J-LACAN                     gaogoa

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XXV-Le moment de conclure   1977-1978

        Version rue CB

 

Séminaire du 15 novembre 1977            note

 

    (p1->) (J’avais là un bon prétexte de ne pas faire mon séminaire que je n’ai pas la moindre envie de faire… Bien entendu, malgré tout, ça ne serait qu’un prétexte.)

     Qu’est-ce que vous êtes gentils de vous déranger, de vous déranger comme ça, pour ce que j’ai à vous dire.

     Voilà, j’ai intitulé mon séminaire, cette année, « Le moment de conclure ».

  Ce que j’ai à vous dire, je vais vous le dire, c’est que la psychanalyse est à prendre au sérieux, bien que ça ne soit pas une science. C’est même pas une science du tout, parce que l’ennuyeux, comme l’a montré surabondamment un nommé Karl Popper, c’est que ce n’est pas une science parce que c’est irréfutable.

C’est une pratique, une pratique qui durera ce qu’elle durera, c’est une pratique de bavardage. Aucun bavardage n’est sans risque. Déjà, le mot « bavardage » implique, implique quelque chose, ce que ça implique est suffisamment dit par le mot « bavardage », ce qui veut dire que il n’y a pas que les, les phrases, c’est-à-dire ce qu’on appelle les propositions qui impliquent des conséquences, les mots aussi. « Bavardage » met la parole au rang de baver ou de postillonner, elle la réduit à la sorte d’éclaboussement qui en résulte.

Voilà. Ca n’empêche pas que l’analyse a des conséquences, elle dit quelque chose. Qu’est-ce que ça veut « dire » ?

(p2->) Dire a quelque chose à faire avec le temps. L’absence de temps c’est une chose qu’on rêve, c’est ce qu’on appelle l’éternité ; et ce qu’on rêve consiste à imaginer qu’on se réveille. On passe son temps à rêver, on ne rêve pas seulement quand on dort. L’inconscient, c’est très exactement l’hypothèse qu’on ne rêve pas seulement quand  on dort.

  Je voudrais vous faire remarquer que ce qu’on appelle le raisonnable est un fantasme, c’est tout à fait manifeste dans le début de la science. La géométrie euclidienne a tous les caractères du fantasme.

Un fantasme n’est pas un rêve, c’est une aspiration. L’idée de la ligne, de la ligne droite par exemple, c’est manifestement un fantasme.

     Par bonheur, on en est sorti, je veux dire, que la topologie a restitué ce qu’on, ce qu’on doit appeler le tissage. L’idée de voisinage, c’est simplement l’idée de consistance, si tant est qu’on se permette de donner corps au mot idée. C’est pas facile, il y  a quand même des philosophes grecs qui, à l’idée, ont essayé de donner corps. Une idée, ça a un corps, c’est le mot qui la représente ; et  le mot a une propriété tout à fait curieuse, c’est qu’il fait la chose. J’aimerais équivoquer :    

                                               « fêle achose »

et écrire ça, n’est pas une mauvaise façon d’équivoquer.

     User de l’écriture pour équivoquer, ça peut servir, parce que nous avons besoin d’équivoque, précisément pour l’analyse. Nous avons besoin de l’équivoque, c’est la définition de l’analyse, parce que comme le mot l’implique, l’équivoque est tout de suite versant vers le sexe.

 

     Le sexe, je vous l’ai dit, c’est un dire, ça vaut ce que ça vaut, le sexe ne définit pas un rapport, c’est ce que j’ai énoncé (p3->) en formulant qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Ca veut seulement dire que chez l’homme, et sans doute à cause de l’existence du signifiant, l’ensemble, l’ensemble de ce qui pourrait être un rapport sexuel est un ensemble, on est arrivé à, à cogiter ça, on ne sait d’ailleurs pas très bien comment ça c’est produit, est un ensemble vide ( Ø ). Alors, c’est ce qui permet, c’est ce qui permet bien des choses. Cette notion d’ensemble vide est ce qui convient au rapport sexuel.

 

     Le psychanalyste est un rhéteur. Pour continuer d’équivoquer je dirai que « il rhétifie », ce qui implique qu’ « il rectifie ». L’analyste est un rhéteur, c’est-à-dire que « rectus », mot latin, équivoque avec rhétification. On essaie de dire la vérité. On essaie de dire la vérité, mais ça n’est pas facile, parce qu’il y a de grands obstacles à ce qu’on dise la vérité, ne serait-ce que on se trompe dans le choix des mots. La vérité a à faire avec le réel, et le réel est doublé, si on peut dire par le symbolique.

 

     Il m’est arrivé de recevoir d’un nommé Michel COO(R)NAERT, je l’ai reçu par l’intermédiaire de quelqu’un qui, qui me veut du bien, et à qui le COO(R)NAERT en question l’avait envoyé, j’ai reçu de ce COO(R)NAERT un machin qui s’appelle « Knots » (Knots, c’est anglais) :

 

                          « Knots and links »

ce qui veut dire, parce que  ce n’est pas tout simple, il faut métalanguer, c’est-à-dire traduire- on ne parle jamais d’une  langue que dans une autre langue.- Si j’ai dit qu’il n’y a pas de métalangage, c’est pour dire que le langage, ça n’existe pas. Il n’y a que des support multiples du langage qui s’appellent la langue, et, ce qu’il faudrait bien, c’est que, c’est que l’analyse arrive par une supposition, arrive à défaire par la parole ce qui c’est fait par la parole.

 

     (p4->)  Dans l’ordre du rêve qui se donne le champ d’user du langage, il y a une bavure qui est que Freud appelle ce qui est en jeu le « Wunsch » (souhait, vœux -ajout du présent scribe-), c’est un mot, comme on le sait, allemand, et le « Wunsch » dont il s’agit a propriété qu’on ne sait pas si c’est un souhait, qui de toute façon est en l’air, un souhait adressé à qui ?

     Dés qu’on veut le dire, on est forcé de , de supposer qu’il y a un interlocuteur, et à partir de ce moment-là, on est dans la magie. On est forcé de savoir ce qu’on demande, mais justement ce qui définit la demande, c’est qu’on ne demande jamais que parce qu’on désire, on ne le sait pas, c’est bien pour ça que j’ai mis l’accent sur le désir de l’analyste. Le sujet supposé savoir d’où j’ai supporté, défini le transfert, supposé savoir quoi ? Comment opérer mais ça serait tout à fait excessif de dire que, que l’analyste sait comment opérer ; ce qu’il faudrait, c’est qu’il sache opérer convenablement, c’est-à-dire, que il se rende compte de la portée des mots pour son analysant, ce qu’incontestablement, il ignore. De sorte que il faut que je vous trace (Fig.1) ce qu’il en est de ce que j’ai appelé, j’ai avancé sous la forme du  nœud borroméen.

 

     Quelqu’un qui n’est autre – faut bien que je le nomme- que J-B., Jean-Baptiste LEFEVRE-PONTALIS a accordé une interview au Monde, il aurait mieux fait de s’abstenir, il aurait mieux fait de s’abstenir parce que ce qu’il a dit ne vaut pas cher, parce qu’il paraît que mon nœud borroméen serait une façon de, d’étrangler le monde, de faire suffoquer le (.?.)

 

     Voilà quand même ce que je peux verser au dossier de ce nœud borroméen. Il est bien évident que c’est comme ça que ça se dessine, je veux dire qu’on interrompt parce que on projette les choses, on interrompt ce dont il s’agit, c’est-à-dire une corde, (p5->) une corde, ça fait un nœud, et je me souviens qu’il y eut un temps où le nommé SOURY fit reproche à quelqu’un  qui est ici présent, fit reproche d’avoir, d’avoir fait ce nœud de travers. Je ne sais plus très bien comment il l’avait fait effectivement. Mais disons qu’ici, (Fig.1) on a bien le droit, puisque le nœud borroméen a pour propriété de ne pas nommer chacun des cercles d’une façon qui soit univoque ;  dans le nœud borroméen, vous avez ceci (Fig.2)  qui fait que vous pouvez désigner chacun de ces cercles par le terme que vous voudrez, je veux dire qu’il est indifférent que ceci soit appelé  I, R ou S ; ici , à condition de ne pas abuser –je veux dire  de mettre les trois lettres- vous avez toujours un nœud borroméen. Supposez qu’ici, nous désignons comme distincts le R et le S, à savoir le réel et le symbolique, il reste le troisième qui est l’imaginaire. Si nous nouons comme c’est ici représenté le symbolique et le réel, ce qui serait bien sûr l’idéal, à savoir que puisque les mots font l’achose, l’achose freudienne, la crachose freudienne, je veux dire que c’est justement de l’inadéquation des mots aux choses que nous avons à faire, ce que j’ai appelé l’achose freudienne, c’était, c’était que les mots se moulent dans les choses, mais il est un fait c’est que ça ne passe pas, qu’il n’y a ni crachin, ni crachose, et que l’adéquation du symbolique ne fait les choses que fantasmatiquement, de sorte que le lien, l’anneau que serait ce symbolique par rapport au réel, ou ce réel par rapport au symbolique, ne tienne pas, je veux dire qu’il est tout à fait simple de s’apercevoir que à condition d’assouplir le corde de l’imaginaire, ce qui s’ensuit est très exactement ce par quoi l’imaginaire ne tient pas, comme vous le voyez, d’une façon manifeste, ne tient pas puisqu’il est clair que ici- passant sous le symbolique- cet imaginaire vient ici, il vient ici quoiqu’il soit sous le symbolique ; je vous prie (p6->) de vous rendre compte que ici c’est libre, à savoir que l’imaginaire suggéré par le symbolique se libère. 

     C’est bien en cela que l’histoire  de l’écriture vient suggérer, suggérer qu’il n’y a pas de rapport sexuel. L’analyse, dans l’occasion, se consume elle-même. Je veux dire que, si nous faisons une abstraction sur l’analyse, nous l’annulons. Si nous nous apercevons que nous ne parlons que d’apparentement ou de parenté, il nous vient à l’idée de parler d’autre chose, et c’est bien en quoi l’analyse, à l’occasion, échouerait, mais c’est un fait que chacun ne parle que de ça.

 

     La névrose est-elle naturelle ? Elle n’est naturelle que pour autant que chez un homme, il y a le symbolique ; et le fait qu’il y ait un symbolique implique qu’un signifiant nouveau émerge, un signifiant  nouveau à quoi le moi, c’est-à-dire la conscience s’identifierait, mais ce qu’il y a de propre au signifiant que j’ai appelé du nom de S1, c’est qu’il n’y a qu’un rapport qui le définisse, le rapport qu’il a avec S2 :

 

     S1--->S2    (lire: S indice 1, S indice 2, note du scribe)

 

     C’est en tant que le sujet est divisé entre cet S1 et cet S2, qu’il se supporte, de sorte qu’on ne peut pas dire que ce soit un seul des deux signifiants qui le représente. La névrose est-elle naturelle ? Il s’agirait de définir la nature de la nature ? Rien que ceci que il y a quelque chose dont nous avons l’imagination qu’on puisse en rendre compte par l’organique, je veux dire par le fait qu’il y ait des êtres vivants, mais qu’il y ait des êtres vivants, non seulement ça ne va pas de soi, mais il a fallu élucubrer toute une genèse, je veux dire que ce qu’on a (p7->) appelé les gènes, assurément, veut dire quelque chose, mais ce n’est que, qu’un vouloir dire. Nous n’avons nulle part présent ce jaillissement de la lignée soit évolution ou création (.1.). L’élucubration créationniste ne vaut pas mieux que l’élucubration évolutionniste, puisque, de toute façon, ce n’est qu’une hypothèse.

 

     La logique ne se supporte que de peu de chose. Si nous ne croyons pas, d’une façon, en somme, gratuite, que les mots font les choses, la logique n’a pas de raison d’être.  Ce que j’ai appelé le rhéteur qu’il y a dans l’analyse, c’est l’analyste dont il s’agit, le rhéteur n’opère que par suggestion. Il suggère, c’est le propre du rhéteur, il n’impose pas d’aucune façon quelque chose qui aurait consistance, et c’est même pour cela que j’ai désigné de l’Ex-, ce qui se supporte, ce qui ne se supporte que d’ex-siste(r). Comment faut-il que l’analyste opère pour être convenable rhéteur ?

 

     C’est bien là que nous arrivons à une ambiguïté. L’inconscient dit-on, ne connaît pas la contradiction, c’est bien en quoi il faut que l’analyste opère par quelque chose qui ne fasse pas fondement sur la contradiction. Il n’est pas dit que ce dont il s’agisse soit vrai ou faux, ce qui fait le vrai et ce qui fait le faux, c’est ce qu’on appelle le poids de l’analyste, et c’est en cela que je dis qu’il est rhéteur. L’hypothèse que l’inconscient soit une extrapolation n’est pas absurde, et c’est bien pourquoi Freud a eu recours à ce qu’on appel la pulsion. La pulsion est quelque chose qui ne se supporte que d’être nommée, et d’être nommée d’une façon qui la tire, si je puis dire par les cheveux, c’est-à-dire qui présuppose que toute pulsion, au nom de quelque chose qui se trouve exister chez l’enfant, que toute pulsion est sexuelle, mais rien ne dit que quelque chose mérite d’être appelée pulsion avec cette inflexion qui la réduit à être sexuelle. Ce qui, (p8->) dans le sexuel importe, c’est le comique, c’est que quand un homme est femme, c’est à ce moment là qu’il aime, c’est-à-dire qu’il aspire au quelque chose qui est son objet ; par contre c’est au titre, au titre d’homme qu’il désire, c’est-à-dire qu’il se supporte de quelque chose qui s’appelle proprement bander. La vie n’est pas tragique. Elle est comique, et c’est pourtant assez curieux que Freud n’ait rien trouvé de mieux que de désigner du complexe d’Œdipe, c’est-à-dire d’une tragédie, ce dont il s’agissait dans l’affaire. On ne voit pas pourquoi Freud a désigné alors qu’il pouvait prendre un chemin plus court, a désigné d’autre chose que d’une comédie ce à quoi il avait à faire, ce à quoi il avait à faire dans ce rapport qui lie le symbolique, l’imaginaire et le réel. Pour que l’imaginaire s’exfolie, il n’y a qu’à le réduire au fantasme. L’important est que la science elle-même n’est qu’un fantasme et que l’idée d’un réveil soit à proprement parler impensable. Voilà ce que j’avais à vous dire aujourd’hui.

 

 

  note: bien que relu, si vous découvrez des erreurs manifestes dans ce séminaire, ou si vous souhaitez une précision sur le texte, je vous remercie par avance de m'adresser un email.  
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