particulière, le névrosé, à savoir 
  l’évitement de la castration, il y a plusieurs façons de 
  l’éviter. L’hystérique a ce procédé 
  simple, c’est qu’elle l’unilatéralise de l’autre 
  côté, du côté du partenaire. Disons qu’à 
  l’hystérique, il faut le partenaire châtré. Qu’il 
  soit châtré, il est clair que c’est au principe de la possibilité 
  de la jouissance de l’hystérique. Mais c’est encore trop. 
  S’il était châtré, il aurait peut-être une petite 
  chance, puisque la castration, c’est justement ce que j’ai émis 
  tout à l’heure, comme étant ce qui permet le rapport sexuel, 
  il faut qu’il soit seulement ce qui répond à la place du 
  phallus.
  Alors, puisque Freud lui-même nous indique, je ne vous dirai pas, tout 
  de même, à quelle page, nous indique lui-même que tout ce 
  qu’il élabore comme mythe — ceci est à propos du Moïse: 
  «Je n’en ferai pas ici la critique», dit-il de ce qu’il 
  a lui-même écrit, à la date où il le publie en 1938, 
  sur son hypothèse historique, à savoir celle qu’il a rénovée 
  de Sellin, « car tous les résultats acquis »,
  
— 156 —
  dit la traductrice, « constituent les déductions psychologiques 
  qui en découlent et sans cesse s’y rapportent», comme vous 
  le voyez, ça ne veut rien dire. En allemand, ça veut dire quelque 
  chose, c’est « denn sie bilden die Voraussetzung », car ils 
  forment la supposition, « der psychologischen Erörterungen », 
  des manifestations psychologiques, qui, de ces données, « von ihnen 
  ausgehren », découlent et toujours de nouveau, « auf sie 
  zurückkommen », y font retour. C’est bien en effet sous la 
  dictée de l’hystérique, que, non pas s’élabore, 
  car jamais Œdipe n’a été par Freud véritablement 
  élaboré, il est indiqué en quelque sorte, à l’horizon, 
  dans la fumée, si l’on peut dire, de ce qui s’élève 
  comme sacrifice de l’hystérique. Mais observons bien ce que veut 
  dire maintenant cette nomination, cette réponse à l’appel 
  du père dans l’Œdipe.
  Si je vous ai dit tout à l’heure que ça introduit la série 
  des nombres naturels, c’est que là, nous avons, ce qui à 
  la plus récente élaboration logique de cette série, à 
  savoir celle de Péano, s’est avéré nécessaire, 
  c’est à savoir pas simplement le fait de la succession, quand on 
  essaie d’axiomatiser la possibilité d’une telle série, 
  on rencontre la nécessité du zéro pour poser le successeur. 
  Les axiomes minimaux de Péano — je n’insiste pas sur ce qui 
  a pu se produire en commentaire, en marge comme perfectionnement — mais 
  la dernière formule, c’est celle qui pose le zéro comme 
  nécessaire à cette série, faute de quoi, elle ne saurait 
  d’aucune façon être axiomatisée, et faute de quoi 
  elle serait donc innombrable, comme je disais tout à l’heure. L’équivalence 
  logique de la fonction est très précisément ceci que cette 
  fonction dont je me suis servi est trop souvent liée, je ne peux le faire 
  qu’en marge et très rapidement, je vous ferai observer que nous 
  entrerons dans le deuxième millénaire en l’an 2000 ,que 
  je sache. Si simplement vous admettez ça — d’un autre côté, 
  vous pouvez aussi bien ne pas l’admettre — mais si simplement vous 
  admettez ça, je vous ferai remarquer que ça rend nécessaire 
  qu’il y ait eu un an zéro, après la naissance du Christ. 
  C’est ce que les auteurs du calendrier républicain avaient oublié. 
  La première année, ils l’ont appelé l’an 1 
  de la République. Ce zéro est absolument essentiel à tout 
  repérage chronologique naturel. Et alors nous comprenons ce que veut 
  dire le meurtre du Père.1 Il est curieux, singulier, n’est-ce pas, 
  que ce meurtre du Père n’apparaisse jamais même dans les 
  drames, comme le fait remarquer avec pertinence quelqu’un qui a écrit 
  là-dessus un pas mauvais chapitre, que même dans les drames, il 
  n’y a jamais, aucun dramaturge n’a osé, s’exprime l’auteur, 
  faire présenter, manifester, le meurtre délibéré 
  d’un père par le fils. Faites bien attention à ça, 
  même dans le théâtre grec, ça n’existe pas et 
  un Père en tant que Père. Par contre, c’est tout de même 
  le terme « meurtre du Père » qui paraît au centre de 
  ce que Freud élabore
  
— 157 —
  à partir des données que constitue, du fait de l’hystérique, 
  et de son bord, le refus de la castration. Est-ce que ce n’est pas justement 
  en tant que le meurtre du Père, ici, est le substitut de cette castration 
  refusée, que l’Œdipe a pu venir s’imposer à la 
  pensée de Freud dans la filière de ces abords de l’hystérique 
  ? Il est clair que dans la perspective hystérique, c’est le phallus 
  qui féconde, et que ce qu’il engendre, c’est lui-même, 
  si l’on peut dire. La fécondité est forgerie phallique, 
  et c’est bien par là que tout enfant est reproduction du phallus, 
  en tant qu’il est gros, si je puis m’exprimer ainsi, de son engendrement.
  Mais alors, nous entrevoyons aussi, puisque c’est du papludun que je vous 
  ai inscrit la possibilité logifiée du choix dans cette relation 
  insatisfaite du rapport sexuel, que c’est du papludun que je vous l’ai 
  désigné. C’est par-là que les incroyables complaisances 
  de Freud pour un monothéisme dont il va chercher le modèle, chose 
  très curieuse, bien ailleurs que dans sa tradition, il lui faut que ça 
  soit Akhénaton. Rien n’est plus ambigu, je dirai, sur le plan sexuel, 
  que ce monothéisme solaire, à le voir rayonner de tous ses rayons 
  pourvus de petites mains qui iront chatouiller les naseaux d’innombrables 
  menus humains, enfants, de l’un et l’autre sexe, dont il est, dans 
  cette imagerie de la structure oedipienne, tout à fait frappant que, 
  c’est le cas de le dire, ils se ressemblent comme des frères, et 
  encore plus comme des sœurs. Si le mot sublime peut avoir un sens ambigu, 
  c’est bien là. Puisque aussi bien ce n’est pas pour rien 
  que les dernières images monumentales, celles que j’ai pu voir 
  la dernière fois que j’ai quitté le sol égyptien, 
  d’Akhenaton, sont des images non seulement châtrées mais 
  carrément féminines.
  Il est tout à fait clair que si la castration a un rapport au phallus, 
  ça n’est pas là que nous pouvons le désigner. Je 
  veux dire que si je fais le petit schéma qui correspondrait au pas tous 
  ou au pas toutes, comme désignant un certain type de la relation au ? 
  de x, c’est bien dans ce sens que c’est au ? de x que, tout de même, 
  que se rapportent les élus. Le passage à la médiation, 
  entre guillemets, n’est bien celle que de cet au moins un que je soulignai 
  et que nous retrouverons dans Péano par ce n + 1 toujours répété, 
  celui qui en quelque sorte suppose que le n qui le précède se 
  réduit à zéro. Par quoi ? Précisément, par 
  le meurtre du Père. Par cette... ce repérage de, si l’on 
  peut dire, le détour, la façon pour employer le terme de Frege 
  lui-même, c’est bien le cas de le dire, oblique, ungerade, dont 
  le sens du meurtre du Père se rapporte à une autre Bedeutung, 
  c’est là qu’il faudra bien que je me limite aujourd’hui, 
  m’excusant de n’avoir pas pu pousser plus loin les choses. Ça 
  sera donc pour l’année prochaine, je regrette que les choses se 
  soient cette année, aient été ainsi forcément tronquées, 
  mais vous pourrez voir
  
— 158 —
  que Totem et Tabou par contre, à savoir ce qui met du côté 
  du Père la jouissance originelle, est quelque chose à quoi ne 
  répond pas moins un évitement strictement équivalent de 
  ce qu’il en est de la castration, strictement équivalent. Ce en 
  quoi se marque bien ceci que l’obsessionnel, l’obsessionnel pour 
  répondre à la formule : il n y a pas de x qui existe qui puisse 
  s’inscrire dans la variable ? de x, l’obsessionnel, comment l’obsessionnel 
  se dérobe. Il se dérobe simplement de ceci, de ne pas exister. 
  C’est le quelque chose auquel, pourquoi pas, nous renouerons la suite 
  de notre discours, l’obsessionnel en tant que, il est dans la dette de 
  ne pas exister au regard de ce Père non moins mythique qui est celui 
  de Totem et Tabou, comment? C’est là que s’attache, que s’attache 
  réellement tout ce qu’il en est d’une certaine édification 
  religieuse, et de ce en quoi elle n’est, hélas, pas réductible, 
  et même pas de ce que Freud accroche à son second mythe, celui 
  de Totem et Tabou, à savoir ni plus ni moins que sa seconde topique, 
  c’est ce que nous pourrons développer ultérieurement. Car 
  notez-le, la seconde topique, sa grande innovation, c’est le surmoi.
  Quelle est l’essence du surmoi? C’est là-dessus que je pourrai 
  finir en vous donnant quelque chose dans le creux de la main, que vous pourrez 
  essayer de manipuler par vous-même, quelle est l’ordonnance du surmoi 
  ? Précisément, elle s’origine de ce père originel, 
  plus que mythique, de cet appel comme tel à la jouissance pure, c’est-à-dire 
  aussi à la non-castration. Et qu’est-ce que ce Père en effet 
  dit, au déclin de l’Œdipe ? Il dit ce que dit le surmoi. Ce 
  que dit le surmoi – ce n’est pas pour rien que je ne l’ai 
  encore jamais vraiment abordé – ce que dit le surmoi, c’est 
  : « Jouis! »
  Tel est l’ordre, l’ordre impossible à satisfaire, et qui 
  comme tel est à l’origine de tout ce qui s’élabore, 
  aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, aux termes de la conscience 
  morale. Pour bien en sentir le jeu de définition, il faut que vous lisiez 
  dans l’Ecclésiaste, sous le titre: « Jouis tant que tu es, 
  jouis », dit l’auteur, énigmatique comme vous le savez, de 
  ce texte étonnant, « Jouis avec la femme que tu aimes. » 
  C’est bien le comble du paradoxe, parce que c’est justement de l’aimer 
  que vient l’obstacle.
  
ANNEXES
159
  
  160 
  161
  Annexe 1 *
Lituraterre
  Ce mot se légitime de l’Ernout et Meillet: lino, litura, lituranius. 
  Il m’est venu, pourtant, de ce jeu du mot dont il arrive qu’on fasse 
  esprit: le contrepet revenant aux lèvres, le renversement à l’oreille.
  Ce dictionnaire (qu’on y aille) m’apporte auspice d’être 
  fondé d’un départ que je prenais (partir, ici est répartir) 
  de l’équivoque dont Joyce (James Joyce, dis-je) glisse d’a 
  letter à a litter, d’une lettre (je traduis) à une ordure.
  On se souvient qu’une « messe-haine » à lui vouloir 
  du bien, lui offrait une psychanalyse, comme on ferait d’une douche. Et 
  de Jung encore...
  Au jeu que nous évoquons, il n’y eût rien gagné, y 
  allant tout droit au mieux de ce qu’on peut attendre de la psychanalyse 
  à sa fin.
  À faire litière de la lettre, est-ce saint Thomas encore qui lui 
  revient, comme l’œuvre en témoigne tout de son long?
  Ou bien la psychanalyse atteste-t-elle là sa convergence avec ce que 
  notre époque accuse du débridement du lien antique dont se contient 
  la pollution dans la culture.
  J’avais brodé là-dessus, comme par hasard un peu avant le 
  mai de 68, pour ne pas faire défaut au paumé de ces affluences 
  que je déplace où je fais visite maintenant, à Bordeaux 
  ce jour-là. La civilisation, y rappelai-je en prémisse, c’est 
  l’égout.
Nous reproduisons ici le texte de la Leçon 7 tel 
  qu’il a été publié dans le n° 3, d’octobre 
  1971, de la revue Littérature, éditée par la Librairie 
  Larousse, consacrée au thème « Littérature et Psychanalyse».
  
— 162 —
  Il faut dire sans doute que j’étais las de la poubelle à 
  laquelle j’ai rivé mon sort. On sait que je ne suis pas seul à, 
  pour partage, l’avouer. L’avouer ou, prononcé à l’ancienne, 
  l’avouère dont Beckett fait balance au doit qui fait déchet 
  de notre être, sauve l’honneur de la littérature, et me relève 
  du privilège que je croirais tenir de ma place.
  La question est de savoir si ce dont les manuels semblent faire étal, 
  soit que la littérature soit accommodation des restes, est affaire de 
  collocation dans l’écrit de ce qui d’abord serait chant, 
  mythe parlé, procession dramatique.
  Pour la psychanalyse, qu’elle soit appendue à l’Œdipe, 
  ne la qualifie en rien pour s’y retrouver dans le texte de Sophocle. L’évocation 
  par Freud d’un texte de Dostoïewski ne suffit pas pour dire que la 
  critique de textes, chasse jusqu’ici gardée du discours universitaire, 
  ait reçu de la psychanalyse plus d’air.
  Ici mon enseignement a place dans un changement de configuration qui s’affiche 
  d’un slogan de promotion de l’écrit, mais dont d’autres 
  témoignages, par exemple, que ce soit de nos jours qu’enfin Rabelais 
  soit lu, montrent un déplacement des intérêts à quoi 
  je m’accorde mieux.
  J’y suis comme auteur moins impliqué qu’on n’imagine, 
  et mes Ecrits, un titre plus ironique qu’on ne croit: quand il s’agit 
  soit de rapports, fonction de Congrès, soit disons de « lettres 
  ouvertes » où je fais question d’un pan de mon enseignement.
  Loin en tout cas de me commettre en ce frotti-frotta littéraire dont 
  se dénote le psychanalyste en mal d’invention, j’y dénonce 
  la tentative immanquable à démontrer l’inégalité 
  de sa pratique à motiver le moindre jugement littéraire.
  Il est pourtant frappant que j’ouvre ce recueil d’un article que 
  j’isole de sa chronologie, et qu’il s’y agisse d’un 
  conte, lui-même bien particulier de ne pouvoir rentrer dans la liste ordonnée 
  des situations dramatiques: celui de ce qu’il advient de la poste d’une 
  lettre missive, d’au su de qui se passent ses renvois, et de quels termes 
  s’appuie que je puisse la dire venue à destination, après 
  que, des détours qu’elle y a subis, le conte et son compte se soient 
  soutenus sans aucun recours à son contenu. Il n’en est que plus 
  remarquable que l’effet qu’elle porte sur ceux qui tour à 
  tour la détiennent, tout arguant du pouvoir qu’elle confère 
  qu’ils soient pour y prétendre, puisse s’interpréter, 
  ce que je fais, d’une féminisation.
  Voilà le compte bien rendu de ce qui distingue la lettre du signifiant 
  même qu’elle emporte. En quoi ce n’est pas faire métaphore 
  de l’épistole. Puisque le conte consiste en ce qu’y passe 
  comme muscade le message dont la lettre y fait péripétie sans 
  lui.
  
— 163 —
  Ma critique, si elle a lieu d’être tenue pour littéraire, 
  ne saurait porter, je m’y essaie, que sur ce que Poe fait d’être 
  écrivain à former un tel message sur la lettre. Il est clair qu’à 
  n’y pas le dire tel quel, ce n’est pas insuffisamment, c’est 
  d’autant plus rigoureusement qu’il l’avoue.
  Néanmoins l’élision n’en saurait être élucidée 
  au moyen de quelque trait de sa psychobiographie: bouchée plutôt 
  qu’elle en serait.
  (Ainsi la psychanalyste qui a récuré les autres textes de Poe, 
  ici déclare forfait de son ménage.)
  Pas plus mon texte à moi ne saurait-il se résoudre par la mienne: 
  le vœu que je formerais par exemple d’être lu enfin convenablement. 
  Car encore faudrait-il pour cela qu’on développe ce que j’entends 
  que la lettre porte pour arriver toujours à sa destination.
  Il est certain que, comme d’ordinaire, la psychanalyste ici reçoit, 
  de la littérature, si elle en prend du refoulement dans son ressort une 
  idée moins psycho-biographique.
  Pour moi si je propose à la psychanalyse la lettre comme en souffrance, 
  c’est qu’elle y montre son échec. Et c’est par là 
  que je l’éclaire: quand j’invoque ainsi les lumières, 
  c’est de démontrer où elle fait trou. On le sait depuis 
  longtemps: rien de plus important en optique, et la plus récente physique 
  du photon s’en arme.
  Méthode par où la psychanalyse justifie mieux son intrusion: car 
  si la critique littéraire pouvait effectivement se renouveler, ce serait 
  de ce que la psychanalyse soit là pour que les textes se mesurent à 
  elle, l’énigme étant de son côté.
  Mais ceux dont ce n’est pas médire à avancer que, plutôt 
  qu’ils l’exercent, ils en sont exercés, à tout le 
  moins d’être pris en corps —, entendent mal mes propos.
  J’oppose à leur adresse vérité et savoir: c’est 
  la première où aussitôt ils reconnaissent leur office, alors 
  que sur la sellette, c’est leur vérité que j’attends. 
  J’insiste à corriger mon tir d’un savoir en échec: 
  comme on dit figure en abyme, ce n’est pas échec du savoir. J’apprends 
  alors qu’on s’en croit dispensé de faire preuve d’aucun 
  savoir.
  - Serait-ce lettre morte que j’aie mis au titre d’un de ces morceaux 
  que j’ai dit Ecrits,..., de la lettre l’instance, comme raison de 
  l’inconscient?
  N’est-ce pas désigner assez dans la lettre ce qui, à devoir 
  insister, n’est pas là de plein droit si fort de raison que ça 
  s’avance. La dire moyenne ou bien extrême, c’est montrer la 
  bifidité où s’engage toute mesure, mais n’y a-t-il 
  rien dans le réel qui se passe de cette médiation? La frontière 
  certes, à séparer deux territoires,
  
— 164 —
  en symbolise qu’ils sont mêmes pour qui la franchit, qu’ils 
  ont commune mesure. C’est le principe de l’Umwelt, qui fait reflet 
  de l’Innenwelt. Fâcheuse, cette biologie qui se donne déjà 
  tout de principe: le fait de l’adaptation notamment; ne parlons pas de 
  la sélection, elle franche idéologie à se bénir 
  d’être naturelle. La lettre n’est-elle pas... littorale plus 
  proprement, soit figurant qu’un domaine tout entier fait pour l’autre 
  frontière, de ce qu’ils sont étrangers, jusqu’à 
  n’être pas réciproques.
  Le bord du trou dans le savoir, voilà-t-il pas ce qu’elle dessine. 
  Et comment la psychanalyse, si, justement ce que la lettre dit « à 
  la lettre » par sa bouche, il ne lui fallait pas le méconnaître, 
  comment pourrait-elle nier qu’il soit, ce trou, — de ce qu’à 
  le combler, elle recoure à y invoquer la jouissance?
  Reste à savoir comment l’inconscient que je dis être effet 
  de langage, de ce qu’il en suppose la structure comme nécessaire 
  et suffisante, commande cette fonction de la lettre.
  Qu’elle soit instrument propre à l’écriture du discours, 
  ne la rend pas impropre à désigner le mot pris pour un autre, 
  voire par un autre, dans la phrase, donc à symboliser certains effets 
  de signifiant, mais n’impose pas qu’elle soit dans ces effets primaire.
  Un examen ne s’impose pas de cette primarité, qui n’est même 
  pas à supposer, mais de ce qui du langage appelle le littoral au littéral.
  Ce que j’ai inscrit, à l’aide de lettres, des formations 
  de l’inconscient pour les récupérer de ce dont Freud les 
  formule, à être ce qu’elles sont, des effets de signifiant, 
  n’autorise pas à faire de la lettre un signifiant, ni à 
  l’affecter, qui plus est, d’une primarité au regard du signifiant.
  Un tel discours confusionnel n’a pu surgir que de celui qui m’importe. 
  Mais il m’importe dans un autre que j’épingle, le temps venu, 
  du discours universitaire, soit du savoir mis en usage à partir du semblant.
  Le moindre sentiment que l’expérience à quoi je pare, ne 
  peut se situer que d’un autre discours, eût dû garder de le 
  produire, sans l’avouer de moi. Qu’on me l’épargne 
  Dieu merci! n’empêche pas qu’à m’importer au 
  sens que je viens de dire, on m’importune.
  Si j’avais trouvé recevables les modèles que Freud articule 
  dans une Esquisse à se forer de routes impressives, je n’en aurais 
  pas pour autant pris métaphore de l’écriture. Elle n’est 
  pas l’impression, ce n’en déplaise au bloc magique.
  Quand je tire parti de la lettre à Fliess 52e, c’est d’y 
  lire ce que Freud pouvait énoncer sous le terme qu’il forge du 
  WZ, Wahrnehmungszeichen, de plus proche du signifiant, à la date où 
  Saussure ne l’a pas encore reproduit (du signans
  
— 165 —
  stoïcien). Que Freud l’écrive de deux lettres, ne prouve pas 
  plus que de moi, que la lettre soit primaire.
  Je vais donc essayer d’indiquer le vif de ce qui me paraît produire 
  la lettre comme conséquence, et du langage, précisément 
  de ce que je dis: que l’habite qui parle.
  J’en emprunterai les traits à ce que d’une économie 
  du langage permet de dessiner ce que promeut à mon idée, que littérature 
  peut-être vire à lituraterre.
  On ne s’étonnera pas de m’y voir procéder d’une 
  démonstration littéraire puisque c’est là marcher 
  du pas dont la question se produit. En quoi pourtant peut s’affirmer ce 
  qu’est une telle démonstration.
  Je reviens d’un voyage que j’attendais de faire au Japon de ce que 
  d’un premier j’avais éprouvé.., de littoral. Qu’on 
  m’entende à demi-mot de ce que tout à l’heure de l’Umwelt 
  j’ai répudié comme rendant le voyage impossible: d’un 
  côté donc, selon ma formule, assurant son réel, mais prématurément, 
  seulement d’en rendre, mais de maldonne, impossible le départ, 
  soit tout au plus de chanter « Partons ».
  J e ne noterai que le moment que j’ai recueilli d’une route nouvelle, 
  à la prendre de ce qu’elle ne fut plus comme la première 
  fois interdite. J’avoue pourtant que ce ne fut pas à l’aller 
  le long du cercle arctique en avion, que me fit lecture ce que je voyais de 
  la plaine sibérienne.
  Mon essai présent, en tant qu’il pourrait s’intituler d’une 
  sibériéthique, n’aurait donc pas vu le jour si la méfiance 
  des Soviétiques m’avait laissé voir les villes, voire les 
  industries, les installations militaires qui leur font prix de la Sibérie, 
  mais ce n’est que condition accidentelle, quoique moins peut-être 
  à la nommer occidentelle, à y indiquer l’accident d’un 
  amoncellement de l’occire.
  Seule décisive est la condition littorale, et celle-là ne jouait 
  qu’au retour d’être littéralement ce que le Japon de 
  sa lettre m’avait sans doute fait ce petit peu trop qui est juste ce qu’il 
  faut pour que je le ressente, puisque après tout j’avais dit que 
  c’est là ce dont sa langue s’affecte éminemment.
  Sans doute ce trop tient-il à ce que l’art en véhicule: 
  j’en dirai le fait de ce que la peinture y démontre de son mariage 
  à la lettre, très précisément sous la forme de la 
  calligraphie.
  Comment dire ce qui me fascine dans ces choses qui pendent, kakémono 
  que ça se jaspine, pendent aux murs de tout musée en ces lieux, 
  portant inscrits des caractères, chinois de formation, que je sais un 
  peu, mais qui, si peu que je les sache, me permettent de mesurer ce qui s’en 
  élide dans la cursive, où le singulier de la main écrase 
  l’universel, soit proprement ce que je vous apprends ne valoir
  
— 166 —
  que du signifiant: je ne l’y retrouve plus mais c’est que je suis 
  novice. Là au reste n’étant pas l’important, car même 
  à ce que ce singulier appuie une forme plus ferme, et y ajoute la dimension, 
  la demansion, ai-je déjà dit, la demansion du papeludun, celle 
  dont s’évoque ce que j’instaure du sujet dans le Hun-En-Peluce, 
  à ce qu’il meuble l’angoisse de l’Achose, soit ce que 
  je connote du petit a ici fait objet d’être enjeu de quel pari qui 
  se gagne avec de l’encre et du pinceau?
  Tel invinciblement m’apparut, cette circonstance n’est pas rien: 
  d’entre-les nuages, le ruissellement, seule trace à apparaître, 
  d’y opérer plus encore que d’en indiquer le relief en cette 
  latitude, dans ce qui de la Sibérie fait plaine, plaine désolée 
  d’aucune végétation que de reflets, lesquels poussent à 
  l’ombre ce qui n’en miroite pas.
  Le ruissellement est bouquet du trait premier et de ce qui l’efface. Je 
  l’ai dit:
  c’est de leur conjonction qu’il se fait sujet, mais de ce que s’y 
  marquent deux temps. Il y faut donc que s’y distingue la rature.
  Rature d’aucune trace qui soit d’avant, c’est ce qui fait 
  terre du littoral. Litura pure, c’est le littéral. La produire, 
  c’est reproduire cette moitié sans paire dont le sujet subsiste. 
  Tel est l’exploit de la calligraphie. Essayez de faire cette barre horizontale 
  qui se trace de gauche à droite pour figurer d’un trait l’un 
  unaire comme caractère, vous mettrez longtemps à trouver de quel 
  appui elle s’attaque, de quel suspens elle s’arrête. À 
  vrai dire, c’est sans espoir pour un occidenté.
  Il y faut un train qui ne s’attrape qu’à se détacher 
  de quoi que ce soit qui vous raye.
  Entre centre et absence, entre savoir et jouissance, il y a littoral qui ne 
  vire au littéral qu’à ce que ce virage, vous puissiez le 
  prendre le même à tout instant. C’est de ça seulement 
  que vous pouvez vous tenir pour agent qui le soutienne.
  Ce qui se révèle de ma vision du ruissellement, à ce qu’y 
  domine la rature, c’est qu’à se produire d’entre les 
  nuages, elle se conjugue à sa source, que c’est bien aux nuées 
  qu’Aristophane me hèle de trouver ce qu’il en est du signifiant:
  soit le semblant, par excellence, si c’est de sa rupture qu’en pleut, 
  effet à ce qu’il s’en précipite, ce qui y était 
  matière en suspension.
  Cette rupture qui dissout ce qui faisait forme, phénomène, météore, 
  et dont j’ai dit que la science s’opère à en percer 
  l’aspect, n’est-ce pas aussi que ce soit d’en congédier 
  ce qui de cette rupture ferait jouissance à ce que le monde ou aussi 
  bien l’immonde, y ait pulsion à figurer la vie.
  Ce qui de jouissance s’évoque à ce que se rompe un semblant, 
  voilà ce qui dans le réel se présente comme ravinement.
  
— 167 —
  C’est du même effet que l’écriture est dans le réel 
  le ravinement du signifié, ce qui a plu du semblant en tant qu’il 
  fait le signifiant. Elle ne décalque pas celui-ci, mais ses effets de 
  langue, ce qui s’en forge par qui la parle. Elle n’y remonte qu’à 
  y prendre nom, comme il arrive à ces effets parmi les choses que dénomme 
  la batterie signifiante pour les avoir dénombrées.
  Plus tard de l’avion se virent à s’y soutenir en isobares, 
  fût-ce à obliquer d’un remblai, d’autres traces normales 
  à celles dont la pente suprême du relief se marquait de cours d’eau.
  N’ai-je pas vu à Osaka comment les autoroutes se posent les unes 
  sur les autres comme planeurs venus du ciel? Outre que là-bas l’architecture 
  la plus moderne retrouve l’ancienne à se faire aile à s’abattre 
  d’un oiseau.
  Comment le plus court chemin d’un point à un autre se serait-il 
  montré sinon du nuage que pousse le vent tant qu’il ne change pas 
  de cap? Ni l’amibe, ni l’homme, ni la branche, ni la mouche, ni 
  la fourmi n’en eussent fait exemple avant que la lumière s’avère 
  solidaire d’une courbure universelle, celle où la droite ne se 
  soutient que d’inscrire la distance dans les facteurs effectifs d’une 
  dynamique de cascade.
  Il y a de droite que d’écriture, comme d’arpentage que venu 
  du ciel.
  Mais écriture comme arpentage sont artefacts à n’habiter 
  que le langage. Comment l’oublierions-nous quand notre science n’est 
  opérante que d’un ruissellement de petites lettres et de graphiques 
  combinés?
  Sous le pont Mirabeau certes, comme sous celui dont une revue qui fut la mienne 
  se fit enseigne, à l’emprunter ce pont-oreille à Horns-Apollo, 
  sous le pont Mirabeau, oui, coule la Seine primitive, et c’est une scène 
  telle qu’y peut battre le V romain de l’heure cinq (cf. l’Homme 
  aux loups). Mais aussi bien n’en jouit-on qu’à ce qu’y 
  pleuve la parole d’interprétation.
  Que le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre 
  politique, implique d’autre part que tout ce qui s’articule de cet 
  ordre soit passible d’interprétation.
  C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la 
  politique. Et ceci pourrait n’être pas de tout repos pour ce qui 
  de la politique a fait figure jusqu’ici, si la psychanalyse s’en 
  avérait avertie.
  Il suffirait peut-être, on se dit ça sans doute, que de l’écriture 
  nous tirions un autre parti que de tribune ou de tribunal, pour que s’y 
  jouent d’autres paroles à -nous en faire le tribut.
  Il n’y a pas de métalangage, mais l’écrit qui se fabrique 
  du langage est matériel peut-être de force à ce que s’y 
  changent nos propos.
  
— 168 —
  Est-il possible du littoral de constituer tel discours qui se caractérise 
  de ne pas s’émettre du semblant? Là est la question qui 
  ne se propose que de la littérature dite d’avant-garde, laquelle 
  est elle-même fait de littoral: et donc ne se soutient pas du semblant, 
  mais pour autant ne prouve rien que la cassure, que seul un discours peut produire, 
  avec effet de production.
  Ce à quoi semble prétendre une littérature en son ambition 
  de lituraterrir, c’est de s’ordonner d’un mouvement qu’elle 
  appelle scientifique.
  Il est de fait que l’écriture y a fait merveille et que tout marque 
  que cette merveille n’est pas près de se tarir.
  Cependant la science physique se trouve, va se trouver ramenée à 
  la considération du symptôme dans les faits, par la pollution de 
  ce que du terrestre on appelle, sans plus de critique de l’Umwelt, l’environnement: 
  c’est l’idée d’Uxküll behaviourisée, c’est-à-dire 
  crétinisée.
  Pour lituraterrir moi-même, je fais remarquer que je n’ai fait dans 
  le ravinement qui l’image, aucune métaphore. L’écriture 
  est ce ravinement même, et quand je parle de jouissance, j’invoque 
  légitimement ce que j’accumule d’auditoire: pas moins par 
  là celles dont je me prive, car ça m’occupe.
  Je voudrais témoigner de ce qui se produit d’un fait déjà 
  marqué: à savoir celui d’une langue, le japonais, en tant 
  que la travaille l’écriture.
  Qu’il y ait inclus dans la langue japonaise un effet d’écriture, 
  l’important est qu’il reste attaché à l’écriture 
  et que ce qui est porteur de l’effet d’écriture y soit une 
  écriture spécialisée en ceci qu’en japonais elle 
  puisse se lire de deux prononciations différentes: en on-yomi, sa prononciation 
  en caractère, le caractère se prononce comme tel distinctement, 
  en kun-yomi la façon dont se dit en japonais ce qu’il veut dire.
  Ça serait comique d’y voir désigner, sous prétexte 
  que le caractère est lettre, les épaves du signifiant courant 
  aux fleuves du signifié. C’est la lettre comme telle qui fait appui 
  au signifiant selon sa loi de métaphore. C’est d’ailleurs: 
  du discours, qu’il la prend au filet du semblant.
  Elle est pourtant promue de là comme référent aussi essentiel 
  que toute chose, et ceci change le statut du sujet. Qu’il s’appuie 
  sur un ciel constellé, et non seulement sur le trait unaire, pour son 
  identification fondamentale, explique qu’il ne puisse prendre appui que 
  sur le Tu, c’est-à-dire sous toutes les formes grammaticales dont 
  le moindre énoncé se varie des relations de politesse qu’il 
  implique dans son signifié.
  La vérité y renforce la structure de fiction que j’y dénote, 
  de ce que cette fiction soit soumise aux lois de la politesse.
  
— 169 —
  Singulièrement ceci semble porter le résultat qu’il n’y 
  ait rien à défendre de refoulé, puisque le refoulé 
  lui-même trouve à se loger de la référence à 
  la lettre.
  En d’autres termes le sujet est divisé comme partout par le langage, 
  mais un de ses registres peut se satisfaire de la référence à 
  l’écriture et l’autre de la parole.
  C’est sans doute ce qui a donné à Roland Barthes ce sentiment 
  enivré que de toutes ces manières le sujet japonais ne fait enveloppe 
  à rien. L’Empire des signes, intitule-t-il son essai voulant dire: 
  empire des semblants.
  Le Japonais, m’a-t-on dit, la trouve mauvaise. Car rien de plus distinct 
  du vide creusé par l’écriture que le semblant. Le premier 
  est godet prêt toujours à faire accueil à la jouissance, 
  ou tout au moins à l’invoquer de son artifice.
  D’après nos habitudes, rien ne communique moins de soi qu’un 
  tel sujet qui en fin de compte ne cache rien. Il n’a qu’à 
  vous manipuler: vous êtes un élément entre autres du cérémonial 
  où le sujet se compose justement de pouvoir se décomposer. Le 
  bunraku, théâtre des marionnettes, en fait voir la structure toute 
  ordinaire pour ceux à qui elle donne leurs mœurs elles-mêmes.
  Aussi bien, comme au bunraku tout ce qui se dit pourrait-il être lu par 
  un récitant. C’est ce quia dû soulager Barthes. Le Japon 
  est l’endroit où il est le plus naturel de se soutenir d’un 
  ou d’une interprète, justement de ce qu’il ne nécessite 
  pas l’interprétation.
  C’est la traduction perpétuelle faite langage.
  Ce que j’aime, c’est que la seule communication que j’y aie 
  eue (hors les Européens avec lesquels je sais manier notre malentendu 
  culturel), c’est aussi la seule qui là-bas comme ailleurs puisse 
  être communication, de n’être pas dialogue: à savoir 
  la communication scientifique.
  Elle poussa un éminent biologiste à me démontrer ses travaux, 
  naturellement au tableau noir. Le fait que, faute d’information, je n’y 
  compris rien, n’empêche pas d’être valable ce qui restait 
  écrit là. Valable pour les molécules dont mes descendants 
  se feront sujets, sans que j’aie jamais eu à savoir comment je 
  leur transmettais ce qui rendait vraisemblable qu’avec moi je les classe 
  de pure logique, parmi les êtres vivants.
  Une ascèse de l’écriture ne me semble pouvoir passer qu’à 
  rejoindre un « c’est écrit » dont s’instaurerait 
  le rapport sexuel.
  
  170
 
  ANNEXE 2
  Texte de la Leçon 9
  écrit par Lacan
Nous donnons ci-après, et tel qu’il a été communiqué à l’époque par Lacan à Charles Melman, le texte écrit préalablement à son énonciation de la Leçon 9. Y figurent également les notes manuscrites de l’auteur.
[Ce texte a été scanné en mode « image » et peut demander quelques instants avant d’apparaître à l’écran]
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  172 PAGE BLANCHE
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  TABLE DES MATIERES
Note liminaire 7
  Leçon 1(13 janvier 1971) 9
  Leçon 2 (20 janvier 1971) 21
  Leçon 3(10 février 1971) 35
  Leçon 4 (17 février 1971) 49
  Leçon 5(10 mars 1971) 71
  Leçon 6 (17 mars 1971) 87
  Leçon 7 (12 mai 1971). Lituraterre 101
  Leçon 8(19 mai 1971) 115
  Leçon 9 (9juin 1971) 131
  Leçon 10(16 juin 1971) 145
  Annexes 159
  Annexe I. Lituraterre (texte publié) 161
  Annexe II. Leçon 9 (texte écrit par Lacan) 171
195
note 
  : 
  bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou 
  si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance 
  de m'adresser un 
  émail.
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