1 Chamanisme

1.1 .Généralités

Le chamanisme est très répandu, mais domine surtout en Asie centrale et septentrionale ainsi que dans les régions arctiques.


Le chaman est à la fois théologien, démonologue, spécialiste de l’extase et homme-médecine, auxiliaire de la chasse, protecteur de la communauté, psychopompe, et parfois érudit et poète. Son rôle principal concerne tout ce qui touche à l’âme humaine : guérison des maladies et mort.

Il joue donc un rôle essentiel dans la défense de l’intégrité psychique de la communauté.

Les éléments guerriers que l’ont retrouve parfois chez les chamans s’expliquent par la nécessité du combat contre les démons.


Les multiples pouvoirs du chaman sont le résultat de ses expériences initiatiques, qui lui apprennent la précarité de l’âme humaine et les moyens de la défendre.

On devient chaman par vocation spontanée (l’appel), par transmission héréditaire ou par décision. Les futurs chamans présentent un comportement étrange : rêveur, solitude, visions, … Ces symptômes peuvent devenir assez graves.


Du chamanisme de l’époque paléolithique on conserve, par exemple, des peintures rupestres avec des dessins aux « rayons X », de » 13.000 – 2000.

1.2.                    L’initiation

Le chaman n’est pas reconnu tant qu’il n’a pas reçu une instruction d’ordre extatique (rêves, visions, transes) et d’ordre traditionnelle (techniques chamaniques, langage secret, généalogie du clan, noms et fonctions des esprits, …). L’enseignement est de nature ésotérique.


Le rituel initiatique du chaman comporte une période de ségrégation, des tortures et des blessures rituelles, voir une mort rituelle. Démembrement et cuisson ou passage par le feu caractérisent ces initiations. La mort rituelle est expérimentée sous forme de descente aux Enfers : le chaman assiste en rêve à sa propre mise en pièces.

Ces épreuves aggravent en général la condition mentale de l’initié, c’est la maladie initiatique. La « folie » des futurs chamans signifie que l’homme profane est en train de se dissoudre et qu’une nouvelle personnalité est sur le point de naître.


Dans certains rites d’initiation publique, l’initié doit grimper sur un bouleau pour traverser le « trou de fumée », ce qui lui ouvre l’entrée au Ciel.

1.3.                    Les rites et pratiques

Les mythes sur l’origine des chamans disent que le « Premier Chaman » fut créé par les dieux, mais à cause de sa méchanceté ils limitèrent sévèrement ses pouvoirs. On retrouve partout la croyance en la décadence du chamanisme. Jadis, les premiers chamans volaient réellement, ils prenaient vraiment d’autres formes, etc.


Le chaman voyage spirituellement jusqu’aux cieux (au moins 9 ou 11) pour communiquer avec les dieux, afin d’obtenir des bénédictions et faveurs.

Il descend aussi aux Enfers, traversant des séries de paliers et d’obstacles, jusqu’au palais bien défendu d’Erlik Khan, le Seigneur des Enfers. Il traite avec lui, lui offrant éventuellement des dons

Ces voyages servent souvent à délivrer l’âme d’un malade, prisonnière d’un démon, ou conduire un trépassé. Parfois l’âme d’un malade est simplement égarée sur terre, le chaman l’y recherche alors. Elle peut avoir été volé par un démon, cas aggravé par une possession. Cela nécessite alors un voyage aux Enfers pour la délivrer.


Il est probable qu’un grand nombre de traits de la « géographie funéraire », de même qu’un certain nombre de thèmes de la mythologie de la mort, soient le résultat des expériences extatiques des chamans. Ces descriptions le rendent finalement plus familier et acceptable.


Le chaman peut, grâce à sa vision surnaturelle, voir dans son propre corps.


L’obtention des états de transe passe par le chant, le tambour, l’appel aux esprits, l’imitation du chant des oiseaux, … C’est aussi un spectacle ouvrant l’imagination vers le monde des esprits et des dieux.

2.    Eurasie antique

2.1.                    Les peuples altaïques

2.1.1.      Eléments historiques

Les invasions foudroyantes des Turco-Mongols, en commençant par les  Huns au IV jusqu’au XV, s’inspirent du modèle mythique des chasseurs primitifs de l’Eurasie : le carnassier poursuivant le gibier dans la steppe. La soudaineté, la rapidité de mouvements, le massacre de populations entières, l’anéantissement des signes extérieurs de culture sédentaire, rapprochent les cavaliers des meutes de loups, animal mythique exemplaire.

Les « Empires des Steppes » apparaissent et disparaissent de façon fulgurante. On retiendra Attila (400-450) et Gengis Khan (1200-1230).


L’habitat primitif des peuples altaïques a été vraisemblablement les steppes autour des monts Altaï et Ch’ing-hai, entre le Tibet et la Chine.

Bien qu’ayant été en contact avec de très nombreuses influences religieuses, les croyances et coutumes des chasseurs néolithiques ont très longtemps survécu.

2.1.2.      Eléments religieux

Le dieu le plus important de tous les peuples altaïques est le Dieu du Ciel Tangri (que l’on retrouve avec d’autres noms dérivés). Depuis 2000 ans, à travers tout le continent asiatique, il est le Dieu suprême. Il n’a ni temple ni statue, mais on lui adressait des prières et des sacrifices. Il a subit un dieus otiosus, et par là multiplications et substitutions.


L’univers est conçu comme ayant trois étages (Ciel, Terre et Enfer) reliés entre eux par un axe central. L’Enfer, avec les âmes des morts, est sous la juridiction d’un Souverain. Le Ciel est souvent vu comme une tente, soutenue par un pilier (l’étoile polaire, arbre, montagne, …), retrouvant un équivalent dans le microcosme de l’habitat traditionnel.

L’Arbre du Monde est attesté partout en Asie, ses branches dans le Ciel, ses racines en Enfer.


La cosmologie est très archaïque est relativement universelle.

Avant la création, c’est les Grandes Eaux. Puis un être plonge au fond des eaux pour ramener du limon afin que Dieu en fasse le Monde. Cet être est soit Dieu lui-même, soit un oiseau aquatique, soit un être, parfois ornithomorphe, qui se révèlera par la suite l’adversaire de Dieu.

C’est la seconde hypothèse qui était la plus répandue, même si le mythe subit avec le temps un durcissement dualiste.

La délégation du plongeon permet d’introduire un élément d’insubordination, d’antagonisme ou d’opposition qui peut expliquer l’imperfection du monde.

2.2.                    Les Baltes

Ils furent convertis au christianisme au XIV, mais réussirent à maintenir leurs traditions religieuses. Ce n’est qu’au XVI que les missionnaires luthériens entreprirent une campagne incessante contre le paganisme.


On constate un dieu du Ciel indo-européen, qui fut assimilé au Dieu biblique. Il y a également un dieu du tonnerre guerrier et forgeron.

Une place considérable a été occupée par Saule, la déesse du Soleil, imaginée à la fois comme mère et jeune fille. Elle bénit la glèbe, aide ceux qui souffre, punit les pêcheurs. Son époux est le dieu guerrier Meness, le dieu de la Lune.

La majorité des divinités chtoniennes, en fort grand nombre, sont des déesses.


Le culte se pratiquait surtout en forêt, dans des espaces sacrés. En ce qui concerne la classe sacerdotale, les sources font état de « sorciers », devins et extatiques, d’un prestige considérable, relativement similaires aux chamans d’Asie. Les « bons magiciens » combattaient la nuit les sorciers, serviteurs du Diable.

2.3.                    Le paganisme slave

Après avoir habité pendant 1000 ans un territoire limité, les slaves peuvent, à partir du V siècle et grâce aux dévastations des Huns, déborder de leurs frontières.


Ils croient en un Dieu Suprême dans le Ciel, qui ne s’intéresse pas aux affaires des hommes, deus otiosus donc. On retrouve aussi un dieu de l’orage, très indo-européen. Il y a aussi un dieu du bétail, une personnification du soleil et une déesse de la fertilité. Il y a une quinzaine de noms de dieux de la Baltique.


Dans les croyances et coutumes, la lune (de genre masculin) joue un rôle plus important que le soleil (neutre, probablement dérivé d’un nom féminin). On adresse des prières à la lune pour obtenir abondance et santé.


On retrouve le mythe du plongeon cosmogonique, plus ou moins christianisé en fonction de l’époque. Les versions tardives accentuent le dualisme Dieu-Satan par rapport à la moyenne constatée.

 

1.    Etats des lieux

1.1.                    Etymologie et typologie

Le terme de chamanisme a été construit à partir de saman, le nom utilisé par les Toungouses, une petite population répandue dans toute la Sibérie orientale. Le saman était « celui qui sait », ou encore celui qui « bondit, s’agite, danse ».

L’usage de ce terme se généralise à toutes les ethnies.


La typologie la plus classique établit une distinction nette entre chamanisme et possession. Mais vouloir catégoriser ces phénomènes est une démarche trop rigide pour englober toutes leurs subtilités. Il y a une imbrication entre possession et chamanisme, aucunement une opposition.

Il existe des possessions voulues et positives, et d’autres involontaires et négatives. Les possessions s’accompagnent ou pas de transes, de modifications de la personnalité ou non.

La transe implique le groupe, le bruit, la musique, l’extériorisation des sentiments. On peut voir des transes induites et des transes conduites. De son côté l’extase est associée à la solitude, au silence, à l’immobilité et à la privation sensorielle.

1.2.                    Principes

Les compétences du prêtre et de l’allié des esprits se déploient dans des sphères du sacré distinctes. Au premier, la relation avec un divin proche, lié à l’espace habité et au monde des humains. Au second, un invisible potentiellement dangereux et débordant, qu’il convient de contrôler hors des frontières du village. A l’un la vérité transcendante, le dogme ; à l’autre l’imprévisible, l’art de la négociation. La confusion entre ces deux fonctions est impossible.

Partout où l’aléatoire fait vaciller l’ordre des choses, l’intervention des chamans/possédés semble indispensable.


Par delà la diversité des rituels, il existe un noyau du chamanisme. De même, les cultes de possession présentent une trame identique.

Tous ces rites sont très codifiés, et nécessitent de la part du possédé un réelle lucidité dans l’exécution de certaines actions difficiles (danses, activités à la limite du fakirisme, …).


Entre l’adepte et son génie-maître, un lien s’établit qui n’exprime ni dépendance ni soumission, mais plutôt l’idée d’une alliance acceptée et assumée.

Au terme de son initiation, l’adepte acquiert une certaine maîtrise lors de la possession pendant les rituels. Cette possession maîtrisée est une certaine forme de lucidité accrue que l’adepte garde sur son propre état.


Grâce à leur position d’intermédiaire avec la surnature, les initiés déploient des gestes efficaces capables de soulager les malheurs, individuels ou collectifs, qui affectent régulièrement les hommes. La relation entretenue avec les esprits inscrit ces rituels dans le champ du sacré sans toutefois les confondre avec des cérémonies proprement religieuses.

Chamanisme et culte de possession sont placés indubitablement sous le signe d’une efficacité pratique immédiate, palpable, contrairement aux religions à dogmes. Quelque soit le contexte, les rites sont en mesure de capturer la pensée et de donner du sens là où justement malheurs et infortunes font vaciller l’ordre des choses.


Les cultes liés au chamanisme et à la possession sont vivants et vécus, c'est-à-dire qu’ils savent s’adapter au monde changeant. Cette adaptabilité est même une caractéristique fondamentale du chamanisme. Ainsi, on a vu apparaître dans les cultes de nouveaux esprits ou de nouveaux rites liés aux nouvelles contraintes et problèmes de la vie moderne.

Cette adaptabilité des culte se traduit par la capacité de se fondre dans des environnements défavorables : gouvernements hostiles, arrivée d’une nouvelle religion, …


A cause de la domination des grandes religions universalistes et de l’emprise du progrès technique, de nos jours le chaman/possédé se cantonne de plus en plus au domaine thérapeutique, celui de la condition personnelle de l’individu.

1.3.                    Interprétations

La folie du chaman est un axiome. A ce jour il n’existe aucune recherche psychiatrique ou psychanalytique ayant établi le diagnostic à partir d’études suivies de cas et d’observations prolongées.

La « prise de rôle » du chaman implique qu’il soit capable, en dehors de la scène du rituel, de déposer son « masque ». Le chaman est donc le plus souvent « normal » en dehors du temps du rituel.

Les théories qui voient la possession comme un mécanisme de dissociation effective de l’identité, permettant l’incarnation de fantasmes refoulés, ne se sont basées que sur certains cas qui n’englobent pas l’ensemble du phénomène.

Certes, nombre de possédés sont des malades en quête de guérison et le culte de possession fonctionne comme une cure. Mais la puissance curative n’est pas la seule dimension du culte. C’est plus une sorte d’initiation dont le point de départ aurait été la maladie. Pour guérir réellement, le malade doit saisir la normalité du désordre.

Une distinction soigneuse est faite entre l’action nuisible des mauvais esprits et la possession, désirée et recherchée.


Certains ethnologues ont vu dans les rites de possession et chamanique un moyen de réactualiser la Création. Mais très souvent les participants à ces rites n’ont qu’une très vague notion, voir pas de notion du tout, des mythes en question.

L’évolution constatée des rites indique que la tradition est de moins en moins astreignante et laisse place à un nouvel ensemble plus flottant de règles et d’attitudes. Les contraintes politiques, sociologiques ou économiques font partie des facteurs qui font évoluer ces rites.

Or la transformation, la démythification de certains rites ne remettent nullement en cause l’efficacité de leur culte.

Les cadres rituels sont donc flexibles, les symboles susceptibles d’être manipulés. De même, le mythe lui-même n’est pas fixe, évoluant au contact d’autres traditions et d’autres cultures.

Les rites se basent donc sur les mythes, mais de manière très flexible.


Jung s’est particulièrement intéressé à la thérapie chamanique car, dans son modèle psychanalytique, analyste et patient doivent partager blessures et pouvoir de guérison. Les tourments de l’initiation (mort mystique, démembrement, dévoration, …) assurent au chaman/possédé ce statut du « guérisseur blessé ».


Pour Lévi-Strauss, le pouvoir du chaman (ou du sorcier) procède de l’adhésion des individus à un système cohérent et structuré de croyance. Le chaman se contente de fournir aux malades un langage dans lequel peuvent s’exprimer immédiatement des états informulés, et autrement informulables, véritable processus d’abréaction tel que le définit la psychanalyse. Les conflits et les résistances restés jusqu’alors inconscients se dissolvent grâce à une expression verbale et à un mécanisme de transfert.

Cette théorie, bien que s’appliquant dans de nombreux cas, est cependant incomplète : souvent le chant chamanique est incompréhensible pour le patient, et parfois ce dernier n’est même pas présent.


Enfin, il est totalement illusoire d’espérer analyser le monde des esprits comme on le ferait pour une institution politique. L’extase, la possession, la fureur relèvent de l’ineffable, de l’expérience vécu de l’invisible, du « sacré sauvage », et non de discours construits ou d’une glose froide.



2.    La quête de sens

2.1.                    Les esprits et le monde

A l’évidence le monde est imparfait. A la différence des religions du salut, chamanisme et possession ne parlent ni d’un monde à sauver ni d’un au-delà meilleur. Il y est seulement question d’un moyen donné aux hommes pour faire face à une imperfection irrémédiable.

Ainsi, la surnature fut créée pour aider à rendre la condition humaine supportable. Partageant le même monde que les hommes, les esprits sont proches d’eux, sensibles à leurs actions et intéressés par un contact. La surnature est anthropomorphisée : elle est une projection de ce monde-ci. Les êtres qui la peuplent sont animés par les mêmes pensées et les mêmes passions que les hommes qui les ont imaginés.


Mais les esprits sont profondément ambivalents. En général le monde des esprits est regardé comme ni bon ni mauvais. Il existe des entités volontiers favorables aux humains, d’autres non. Mais même dans ces cas qui semblent assez nets, les entités bénéfiques se retournent parfois contre les hommes et inversement les entités néfastes peuvent devenir protectrices.


Il y a maintes familles et catégories d’esprits et génies, mais au-delà de ces catégories complexes, très variées et changeantes, ils incarnent cet infini, ce sacré, si proche, fondu dans ce qui ne se maîtrise pas mais parfois s’apprivoise.

Les plus grands désordres sont liés aux esprits les plus éloignés, les plus étrangers à la sphère domestique, eux qui sont également les plus puissants.


Forêt, glacier, brousse ou désert symbolisent à l’évidence le monde du Sauvage. Mais ce Sauvage n’est pas à comprendre dans une perspective strictement naturaliste. Les représentations de la nature procèdent toujours d’une construction symbolique et chaque culture définit en ses propres termes l’opposition Nature/Culture. Le Sauvage dévolu aux esprits n’est pas l’absolu autre part, l’inconnu. Il est le proche ailleurs, il occupe toute la marge qui enserre l’univers du quotidien.


Les religions dualistes, dans leur volonté de lutter contre le chamanisme et les cultes de possession, ont eu tendance à diaboliser les esprits. En effet, la symbolique traditionnelle du désordre n’a pas réellement sa place dans les visions dogmatiques de l’opposition du Bien et du Mal. Cette assimilation au diable est excessivement simpliste. Mais elle est relativement bien acceptée par les spécialistes de l’invisible.

2.2.                    Traiter avec la surnature

Possession et chamanisme ne renvoient pas exactement à la même logique idéologique que la religion. Effectivement, les messagers de l’invisible ne sont pas assimilés aux prêtres ou aux sacrificateurs attitrés. Ils officient en marge de l’institution religieuse proprement dite, ils sont liés au surgissement du désordre.

Seule l’angoisse du désordre, du chaos, justifie la tenue des rituels. La transgression ou la faute doit être dénoncée et résolue car elle est un puissant ferment de désagrégation de l’ordre social et cosmique. Mais pour le cours ordinaire des choses, le rite religieux suffit. Voir même, négocier avec l’invisible lorsque tout va bien pourrait devenir dangereux et faire surgir ce désordre.


C’est pour les désordres liés aux esprits les plus sauvages que les possédés et chamans entrent en jeu. Seuls des « allliés-élus » aux pouvoirs étendus sont capables de traiter avec les entités nuisibles. Pour les cas simples, les prêtres traditionnels suffisent.

Il y a donc toute une hiérarchisation des acteurs de la surnature, en fonction du type d’esprits associés et de la gravité du cas à traiter. Traiter avec le chaman/possédé est toujours la solution de dernier recours.


Plus les esprits sont sauvages, plus ils sont porteurs de désordre et plus ils sont puissants. Les élus qui travaillent avec eux doivent tous faire état d’une initiation particulièrement longue et douloureuse, caractérisée par des fuites prolongées et des attaques gravissimes de « rage ». Avec ces esprits, la menace d’un ensauvagement définitif plane. Cette dangerosité latente est toujours présente dans les théâtralisations rituelles.

2.3.                    Au-delà de la simple thérapeutique

Dans les rituels thérapeutiques, le but n’est pas la guérison propre, mais l’élimination de la cause surnaturelle. Que cesse l’agression, et le corps peut être confié au médecin qui réparera les dégâts physiques.


Le chamanisme déculpabilise totalement le malade : la cause de sa maladie lui est extérieure. Il banalise aussi cette maladie : le désordre n’est ni hasard ni abomination, il est tragiquement normal. Enfin, le succès d’une cure n’est absolument pas certain. L’échec ne remet pas en cause le système, il traduit simplement un pouvoir insuffisant de l’intervenant. Ces trois points s’opposent à la conception moderne des maladies : maladie interne au malade, stigmatisation de celui-ci, et tendance de la médecine moderne à se considérer toute puissante.


L’ordre global est basé sur un principe d’équilibres dépendants les uns des autres. Tout est intimement lié. Toute perturbation ponctuelle est potentiellement un signe avant coureur d’un désordre plus grave. Les affligés peuvent être des victimes innocentes, leurs troubles sont la conséquences de désordres commis par d’autres, souvent des proches.

Le traitement ne concerne donc jamais un individu isolé, tout le groupe participe. Parallèlement à la guérison du corps, la cure vise aussi à restaurer l’ordre social qui a été ébranlé par l’irruption du désordre.

Seule la logique de la faute commise, volontairement (acte de sorcellerie, transgression d’un interdit, etc.) ou non (souillure accidentelle, jalousie d’un esprit, etc.), permet de donner du sens et de rétablir l’homme comme auteur de sa destinée.


L’effet placebo joue un rôle considérable dans la cure. Tout comme l’image du thérapeute (sa légitimité, le principe du traitement, etc.) a un rôle fondamental dans l’effet placebo de guérison, la crédibilité du chaman et des rituels est primordiale pour que l’effet placebo s’applique.

2.4.                    La régulation sociale

Le champ des rituels ne se limite pas au domaine thérapeutique. Un fois la parole libérée, elle déroule ses vérités bien au-delà des premières préoccupations des hommes. La parole des possédés est aussi admonestation, dénonciation d’inconduites dont les conséquences risquent d’être lourdes. La réprobation porte sur des violations d’interdits, qui ont ou pourraient entraîner la colère et la vengeance des esprits. Elle n’épargne personne, pas même les notables. En cela, le chamanisme a un rôle important de régulation sociale.

Ce genre de rites se doit d’être théâtral, pour exprimer l’idée d’une parole nécessairement débordante, perturbante. Le rituel d’admonestation est une forme de purification de la société des hommes par rapport à celle des esprits.



3.    Les marques du désordre

3.1.                    Rituels : furie et altérité

Lors des rituels, celui qui fixe la vérité le chaman n’est pas qui parle, mais l’entité qui s’exprime à travers lui. Pour être acceptable, la vérité doit être impersonnelle, déshumanisée. Le rituel crée un espace sémantique propre, de nature à opérer ce passage entre l’acte de communication et l’acte de métacommunication. Dans cet espace, le chaman possède un pouvoir dont il ne jouit pas dans la vie quotidienne.

Les rituels sont construits selon un scénario précis qui permet de mettre en scène le pouvoir du chaman/possédé sur les esprits ainsi que la réalité de sa captation du surnaturel. S’ensauvager, puis devenir autre sont les temps forts de cette démonstration publique. Toute l’efficacité et la légitimité de la parole inspirée en découlent.


L’ensemble du rituel se présente comme un espace de transgression, de subversion. Le climat d’anarchie est consubstantiel au rituel. Il affecte aussi le code des prééminences : dans l’espace dévolu à la possession, nobles, membres des classes supérieures, forgerons, artisans et anciens esclaves se côtoient librement. Bien plus, la cérémonie repose sur un processus d’inversion du pouvoir.

3.1.1.      La furie

Les manifestations de la furie et de l’altérité des adeptes sont frappantes.

Que la conscience du chaman/possédé soit ou non altérée par un mécanisme psycho-physiologique ne modifie en rien le déroulement du rituel type. La logique symbolique prédomine. Elle donne son sens premier à tous les actes, si délirants puissent-ils sembler.


Les élus de la surnature se voient donc, dans un premier temps du rituel, emportés par une force supérieure lors d’une lutte difficile et douloureuse. Cette phase met en scène la victoire des esprits sur l’homme.

Les accès de furie de l’élu des esprits marquent un épisode obligé du cérémonial. Le déchaînement est aussi bien verbal que gestuel. La furie des élus peut être contagieuse dans l’assistance. Des accidents peuvent survenir.

Il appartient à cette scénographie rituelle de rappeler un principe récurrent : on ne s’allie pas avec la surnature de son plein gré.

La bête figurée lors de la rage n’est jamais paisible : sa sauvagerie est toujours débordante. On peut y voir un noyau irréductible du chamanisme. Le registre des métamorphoses inclut de nombreux personnages, mais le motif de l’ensauvagement est primordial.


Cette furie n’est pas étrangère à une certaine énergie sexuelle, à une vigueur génésique. Autant durant le rituel que dans la vie de tous les jours l’omniprésence de cette sexualité débridée est sensible.

3.1.2.      Le contrôle de l’initié

Pour débordante et dangereuse qu’elle soit, la force d’ensauvagement ne saurait submerger totalement le chaman/possédé. A lui, donc, après cette première phase du rituel, de démontrer son pouvoir de contrôle.


Même au moment le plus paroxystique du déchaînement, il est possible de suivre l’inscription de la gestuelle dans le strict cadre du rituel. Ceci soulève la question de la sincérité : savoir si tout ceci n’est pas du théâtre, de la mise en scène.


Ces signes de contrôle renvoient à plusieurs registres. En premier lieu, celui de la grammaire propre à chaque rituel. Par exemple, au regard de cette grammaire du rituel, le corps qui danse n’est pas libre de ses mouvements. En second lieu, le registre du respect des conventions sociales du rituel.


Les signes de contrôle les plus spectaculaires sont incontestablement ceux démontrés lorsque l’allié des esprits « offre » son corps. Les exploits physiques, proches du fakirisme, contribuent à l’efficacité du rituel et sont un rouage de l’adhésion collective. Nul initié ne saurait revendiquer une alliance aboutie avec les génies les plus forts s’il n’est en mesure d’en apporter une preuve par le corps.

3.1.3.      L’altérité

Pour exprimer l’idée d’une métamorphose de l’élu des esprits, bien des rituels adoptent des mises en scène spectaculaires : costumes, altération du caractère visible à travers des expressions exagérées, façon de se mouvoir, changement de façon de parler (vocabulaire, tonalité, ou même langue, rendant parfois les propos inintelligibles), … Ces altérations vont parfois au-delà des limites physiques : une initiée vieille et ayant du mal à se mouvoir se met à danser gracieusement, … Parfois un même initié connaît plusieurs possessions successives, avec des « personnages » clairement différents à chaque fois.


Le chaman, lui, ne se contente pas de voyager dans le monde de la surnature et de gravir l’échelle du monde. Une phase essentielle du rituel consiste en une incorporation d’esprits qui « descendent » dans son corps. Les entités appelées par les chants et le tambour prêtent à une scénographie identificatoire tout aussi affichée et lisible que dans les cultes de possession.

L’identification profonde du chaman avec les esprits animaux conduit à la croyance en une transformation définitive après la mort.

3.1.4.      Autres éléments

Les paroles des chamans et des possédés recèlent une force intrinsèque. Certaines paroles, certains noms, ont un pouvoir.

La force détenue par le nom même des esprits, par les invocations chantées, émane directement du souffle de la surnature. La possession est explicitement associée à une intrusion d’air dans le corps, le possédé est animé d’un souffle nouveau.

Dans toutes les techniques de transe et de modification de conscience on retrouve cette importance du souffle.


La symbolique de la nuit est particulièrement importante. L’opposition entre le jour (temps du prêtre) et la nuit (temps du chaman/possédé) s’inscrit, en la renforçant, dans le droit-fil de la séparation entre Sauvage et Domestique.

3.2.                    Vivre sous le signe du contre-monde

Le chaman/possédé doit disposer d’une autorité car l’élu des esprits est aussi l’élu du groupe social. Il a délégation pour incarner la collectivité dans la relation établie avec la surnature, mais aussi le pouvoir pour imposer sa parole à chaque membre de la communauté.

Sa compétence doit être large, car le logos du chaman/possédé est aussi bien prophétie et révélation, bénédiction et protection que dénonciation et admonestation, ou encore diagnostic et prescription thérapeutique.

3.2.1.      Le principe de transgression

Dans toutes les sociétés, le chaman/possédé est regardé comme un individu à part, il est considéré comme un humain participant mystérieusement au monde de l’invisible. Hors de l’espace et du temps délimitant le rituel, le chaman/possédé doit transcender dans son existence quotidienne les limites normatives qui s’imposent aux autres humains.


Les règles de cet autre monde ne sont pas totalement arbitraires et inconnues, le désordre qui le caractérise revêt souvent une forme significative. Il y a un principe de graduation : plus les transgressions sont importantes, plus les pouvoirs seront grands.

La singularisation de l’allié des esprits, qui le met en marge du groupe social, peut passer par :


C’est un jeu de miroir : d’un côté les individus conforment leur conduite à un modèle socialement déterminé, de l’autre on leur prête des qualités présumées spécifiques de leur statut (asociabilité, sauvagerie, …).


La marginalisation sociale est très importante, les chamans/possédés sont considérés au plus bas de la société. Le décalage entre la fonction essentielle dévolue à l’élu et la place qui lui est réservée au sein de sa communauté est des plus significative. Prestige et efficacité reconnue d’une part, stigmatisation et ostracisme de l’autre.


Ce prix à payer n’est pas ignoré par les intéressés, la marginalité apparaît comme une fatalité à laquelle il serait vain de vouloir échapper. Il faut être aguerri pour supporter ce réel ostracisme social. La peur de la vengeance des esprits incite les initiés à ne pas les abandonner pour revenir à une vie plus facile.


Un des exemples les plus frappants de transgression vécue est celui des « contraires » chez les indiens d’Amérique du Nord, qui inversent jusqu’aux gestes de tous les jours (parler à l’envers, souffrir du chaud et du froid à contretemps, boire de l’urine et manger des excréments, etc.).

3.2.2.      Le parcours initiatique

Anormal et étrange, l’élu l’est depuis le premier jour de sa vocation car, de manière très universelle, sa maladie initiatique est pensée autant en termes de comportements asociaux qu’en termes de symptômes physiologiques topiques (fièvres et convulsions, apathie et état morbide, etc.). Le parcours initiatique de chaque initié est construit selon le modèle de la déviance inspirée. Il comporte de traverser une phase de vie dissolue ponctuée par l’errance et la déchéance.

Plus le chaman/possédé peut faire état d’un désordre initiatique grave et dramatique, plus grande sera jugée sa compétence.

3.2.3.      La transgression sexuelle

Une autre forme de transgression est l’ambiguïté et l’anormalité sexuelle (homosexualité masculine, travestissement, femmes « dévoreuses d’hommes » ou provocatrices, …).

L’élu est amené à conjuguer valeurs masculines et valeurs féminines au cours de son parcours initiatique. Cette expérience de la bisexualité amène le futur chaman à reconnaître la nature fondamentalement androgyne de ses alliés.

Dans de très nombreux cas, la possession théâtralisée est indissociable d’un comportement sexuel hors norme.


Cette transgression permet aux adeptes femmes, dans une société phallocentrique, d’acquérir un statut masculinisé et de s’affranchir de l’autorité masculine du cadre parental ou marital. Quant aux homosexuels, ils gagnent dans cet espace religieux une légitimité qui leur est refusée dans le monde profane.

Ainsi, cet espace de la marge offert par ces cultes offre à de nombreux individus la possibilité de trouver là, tant sur le plan sexuel que social, un lieu approprié à l’expression de pulsions liées à des états liminaux, c'est-à-dire des états situés à la frontière entre l’inacceptable et l’admissible. Cette fonction compensatoire est cependant loin de refléter toute la dimension symbolique du chamanisme ou de la possession.



4.    Une philosophie du désordre

D’où l’acte rituel tire-t-il sa force ?

Au premier chef le rôle décisif est joué par le chaman lui-même. Grâce à l’exécution de son « numéro » (comprenons son art de manipuler les chants et les actes rituels), le chaman est en mesure de transformer un discours mythique abstrait et général en une opération concrète, spécifiquement adaptée à l’infortune d’un patient.

4.1.                    Communication avec les esprits

Pour les chamans/possédés, le but est d’ouvrir le canal de métacommunication avec les esprits. Le recourt à des substances ingérées ou inhalées (sang ou les plantes psychotropes par exemple), dont la fonction est de signifier à la collectivité l’ouverture du corps et de l’esprit sur le monde invisible, est universellement avéré.

De tels rites déclencheurs n’ont aucune portée en eux-mêmes, hors cette fonction sémiotique.


Le pacte avec les esprits doit être réactualisé périodiquement. Point de temples, d’églises ou d’arches d’alliance destinés à durer. Le fait que les offrandes soient périssables (nourriture, sang) n’est pas indifférent : aux initiés de veiller à leur renouvellement régulier.

Propre à être régénérée périodiquement, même en dehors du cadre des rituels, l’offrande alimentaire permet en outre la communion des hommes. Ce principe d’une communion alimentaire se tenant autour de l’allié de la surnature est très répandu.


L’alliance avec l’esprit peut parfois revêtir la forme d’un véritable mariage. Ce motif du mariage - réel ou mystique – apparaît dans toutes les configurations du chamanisme.

Le mariage est la forme la plus aboutie et la plus significative de l’alliance pouvant s’établir avec cette surnature si dangereusement ambivalente. Le mariage incarne la maîtrise du désordre car il montre qu’il est possible de substituer un lien d’équilibre harmonieux à la relation initiale placée sous le signe de la domination et des tourments.

Si le mariage est possible, le divorce l’est aussi. L’existence de rituels de séparation prouve que l’alliance avec la surnature n’est pas un système fermé, invariable, définitif.

4.1.1.      La négociation

Une fois l’offrande faite, la mission du chaman est de négocier avec son interlocuteur de la surnature. A lui de fixer la quantité nécessaire des sacrifices pour rassasier un esprit malfaisant. A lui surtout d’obtenir, par ruse ou tractation, que cette offrande compensatoire ne soit pas trop élevée.

La négociation doit impérativement demeurer le pivot de l’alliance avec les esprits ou sinon ces derniers auront tôt fait d’imposer leur total arbitraire aux hommes.

Certaines cérémonies reposent sur une dramatique théâtralisation de cette négociation, et à la fureur de l’esprit tourmenteur répond parfois la colère de l’allié humain mécontent de la rupture du pacte de non-agression.


Tous les alliés prennent soin de préserver une relation harmonieuse avec la surnature au terme de leurs rituels de séparation. En ça, les chamans/possédés se placent à l’opposé des mécanismes d’exorcisme qui contraignent par la force brutales les « diables » à sortir du malade. D’un côté, tout ce qui brûle et agresse : sel, eau bénite, soufre consumé et formules d’expulsion. De l’autre, ce qui peut séduire, amadouer : parfum, sang sucré, chants et danses, promesses, …

4.1.2.      Le rôle du sang

Le sacrifice et la relation au sang, fluide vital par excellence, sont fondamentaux dans les rituels. L’ordre des choses terrestres repose sur la circulation de la force vitale véhiculée par le sang.

Le sang est très ambivalent : il est à la fois ce qui souille et qui purifie, ce qui pollue et qui nettoie, ce qui rend malade et qui guérit. Le sang est aussi bien synonyme de violence extrême que d’alliance durable (le pacte de sang). Son versement peut s’effectuer sous les deux formes opposées de la tradition (la liturgie sacrificielle) et de la transgression (la sorcellerie).


Les esprits se nourrissent de sang : le sang pour les esprits, la chair pour les hommes. Le sucre est parfois utilisé en substitut du sang. A l’opposé, un sacrifice où le sang est évité, avec une viande « propre », sans sucre, est plutôt caractéristique des sacrifices de type liturgique.

L’ingestion ou le contact avec le sang, souvent assimilés à une souillure dans les traditions, sont des signes d’élection pour les chamans/possédés.


Le sacrifice de sang a une dimension supplémentaire. Outre la symbolique du fluide vital, le corps animalisé et/ou ensanglanté du chaman/possédé est lui-même offert en sacrifice à l’esprit.

4.2.                    Pragmatisme et adaptabilité

Le chaman doit d’abord être utile aux hommes, et non se mettre au service des dieux.

Tout se passe comme si l’imprécision des savoirs, la flexibilité des rites et la faculté d’adaptation des officiants étaient les conditions de l’efficacité des manipulations symboliques entreprises pour réparer le désordre.


La plasticité fondamentale du chamanisme l’amène à se fondre dans le tissu ethnique. Partout le chamanisme est construit à partir des mêmes principes de bases mais, selon le contexte culturel propre à chaque communauté, la forme finale superficielle qu’il revêt est changeante.

Le rite doit également s’adapter au cas concret qu’il doit traiter.


Il n’y a donc jamais de savoir doctrinal, de dogme, d’église organisée, ou de clergé officiel. Le principe d’une négociation avec les esprits est incompatible avec toute idée de codification statique. Ce lien de négociation est très différent du lien de soumission et de vénération des grandes religions fondées sur la transcendance.


La réalité du contact avec l’esprit, fait attesté par les marques du désordre, constitue le critère déterminant pour la reconnaissance collective du statut d’officiant efficace.

La flexibilité rend très difficile, voir impossible, toute tentative de récupération de la part d’un pouvoir temporel politique ou religieux.


Ce principe d’adaptabilité trouve sa concrétisation la plus frappante dans l’apparition de nouvelles entités au sein de la surnature. Les rites, les esprits évoluent avec le monde qui les entoure, et les alliés se doivent de rester ouverts à tous les apports ou les bouleversements culturels extérieurs.

Par exemple, l’introduction du tourisme dans certaines régions primitives a apporté tout un lot de nouvelles maladies, qui ont nécessité l’introduction de nouveaux esprits « blancs » pour les traiter.

4.3.                    L’intégration du désordre

Si le prêtre symbolise l’ordre et le chaman/possédé le désordre, ce serait une erreur d’en déduire que ce dernier est un contestataire ou un rebelle. La possession et le chamanisme sont des phénomènes inclus dans leur environnement socioculturel. Loin de dessiner une forme d’isolat social, les cultes sont en étroite relation symbolique avec la culture dans laquelle ils s’enracinent.


Insoumission et chaos ? Au contraire, les rites permettent à la société de maîtriser le chaos, de le limiter à des débordements très mineurs.

Les excès remplissent un rôle précis et salutaire dans l’économie du sacré. Ils brisent les barrages entre l’homme, la société, la nature et les dieux ; ils aident à faire circuler la force, la vie, les germes d’un niveau à l’autre, d’une zone de la réalité dans toutes les autres.

Le principe cosmogonique vaut aussi pour l’ordre social. Le désordre a une grande importance comme facteur de régénérescence de l’ordre, comme force porteuse de création nouvelle.


Dans les sociétés pluriculturelles, les chamans/possédés jouent un rôle de « passeur culturel », établissant un pont entre les différentes cultures.


Tout comme les cérémonies collectives témoignent d’une volonté partagée de faire front, les rituels thérapeutiques amènent les individus frappés à se prendre en charge. En définitive, négocier et construire progressivement une relation avec la surnature revient à s’affirmer acteur de sa propre destinée.