L'Etourdit
(1972) page 26 scilicet n° 4 Seuil Paris
(en cours)
ou (14-07-1972) page 469 Autres écrits - Seuil, sur elp,,
Un peu de topologie vient maintenant.
Prenons un tore (une surface
formant « anneau »). Il saute aux yeux qu’à
le pincer entre deux doigts tout de son long à partir d’un point
pour y revenir, le doigt d’en haut d’abord étant
en bas enfin, c’est-à-dire ayant opéré un demi-tour
de torsion durant l’accomplissement du tour complet du tore, on obtient
une bande de Moebius : à condition de considérer la surface
ainsi aplatie comme confondant les deux lames produites de la surface première.
C’en est à ce que l’évidence s’homologue
de l’évidement.
Il vaut de la démontrer de façon moins grossière.
Procédons d’une coupure suivant le bord de la bande obtenue
(on sait qu’il est unique). Il est facile de voir que chaque lame, dès
lors séparée de celle qui la redouble, se continue pourtant
justement dans celle-ci. De ce fait, le bord pris d’une lame en un point
est le bord de l’autre lame quand un tour l’a mené en un
point conjugué d’être du même « travers »,
et quand d’un tour supplémentaire il revient à son point
de départ, il a, d’avoir fait une double boucle répartie
sur deux lames, laissé de côté une autre double boucle
qui constitue un second bord. La bande obtenue a donc deux bords,
ce qui suffit à lui assurer un endroit et un envers.
Son rapport à la bande de Moebius qu’elle figurait avant que
nous y fassions coupure, est… que la coupure l’ait produite.
Là est le tour de passe-passe : ce n’est pas à recoudre
la même coupure que la bande de Moebius sera reproduite puisqu’elle
n’était que « feinte » d’un tore aplati, mais
c’est par un glissement des deux lames l’une sur l’autre
(et aussi bien dans les deux sens) que la double boucle d’un des bords
étant affrontée à elle-même, sa couture constitue
la bande de Moebius « vraie ».
Où la bande obtenue du tore se révèle être la bande
de Moebius bipartie – d’une coupure non pas à double tour,
mais à se fermer d’un seul (faisons-là médiane
pour le saisir… imaginairement).
Mais du même coup ce qui apparaît, c’est que la bande de
(27)Moebius n’est rien d’autre que cette
coupure même, celle par quoi de sa surface elle disparaît.
Et la raison en est qu’à procéder d’unir à
soi-même, après glissement d’une lame sur l’autre
de la bande bipartie, la double boucle d’un des bords de cette même
bande, c’est tout au long la face envers de cette bande que nous cousions
à sa face endroit.
Où il se touche que ce n’est pas du travers idéal
dont une bande se tord d’un demi-tour, que la bande de Moebius est à
imaginer ; c’est tout de son long qu’elle fait n’être
qu’un son endroit et son envers. Il n’y a pas
un de ses points où l’un et l’autre ne s’unissent.
Et la bande de Moebius n’est rien d’autre que la coupure à
un seul tour, quelconque (bien qu’imagée de l’impensable
« médiane »), qui la structure d’une série
de lignes sans points.
Ce qui se confirme à imaginer cette coupure se redoubler (d’être
« plus proche » de son bord) : cette coupure donnera une bande
de Moebius, elle vraiment médiane, qui, abattue, restera faire chaîne
avec la Moebius bipartie qui serait applicable sur un tore (ceci de comporter
deux rouleaux de même sens et un de sens contraire ou, de façon
équivalente : d’être obtenus de la même, trois rouleaux
de même sens) : on voit là que l’ab-sens qui résulte
de la coupure simple, fait l’absence de la bande de Moebius. D’où
cette coupure = la bande de Moebius.
Reste que cette coupure n’a cette équivalence que de bipartir
une surface que limite l’autre bord : d’un double tour précisément,
soit ce qui fait la bande de Moebius. La bande de Moebius est donc ce qui
d’opérer sur la bande de Moebius, la ramène à la
surface torique.
Le trou de l’autre bord peut pourtant se supplémenter autrement,
à savoir d’une surface qui, d’avoir la double boucle pour
bord, le remplit ; – d’une autre bande de Moebius, cela va de
soi, et cela donne la bouteille de Klein.
pour ce travail je me suis inspiré de l'ouvrage de Stephen Barr - Expériences de topologie Lysimaque Belin 1964 - 1987 (merci à Régine !) |
Il y a encore une autre solution : à prendre ce bord de la découpe
en rondelle qu’à le dérouler il étale sur la sphère.
À y faire cercle, il peut se réduire au point : point hors-ligne
qui, de supplémenter la ligne sans points, se trouve composer ce qui
dans la topologie se désigne du cross-cap.
C’est l’asphère, à l’écrire : l, apostrophe.
Le plan projectif autrement dit, de Desargues,
plan dont la découverte comme réduisant son horizon à
un point, se précise de ce que ce point soit tel que (28)toute ligne
tracée d’y aboutir ne le franchit qu’à passer de
la face endroit du plan à sa face envers.
Ce point aussi bien s’étale-t-il de la ligne insaisissable dont
se dessine dans la figuration du cross-cap, la traversée nécessaire
de la bande de Moebius par la rondelle dont nous venons de la supplémenter
à ce qu’elle s’appuie sur son bord.
Le remarquable de cette suite est que l’asphère (écrit
: l, apostrophe), à commencer au tore (elle s’y présente
de première main), ne vient à l’évidence de son
asphéricité qu’à se supplémenter d’une
coupure sphérique.
Ce développement est à prendre comme la référence
– expresse, je veux dire déjà articulée –
de mon discours où j’en suis : contribuant au discours analytique.
Référence qui n’est en rien métaphorique. Je dirais
: c’est de l’étoffe qu’il s’agit, de l’étoffe
de ce discours, – si justement ce n’était pas dans la métaphore
tomber là.
Pour le dire, j’y suis tombé ; c’est déjà
fait, non de l’usage du terme à l’instant répudié,
mais d’avoir, pour me faire entendre d’à qui je m’adresse,
fait-image, tout au long de mon exposé topologique.
Qu’on sache qu’il était faisable d’une pure algèbre
littérale, d’un recours aux vecteurs dont d’ordinaire se
développe de bout en bout cette topologie.
La topologie, n’est-ce pas ce n’espace où nous amène
le discours mathématique et qui nécessite révision de
l’esthétique de Kant ?
Pas d’autre étoffe à lui donner que ce langage de pur
mathème, j’entends par là ce qui est seul à pouvoir
s’enseigner : ceci sans recours à quelque expérience,
qui d’être toujours, quoi qu’elle en ait, fondée
dans un discours, permet les locutions qui ne visent en dernier ressort rien
d’autre qu’à, ce discours, l’établir.
Quoi m’autorise dans mon cas à me référer à
ce pur mathème ?
Je note d’abord que si j’en exclus la métaphore, j’admets
qu’il puisse être enrichi et qu’à ce titre il ne
soit, sur cette voie, que récréation, soit ce dont toute sorte
de champs nouveaux mathématiques se sont de fait ouverts. Je me maintiens
donc dans l’ordre que j’ai isolé du symbolique, à
y inscrire ce qu’il en est de l’inconscient, pour y prendre référence
de mon présent discours.
(29)Je réponds donc à ma question : qu’il faut d’abord
avoir l’idée, laquelle se prend de mon expérience, que
n’importe quoi ne peut pas être dit. Et il faut le dire.
Autant dire qu’il faut le dire d’abord.
Le « signifié » du dire n’est, comme je pense l’avoir
de mes phrases d’entrée fait sentir, rien qu’ex-sistence
au dit (ici à ce dit que tout ne peut pas se dire). Soit : que ce n’est
pas le sujet, lequel est effet de dit.
Dans nos asphères, la coupure, coupure fermée, c’est le
dit. Elle, fait sujet : quoi qu’elle cerne…
Notamment, comme le figure la sommation de Popilius d’y répondre
par oui ou par non, notamment, dis-je, si ce qu’elle cerne, c’est
le concept, dont se définit l’être même : d’un
cercle autour – à se découper d’une topologie sphérique,
celle qui soutient l’universel, le quant-au-tout : topologie de l’univers.
L’ennui est que l’être n’a par lui-même aucune
espèce de sens. Certes là où il est, il est le signifiant-maître,
comme le démontre le discours philosophique qui, pour se tenir à
son service, peut être brillant, soit : être beau, mais quant
au sens le réduit au signifiant-m’être. M’être
sujet le redoublant à l’infini dans le miroir.
J’évoquerai ici la survivance magistrale, combien sensible quand
elle s’étreint aux faits « modernes », la survivance
de ce discours, celui d’Aristote et de saint Thomas, sous la plume d’Étienne
Gilson, laquelle n’est plus que plaisance : m’est « plus-de-jouir
».
C’est aussi bien que je lui donne sens d’autres discours, l’auteur
aussi, comme je viens de le dire. J’expliquerai cela, ce qui produit
le sens, un peu plus loin.
L’être se produit donc « notamment ». Mais notre
asphère sous tous ses avatars témoigne que si le dit se conclut
d’une coupure qui se ferme, il est certaines coupures fermées
qui de cette asphère ne font pas deux parts : deux parts à se
dénoter du oui et du non pour ce qu’il en est (« de l’être
») de l’une d’elles.
L’important est que ce soit ces autres coupures qui ont effet de subversion
topologique. Mais que dire du changement par elles survenu ?
(30)Nous pouvons le dénommer topologiquement : cylindre, bande, bande
de Moebius. Mais y trouver ce qu’il en est dans le discours analytique,
ne peut se faire qu’à y interroger le rapport du dire au dit.
Je dis qu’un dire s’y spécifie de la demande dont le statut
logique est de l’ordre du modal, et que la grammaire le certifie.
Un autre dire, selon moi, y est privilégié : c’est l’interprétation,
qui, elle, n’est pas modale, mais apophantique. J’ajoute que dans
le registre de la logique d’Aristote, elle est particulière,
d’intéresser le sujet des dits particuliers, lesquels ne sont
pastous (association libre) des dits modaux (demande entre autres).
L’interprétation, ai-je formulé en son temps, porte sur
la cause du désir, cause qu’elle révèle, ceci de
la demande qui de son modal enveloppe l’ensemble des dits.
Quiconque me suit dans mon discours sait bien que cette cause je l’incarne
de l’objet (a), et cet objet, le reconnaît (pour ce que l’ai
énoncé dès longtemps, dix ans, le séminaire 61-62
sur l’identification, où cette topologie, je l’ai introduite),
l’a, je l’avance, déjà reconnu dans ce que je désigne
ici de la rondelle supplémentaire dont se ferme la bande de Moebius,
à ce que s’en compose le cross-cap.
C’est la topologie sphérique de cet objet dit (a) qui se projette
sur l’autre du composé, hétérogène, que
constitue le cross-cap.
« Imaginons » encore selon ce qui s’en figure graphiquement
de façon usuelle, cette autre part. Qu’en voyons-nous ? Sa gonfle.
Rien n’est plus de nature à ce qu’elle se prenne pour sphérique.
Ce n’en est pas moins, si mince qu’on en réduise la part
torse d’un demi-tour, une bande de Moebius, soit la mise en valeur de
l’asphère du pastout : c’est ce qui supporte l’impossible
de l’univers, – soit à prendre notre formule, ce qui y
rencontre le réel.
L’univers n’est pas ailleurs que dans la cause du désir,
l’universel non plus. C’est de là que procède l’exclusion
du réel…
… de ce réel : qu’il n’y a pas de rapport sexuel,
ceci du fait qu’un animal a stabitat qu’est le langage, que d’labiter
c’est aussi bien ce qui pour son corps fait organe, – organe qui,
pour ainsi lui ex-sister, le détermine de sa fonction, ce dès
avant qu’il la trouve. C’est même de là qu’il
est réduit à trouver que son corps n’est pas-sans autres
organes, et que leur fonction à chacun, lui fait problème, –
(31)ce dont le dit schizophrène se spécifie d’être
pris sans le secours d’aucun discours établi.
J’ai la tâche de frayer le statut d’un discours, là
où je situe qu’il y a… du discours : et je le situe du
lien social à quoi se soumettent les corps qui, ce discours, labitent.
Mon entreprise paraît désespérée (l’est du
même fait, c’est là le fait du désespoir) parce
qu’il est impossible que les psychanalystes forment un groupe.
Néanmoins le discours psychanalytique (c’est mon frayage) est
justement celui qui peut fonder un lien social nettoyé d’aucune
nécessité de groupe.
Comme on sait que je ne ménage pas mes termes quand il s’agit
de faire relief d’une appréciation qui, méritant un accès
plus strict, doit s’en passer, je dirai que je mesure l’effet
de groupe à ce qu’il rajoute d’obscénité
imaginaire à l’effet de discours.
D’autant moins s’étonnera-t-on, je l’espère,
de ce dire qu’il est historiquement vrai que ce soit l’entrée
en jeu du discours analytique qui a ouvert la voie aux pratiques dites de
groupe et que ces pratiques ne soulèvent qu’un effet, si j’ose
dire, purifié du discours même qui en a permis l’expérience.
Aucune objection là à la pratique dite de groupe, pourvu qu’elle
soit bien indiquée (c’est court).
La remarque présente de l’impossible du groupe psychanalytique
est aussi bien ce qui en fonde, comme toujours, le réel. Ce réel,
c’est cette obscénité même : aussi bien en «
vit-il » (entre guillemets) comme groupe.
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le texte testament de Lacan : L'Etourdit,
pour ce qui est relatif à la topologie..Ce texte est édité
dans scilicet 4 au Seuil .
Cette page est une page de travail personnel .., à gauche (et en noir)
les fragments du texte original relatifs à la topologie, plus un commentaire
( en gris)..., à droite l'essentiel des objets réalisés
avec les impasses et erreurs (fond sombre !)